Principe de plaisir contre principe de réalité, Bettelheim

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En s’identifiant avec les « trois petits cochons », l’enfant apprend qu’une évolution est possible, que l’on peut passer du principe du plaisir au principe de réalité qui, après tout, n’est qu’une modification du premier. L’histoire des trois petits cochons évoque une transformation qui permet un accroissement de plaisir, parce que la satisfaction est alors recherchée en tenant compte des exigences de la réalité. Le troisième petit cochon, intelligent et enjoué, roule plusieurs fois son ennemi : d’abord quand le loup essaie par trois fois de l’attirer hors de la maison où il est en sécurité, en faisant appel à son avidité orale, lui proposant des expéditions à des endroits où ils trouveront tous deux une nourriture délicieuse. Le loup le tente avec des carottes, qui ont peut-être été volées, puis avec des pommes et enfin avec la perspective d’une visite à la foire.
Ce n’est qu’après ces tentatives inutiles que le loup passe à l’action meurtrière. Mais, pour l’attraper, il faut qu’il entre dans la maison du petit cochon, et une fois de plus, c’est ce dernier qui gagne, car le loup tombe dans la cheminée, plonge dans une marmite d’eau bouillante et fera un excellent plat de viande cuite pour le petit cochon. Justice est faite : le loup, qui a dévoré les deux autres petits cochons et qui voulait manger le troisième, sert lui-même de nourriture à son vainqueur. L’enfant, qui, tout au long de l’histoire, a été invité à s’identifier avec l’un des protagonistes, non seulement est laissé avec de l’espoir, mais apprend que, en développant son intelligence, il peut venir à bout d’adversaires plus forts que lui.
Si on part de l’idée que, d’après le sens de la justice des primitifs (et de l’enfant), seuls ceux qui ont fait quelque chose de vraiment très mal doivent être détruits, la fable semble enseigner qu’il est très mal de jouir de la vie quand il fait beau, comme en été. Il y a pire : la fourmi de la fable, par exemple, est un animal odieux, sans aucune pitié envers la cigale qui meurt de faim, et c’est ce modèle que l’on demande à l’enfant de prendre en exemple. Le loup, au contraire, est de toute évidence un animal méchant, qui cherche à détruire. La méchanceté du loup est quelque chose que le jeune enfant reconnaît en lui-même : son envie de manger goulûment, et sa conséquence, l’angoisse d’avoir peut-être à subir lui-même le sort du loup. Le loup est ainsi une personnification, une projection de la méchanceté de l’enfant, et l’histoire lui dit comment il peut se tirer d’affaire d’une façon constructive.
Les différentes sorties au cours desquelles l’aîné des cochons va chercher sa nourriture en toute sécurité sont une partie de l’histoire que l’on peut facilement négliger mais qui est très significative : elles montrent qu’il y a une différence immense entre dévorer et manger. L’enfant, dans son subconscient, comprend que c’est la même différence que celle qui existe entre le principe de plaisir incontrôlé, qui pousse à dévorer tout ce qui se présente, en ignorant les conséquences possibles, et le principe de réalité, sur lequel se conforme celui qui va intelligemment chercher sa nourriture. Le petit cochon le plus mûr se lève de bon matin pour pouvoir rapporter à la maison les victuailles avant que le loup apparaisse. Est-il possible démontrer la valeur de l’action fondée sur le principe de réalité, et sa nature même, mieux qu’en racontant cette histoire du petit cochon qui se lève à l’aube pour se procurer des provisions savoureuses, tout en s’offrant le luxe de déjouer les mauvais desseins du loup ?
Dans les contes de fées, c’est, d’une façon typique, le plus jeune enfant, qui est laissé de côté ou méprisé au début de l’histoire, qui, à la fin, remporte la victoire. « Les Trois Petits Cochons » échappent à la règle puisque c’est l’aîné des trois compagnons qui, d’un bout à l’autre du conte, se montre supérieur. Cela peut s’expliquer par le fait que les trois cochons sont « petits », donc immatures, comme l’est l’enfant lui-même. L’enfant s’identifie avec chacun d’eux tour à tour et reconnaît les différentes étapes de la route qui mène à l’identité. « Les Trois Petits Cochons » sont un conte de fées parce que la conclusion est heureuse et que le loup a le châtiment qu’il mérite.