Il faut lire l’évangile cinq fois.

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Jésus en délivre.

A la première lecture, il apparaît comme une libération de la souffrance : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Lc 6, 22-23). Jésus, c’est évident, ne passe pas à côté de la souffrance. Son cœur en est blessé. Souvent, il guérit des malades sans qu’on le lui demande : la misère qui s’expose à sa bonté, cela suffit pour déclencher la toute-puissance. Il ne faut jamais oublier cette première impression. Jésus sera toujours, en premier lieu, notre libérateur grâce à son projet : la loi de l’amour qui libère de la loi de Moïse.

Jésus va plus loin.

A la deuxième lecture, quand on réfléchit, on est intrigué et la première impression se complique. D’abord, Jésus ne guérit pas tout le monde : « on lui amenait tous les malades… et il en guérit beaucoup » (Mc 1, 32-34). Imaginons les pensées de ceux qui ont vu leur voisin miraculé et eux pas… Dans un récit comme celui de Marc, les miracles n’ont qu’un but : obtenir l’acte de foi. Au centre de son évangile, quand Pierre a dit : « Tu es le Christ ! », les miracles cessent presque complètement. Enfin, les guérisons corporelles ne sont jamais que provisoires. Un jour ou l’autre, les rescapés – même Lazare et les deux autres « ressuscités » – sont morts pour de bon. Les faveurs miraculeuses n’étaient donc que des étapes, des signes d’une autre réalité, des signes d’un Dieu dont l’œuvre est en marche, des moyens accordés pour qu’on avance… vers quoi ?

Jésus les prend.

A la troisième lecture, l’attention trouve un nouveau centre d’intérêt : Jésus lui-même a-t-il profité de son pouvoir sur la souffrance ? Avec stupeur – cela doit nous étonner – nous constatons qu’il n’a fait aucun miracle pour se tirer d’affaire, pour échapper à la condition humaine. Intempéries, faim, sueur, fatigues : il a connu tout l’inconfort d’une existence pauvre. Quand la fidélité à sa mission aura accumulé sur sa tête les nuages de la haine et de la violence, il ira à sa mort, librement (il savait qu’il allait mourir), mais il connaîtra l’angoisse, la tristesse, la solitude, l’abandon de ses amis et même, après les injures et les tortures, la tentation du désespoir : « Lama sabachthani ? » Il a pris au sérieux la dure vie des hommes. Il n’a pas fait semblant. Notre souffrance, il l’a prise sur son dos.

Jésus les traverse.

Une quatrième lecture, plus profonde encore reporter sur tout l’évangile le regard de foi des premiers chrétiens. Ce Jésus dont on raconte la vie, c’est un vivant que Dieu a de nouveau rendu présent, après sa mort, parmi ses frères. C’est de lui que parlent, ouvertement ou par allusions, toutes les pages de l’évangile. Dans la parabole de la semence, c’est lui. Le sénevé, c’est lui. C’est lui encore le bon samaritain, le maître du festin et le père prodigue. Mais, c’est lui aussi qui souffre dans ses « membres », qui ne fait qu’un avec ces lépreux, ces paralysés, ces publicains et ces pécheurs, afin de les entraîner dans sa résurrection et dans son ascension.

Jésus continue.

Que nous vivions au temps de saint Paul ou de Benoît XVI, peu importe : nous n’avons pas connu Jésus-Christ dans sa chair mortelle, nous le connaissons et nous le touchons dans nos frères. « Jésus sera en agonie. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là » (Pascal). Jésus sera, jusqu’à la fin du monde, en acte de résurrection et d’ascension. Il ne faut pas le laisser travailler seul… Notre cinquième lecture de l’évangile, elle se fait dans le livre de la vie quotidienne. Sous nos yeux, tous les jours, le Christ souffre et le Christ guérit. Il combat son propre mal. Mais, il a besoin des hommes, ses frères, pour en devenir victorieux. La maman penchée sur le corps paralysé de Nadine, désinfectant les escarres purulentes, c’est à la fois le geste de Jésus touchant le lépreux et celui des femmes lavant le corps de Jésus dépendu de la croix. L’infirmière passant sur le visage moite de la nonagénaire du 26 un tampon imbibé d’alcool, c’est en même temps Marie acquiesçant à la mort de son fils et Jésus commandant à Lazare de sortir de sa tombe. Tom Dooley rendant une jambe à une petite Vietnamienne ou les chirurgiens de Laënaec opérant le cœur malformé de Géraldine, c’est Jésus rendant à Jaïre sa fillette vivante, mais c’est aussi l’apôtre Jean contemplant dans « celui que nous avons transpercé » l’Homme-Dieu, promesse de résurrection.