Un autre regard sur les boucs émissaires

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Dans la cour de récréation, un groupe de jeunes est en train de parler de Martin et Floriane. Depuis un certain temps déjà, Martin et ses copains harcèlent Floriane. Personne ne sait vraiment pourquoi : elle n’est pas spécialement différente, ne cherche pas les disputes, bref, elle est tout à fait normale. Lionel raconte en riant ce qu’il a vu hier : quand Floriane est allée aux toilettes, Martin et ses copains se sont mis à trois contre sa porte. Quand elle a réalisé que la porte était bloquée, les garçons lui ont crié qu’ils ne la laisseraient pas sortir, que sa place était dans les W.C. Elle s’est mise à pleurer. Quand la sonnette a retenti, les garçons sont partis en courant. Lionel se tord de rire. Quelle bonne blague ! Justine a écouté l’histoire aussi. Mais, elle ne voit pas ce qu’il y a de drôle. Elle trouve puéril et débile de faire ce genre de choses. Elle est même furieuse. Elle trouve qu’il faut arrêter d’embêter Floriane. Si personne ne dit ou ne fait rien, elle s’en chargera elle-même.

C’est ta faute, pauvre cloche !

La persécution, c’est une question de violence, de puissance entre jeunes. Le persécuteur est toujours plus fort que sa victime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous estimons souvent que celui qui se fait brimer est faible. Nous pensons que la victime est responsable de ce qui lui arrive : si elle se comportait autrement, on ne la harcèlerait pas.

Ce n’est pas aussi simple. Il est vrai que les victimes de brimades sont souvent moins sûres d’elles et ont une vision négative des choses. Mais se fait-on harceler parce qu’on n’est pas sûr de soi, ou perd-on son assurance parce qu’on se fait harceler ? Personne ne le saura jamais.

Les jeunes « boucs émissaires » ne sont pas nécessairement différents des autres. Il y a ceux qui sont calmes, ceux qui ont la bougeotte en classe, crient trop fort, ont des couvertures de cahiers différentes ou portent la mauvaise marque de chaussettes. On se fait embêter parce qu’on travaille « trop bien », qu’on fait trop ou pas assez de sport, ou qu’on a de beaux vêtements, parce que…

La pire des brimades, c’est que ça ne se limite pas à une seule fois. Cela peut se passer toujours et partout. Mais, comme on ne sait jamais où ni quand, on est perpétuellement sur ses gardes, de la première à la dernière heure de cours…

C’est trop simple de tout mettre sur le dos de la victime. Il en faut plus pour créer et entretenir la persécution. Il y a aussi celui qui persécute et il y a les autres. Dans ce texte, nous voulons aller un peu plus loin. A toi de voir si tu as déjà vécu ou assisté à des situations de harcèlement de ce genre.

Qui sont les jeunes qui persécutent les autres ?

Tu crois peut-être que les persécuteurs sont costauds, durs et admirés. Ce n’est pas toujours vrai. Certains ont un profil de chef (surtout dans un petit groupe bien délimité), ou aiment faire des blagues. Ils ne font pourtant jamais partie du groupe des jeunes les plus populaires. Les jeunes vraiment populaires sortent du lot de façon positive, sans avoir besoin de recourir à la violence. Les persécuteurs sont souvent des bagarreurs. Certains élèves les apprécient, d’autres les trouvent embêtants. Parfois, ils ne font même pas partie du groupe. Les persécuteurs peuvent donc occuper des places très différentes dans le groupe, et cela change vraisemblablement d’un groupe à l’autre. Il est en tout cas certain qu’ils exercent une grande influence dans le groupe auquel ils appartiennent.

Les persécuteurs ont souvent une idée différente de la violence que les autres jeunes. Recourir à la violence ne leur pose aucun problème. La violence est pour eux une façon normale et admise de nouer des relations avec les autres. Ils ne comprennent donc pas non plus en quoi ils ont tort. Ils ne réalisent pas bien les conséquences des brimades pour ceux qu’ils harcèlent, et comprennent difficilement que leurs victimes se sentent impuissantes, révoltées et malheureuse. Ils ont plutôt l’impression que ces jeunes suscitent les moqueries, et méritent ce qui leur arrive. Quand on leur demande pourquoi ils harcèlent les autres, 44% répondent que c’est la victime qui les a provoqués. Quand on demande aux jeunes pourquoi les persécuteurs agissent, seuls 12% répondent que ce sont les victimes qui les ont provoqués. Les brimades ne sont donc pas uniquement suscitées par les victimes et par la façon dont elles réagissent aux moqueries, mais aussi par ce que fait, pense et ressent le persécuteur.

Quelle est la cause de la persécution, et pourquoi dure-t-elle ?

