Fugues, ce qui pousse un jeune à s’enfuir.

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Personne n’a oublié l’incroyable épopée de Tiffany Warnotte, qui a disparu du domicile familial, à Vedrin, en août 2004. Alors que tout le monde avait imaginé le pire, que la police avait exploré toutes les pistes sans apporter le moindre élément de réponse, l’adolescente est subitement réapparue un vendredi de septembre 2005, plus d’un an après son départ. Elle avait tout simplement fugué et a erré pendant treize mois. Où ? Elle n’a jamais réellement expliqué ce qui lui était arrivé. Depuis, Tiffany a refugué.

Son histoire n’est pas courante, elle est même franchement exceptionnelle. D’après les statistiques de SOS jeunes, la majorité des fugues ne dure que quelques heures, voire une journée ou, au pire, deux à trois jours. Il est rarissime qu’elle dépasse les deux semaines. Mais, pour le jeune, comme pour sa famille, l’événement, quelle que soit sa durée, ne passe jamais inaperçu.

« La fugue est un acte interpellant », affirme Bénédicte Limbourg, assistante sociale à SOS Jeunes. « Sans dramatiser, le fait de quitter sa famille est grave. Le jeune se retrouve la plupart du temps dans la rue, sans argent, dans un milieu hostile qui peut être dangereux. La fugue n’est pas sans risques. L’ado transgresse quand même une loi de ses parents : jusqu’à 18 ans, il a besoin de l’accord parental pour partir. »

En réalité, la décision est bien souvent un message que le jeune envoie à ses parents. En partant, il espère une réaction de leur part. « La fugue est ambivalente », poursuit l’assistante sociale. « Si l’ado part, c’est qu’il a besoin de mettre une distance, de fuir un problème. La fugue, pour lui, est une solution, en tout cas, à court terme. Il ne voit que le problème et il l’exclut par la fuite. Mais le fugueur espère qu’on l’attende ou qu’on vienne carrément le rechercher. Un jeune qui s’enfuit sans que personne ne se préoccupe de lui a une souffrance en plus. Quasiment tous les fugueurs attendent qu’on viennent les récupérer et qu’on écoute leur douleur. »

De manière très étonnante, les équipes de SOS Jeunes sont confrontées à un phénomène plus interpellant encore : certains fugueurs se retrouvent à la rue parce qu’ils sont exclus du milieu familial par les parents eux-mêmes ! « Dans 25% des situations de rupture, ce sont les parents qui éjectent leur adolescent de leur maison », précise Bénédicte Limbourg. « Nous avons été surpris par ce taux élevé. C’est dire si cette période est difficile, tant pour les ados que pour les parents. Quand ceux-ci sont mis à mal dans leur façon d’éduquer, ils peuvent en arriver à ne plus savoir comment agir et à décider de contourner la difficulté en envoyant le jeune ailleurs, en refilant le problème à des gens qu’ils considèrent plus compétent qu’eux. On observe une forme de démission chez les parents ou, en tout cas, une perte de crédibilité par rapport à leurs capacités à éduquer leur ado. »

Or, les parents ne sont pas les seuls responsables du malaise des jeunes. Et il existe autant de facteurs de souffrance que d’adolescents. « Bien plus que la famille, le monde extérieur a un grand impact sur la jeunesse », pointe Alexis Jeunart, autre assistant social à SOS Jeunes. « Le monde extérieur, c’est la société, les réalités économique, sociale et culturelle : elles créent beaucoup de tensions dans les familles. Le jeune peut être sous pression par rapport à ses parents, mais si d’autres tensions extérieures s’ajoutent, celles-ci l’amènent à un état de surtension. La situation devient alors ingérable. Souvent, on remarque que ces facteurs s’entrecroisent, et il est très difficile d’en pointer un en particulier. C’est un ensemble d’éléments, comme la pression scolaire, qui perturbent l’adolescent. »

L’école, c’est aussi le groupe, les copains et copines qui prennent de plus en plus d’importance. « A l’adolescence, l’identification est primordiale », affirme Bénédicte Limbourg. « Se sentir humilié ou rejeté peut avoir des conséquences négatives. Or, les ados peuvent être très cruels entre eux. »

Autre source de pression : la vie amoureuse. « Ils en sont aux premiers développements de leur vie amoureuse et ils peuvent y vivre beaucoup de tensions, Ils sont à la recherche d’un idéal, mais ils sont confrontés à de douloureuses réalités. »

Les adolescents éprouvent beaucoup de difficultés à confier leurs tracas amoureux. « Les jeunes en parlent peu, effectivement. Dans l’explication de leur malaise, ils mettent d’abord en avant leurs relations avec les parents, un peu celles avec les amis, mais très rarement les relations amoureuses. Depuis que nous avons ouvert le site « fugue.be », on se rend compte que les ados se préoccupent beaucoup plus des rapports avec leur famille. »

La communication avec les parents est souvent difficile, pour ne pas dire rompue. « Le dialogue n’est pas toujours verbal », nuance l’assistante social. « Mais, parfois, par manque de temps, les parents passent à côté. Parmi les facteurs qui compliquent le passage de l’adolescence et qui peuvent mener à une fugue, les problèmes de couple des parents et les difficultés économiques que rencontre la famille ont une importance non négligeable. Dans une grande ville comme Bruxelles, beaucoup de familles vivent dans la précarité. »

Comme le fait remarquer Alexis Jeunart, « s’entasser à cinq dans un 40 m² ne pousse pas à l’épanouissement. » Sans place, l’ado étouffe. « Beaucoup de jeunes se plaignent de ce manque d’espace », continue Bénédicte Limbourg. « A l’adolescence, on aime avoir sa chambre, où on peut développer son univers personnel. Certains jeunes n’ont pas de chambre du tout. »

Et, d’autres, paradoxalement, en ont trop ! Dans les statistiques de SOS Jeunes, on constate que la majorité des fugueurs vit en situation de famille monoparentale (souvent seul avec la mère) ou recomposée. « Parce qu’ils sont écartelés entre plusieurs familles, ils n’arrivent pas à trouver leur place », explique Alexis Jeunart. « Ils doivent chaque fois se resituer par rapport à des systèmes de vie différents. »

Cependant, « il ne faut pas généraliser non plus », prévient Bénédicte Limbourg. « Toutes les familles recomposées ne connaissent pas systématiquement des ennuis avec leurs ados. Plus l’écart entre la façon dont les parents ont vécu leur adolescence et la façon dont les adolescents vivent la leur est grand, plus les difficultés sont susceptibles d’apparaître. » Mais, avec le dialogue et la négociation, il y a le moyen de traverser cette phase en douceur.