Histoire de Manu.

posted in: Religion 2ème | 0

J’habite sous l’autoroute. Si vous arrêtez votre voiture sur le pont, vous verrez quatre immeubles sombres et tristes tout en bas, coincés entre le fleuve et les hangars. C’est là. Ce jour-là, en rentrant de l’école, je me suis arrêtée au club de sport. Dedans, comme d’habitude, il y avait mon frère Crip âgé de 15 ans et toute sa bande, en train de ne rien faire… Il y avait aussi Martine, qui était assise dans son coin en train de lire les petites annonces. Elle n’allait pas bien depuis que le salon de coiffure qui l’employait avait fermé. L’inquiétude se lisait sur son visage. C’est pour elle que je suis entrée. Quand j’ai ouvert la porte, tous les garçons se sont retournés et m’ont accueillie en sifflant : « Tiens, voilà Manu la star ! Salut beauté fatale ! »

Crip est devenu pâle. Il m’a lancé un regard assassin. Ça le rend fou, mon frère, que je ressemble tellement aux filles des magazines. Il pense que je ne vaux rien… Je suis passée devant lui et les autres, sans m’arrêter. D’habitude, j’aime bien qu’on me regarde, mais ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, ils m’énervaient, avec leurs compliments toujours pareils…

C’est à ce moment qu’il est arrivé, lui. Je l’ai vu garer sa belle mobylette sur le trottoir, ôter son casque et l’accrocher au guidon. Il n’était pas jeune, d’environ 15, 16 ans. Il avait l’air d’un étudiant ou d’un artiste. Le genre romantique, avec une grosse écharpe. Un instant, son regard s’est accroché au mien à travers le carreau embué, je n’étais plus ici, un monde plus beau s’invitait dans notre quartier sombre. Martine l’a regardé aussi. « Tu le connais ? » m’a-t-elle demandé ? « Non. » Crip l’avait vu. Il avait compris que je l’avais vu et je suis sure qu’il avait réalisé que quelque chose s’était passé en moi. Il voit tout, Crip, il a des yeux partout, mais il comprend tout de travers. C’est pour ça qu’on ne se méfie jamais assez de lui. Quand l’inconnu est entré, il l’a suivi du regard avec l’air de vouloir le tuer. L’autre ne se doutait de rien, il allait jusqu’au comptoir et il a acheté un paquet de mouchoirs en papier. Puis il a payé. Quand il a voulu sortir, Crip, qui devait toujours se mettre en avant pour épater ses copains, lui barra la route. Il lui dit : tu te crois où toi ? » L’étranger a souri poliment. Il semblait tranquille. Il ne pouvait pas croire qu’on lui en veuille, sans raison. « Pardon ? C’est chez toi ici ? » « No, c’est… » Il ne comprenait plus. Crip ne le lâchait pas. Derrière lui, Bob, Jim et Mike s’approchaient lentement. « T’as demandé l’autorisation avant d’entrer ? » « Mais… Oh zut ! J’ai le droit d’acheter des mouchoirs en papier, non ? Pardon… » Il ne pouvait plus passer, Crip et les gars de sa bande l’avaient entouré. Le patron connaissait ces jeunes prêts à tout pour exister. Il sentit que les choses pouvaient mal tourner. Il s’est mis à râler : « Hé les mômes, pas de ça chez moi, hein ! » Ils ont obéi au patron. Tous ensemble, parce qu’ils avaient besoin les uns des autres pour se sentir plus forts, ils sont sortis en poussant l’inconnu avec ces petites tapes dans le dos et sur la nuque. Je suis sortie aussi, derrière eux. Bob est allé jusqu’à la mobylette, il a demandé : « C’est à toi, ça ? » « Oui. » Il a ôté la béquille et la mobylette est tombée. Le casque a roulé jusqu’au milieu de la rue. Tous ont éclaté de rire. Ils se trouvaient très forts, très drôles. « Alors, ramasse ! » L’étranger n’a pas bougé, son éducation, sa conscience, lu dictaient de rester calme. Il serrait les dents : « Ramasse-la toi-même, c’est toi qui l’as fait tomber. » Crip l’a attrapé par le col de son pull-over d’un geste fulgurant. « Qu’est-ce que t’as dit à mon copain ? » D’habitude, je ne dis rien et je reste dans mon coin. Je préfère me laisser conduire par les sentiments. Mais justement, l’injustice, c’est un sentiment très fort. Je ne pouvais vraiment pas rester là sans réagir.

Alors j’ai couru vers mon frère et je l’ai poussé de toutes mes forces pour qu’il lâche l’autre. Crip a fait trois pas et il est tombé. J’ai crié : « Ça suffit ! Qu’est-ce que vous lui voulez ? Il ne vous a rien fait ! Bob, ramasse sa mobylette. Toi Mike, tu vas chercher le casque en vitesse ! » Ils ont tous été tellement surpris de m’entendre crier qu’ils ont obéi. Crip n’a pas dit un mot, il s’est relevé en me regardant comme s’il cherchait à comprendre. Bob a redressé la mobylette, Mike est allé chercher le casque et l’a rendu. Le jeune gars l’a regardé, il m’a dit : « Merci. » Il a enfourché sa moto à pédales et il a filé dans la rue, vers la ville, sans se retourner.

Adaptation de l’histoire « Les yeux d’Antoine » issue de Okapi – filles, garçons.


 

  1. Essaye d’appliquer les trois couches à l’histoire lue
    • Repère deux phrases qui expriment une position d’un acteur du conflit.
    • Repère deux phrases qui expriment un intérêt d’un acteur du conflit.
    • Repère en vert deux phrases qui expriment un besoin de l’un des acteurs du conflit.
    • Imagine une situation où tu modifierais la position, les intérêts ou les besoins de l’un des personnages (Crip, Bob, Manu [la narratrice]). Qu’est-ce que cela change au contexte de l’histoire ?

3. Imagine d’autres déroulements plausibles du conflit.

  •  Dans quel contexte se déroule le récit ?
  • Que fait le patron du club face au conflit qui nait devant lui ?
  • Imagine que le patron tente de faire parler les différentes parties en jouant le rôle neutre de médiateur. D’après toi, de quelles qualités devrait-il faire preuve pour endosser ce rôle ?