Certains persécuteurs pensent que les autres jeunes leur veulent du mal. Ils ressentent de l’hostilité, même si ce n’est peut-être pas vrai. Ils perdent leur assurance et deviennent agressifs. Ils réagissent par la violence à ce manque d’assurance. La brimade est alors plutôt une réaction à ce que les autres leur font ou pourraient leur faire. La plupart ont toutefois une autre raison d’embêter leurs camarades. Ils le font parce qu’ils veulent en retirer des avantages pour eux-mêmes. Ils veulent que le groupe s’intéresse à eux ou veulent dominer les autres. C’est également ainsi que d’autres jeunes, « neutres », se trouvent impliqués dans la persécution. Ces jeunes « neutres » – qui n’ont pas mauvaises intentions vis-à-vis de la victime – peuvent, par exemple, soutenir l’acte de brimade, ou regarder et rire. C’est justement ce que recherche le persécuteur. Il a besoin de ce public pour gagner du prestige et se trouver une place dans le groupe. Tant que ce groupe d’élèves « neutres » l’applaudira, il continuera à harceler. Le groupe d’élèves « neutres » participe donc à la persécution et l’entretient : le persécuteur est récompensé de ses brimades et reçoit ce qu’il s’attend à recevoir.

Une fois commencées, les brimades peuvent aussi s’aggraver. Il arrive souvent que d’autres jeunes du groupe, qui n’agiraient pas d’eux-mêmes, s’y mettent aussi. Surtout parce qu’ils espèrent recueillir autant d’applaudissements que leur modèle. Quand la persécution dure un certain temps, les victimes ont l’impression d’avoir beaucoup de jeunes sur le dos, parfois même toute la classe. La persécution démarre donc bien entre le persécuteur et sa victime, mais les autres l’entretiennent. En outre, peu de jeunes sont prêts à lutter contre cette violence. La plupart ont peur de perdre leur influence, ou craignent d’être la prochaine victime. D’autres ne se sentent simplement pas capables d’agir correctement. Et sans que l’on s’en rende compte, l’ambiance du groupe se tend, et chacun est sur ses gardes. La victime n’est alors plus seule à souffrir des brimades, les autres membres du groupe en souffrent aussi. Si on laisse libre cours aux brimades, les choses ne s’amélioreront pas d’elles-mêmes. C’est justement pour cela qu’il est important de faire quelque chose.

Et toi, que peux-tu faire ?

Il y a en fait des tas d’élèves qui ne sont pas d’accord avec ces persécutions. 82% des jeunes de l’enseignement secondaire admettent que ça les ennuie de voir quelqu’un se faire malmener et 90% disent qu’ils ne comprennent pas (vraiment) les persécuteurs. La plupart estiment aussi qu’il faut faire quelque chose. Et pourtant, ça n’a pas l’air aussi simple d’intervenir. 40% des jeunes disent qu’ils essaient d’intervenir. Mais, 40% disent aussi qu’ils ne parviennent pas à rien faire, même s’ils trouvent ça nécessaire.

Que faire contre les brimades ? Il y a plusieurs possibilités !

Tu peux réagir directement contre le persécuteur. Manifeste ta désapprobation et donne ton avis sur ce qui est arrivé. Si tu n’es vraiment pas d’accord avec la « mauvaise blague », dis que tu ne comprends pas où est le plaisir. Aie le courage de tes opinions et ne te laisse pas utiliser. Ne t’adresse pas seulement au persécuteur, mais aussi aux jeunes qui sont sous son influence.

Tu peux aussi t’adresser à la victime, lui expliquer que d’autres élèves n’apprécient pas ce comportement et l’inclure dans ton groupe de copains. C’est très important pour éviter que le jeune malmené pense que tous les autres ne trouvent pas cela « normal ».

Si toi, la victime, ou les autres élèves, ne parvenez pas à faire cesser les brimades, tu peux t’adresser aux enseignants. Beaucoup d’élèves, surtout dans l’enseignement secondaire, ont du mal à le faire. Ils pensent que « parler à un prof », c’est « cafarder ». Il y a pourtant une différence importante. Quand on moucharde, c’est pour mettre un élève en difficulté auprès d’un professeur, ou auprès de la direction. Si on parle de persécution avec un professeur, on le fait pour aider un copain à sortir de la difficulté et créer une situation plus sécurisante pour tout le monde.

Pour la même raison, tu devrais pouvoir en parler ouvertement en classe. Pas pour mettre la responsabilité sur le dos de quelqu’un d’autre – ça ne ferait pas avancer les choses – mais pour décider ensemble ce que vous pouvez faire contre cette violence et comment éviter qu’elle se reproduise. Si les moqueries et les brimades pourrissent l’ambiance de la classe, il ne faut pas t’y associer ; et, si tu veux que les choses changent, tu dois tout simplement en parler.