La socialisation, Dr P. Gosling

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Vers quatre et cinq ans, l’école arrache l’enfant à sa famille et à son repliement sur la seule famille. Il n’y a plus les parents, les frères ou les sœurs qui lui tiennent à cœur, mais les autres qui ne sont pas membres de la famille commencent à compter pour l’enfant. C’est une étape importante car l’enfant va devoir accepter que le monde ne tourne pas autour de lui. Il va devoir s’insérer dans la société. Si, jusqu’à lors, sa famille avait fait l’effort de comprendre ses premiers mots, les autres auxquels il va être confronté ne le feront pas. L’enfant va devoir apprendre le langage commun aux hommes et surtout comprendre que les autres ne vont pas admettre de faire ses caprices. Cette première confrontation avec l’autre va rapidement tourner à la confrontation avec l’autorité. Cette confrontation est nécessaire car elle permettra à l’enfant de comprendre ce qui est admis et ce qui ne l’est pas, ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas.

Ainsi, l’enfant, en s’opposant et en rencontrant d’autres enfants qui s’opposent à lui, va devoir faire le cruel apprentissage qu’il n’est pas un dieu mais bien un homme limité par les autres et que le monde ne tourne pas autour de lui mais autour de la société. Il arrive que des enfants refusent d’admettre cette réalité. C’est alors le début d’une révolte qui parfois se termine de manière tragique soit par le rejet des autres, soit par le rejet de la société qui l’entoure. On parle alors de processus d’asocialisation. C’est ce processus qui est souvent à la base de nombreux conflits entre les adolescents et les personnes qui représentent le pouvoir en place comme notamment les professeurs. S’opposer aux professeurs, c’est finalement s’opposer à la société qu’ils représentent avec tout son cortège d’interdits et de limites qu’on ne peut pas dépasser et contre lequel l’enfant essaye de se révolter.

Qu’est-ce que la socialisation ?

Le processus de socialisation s’apparente à une période d’apprentissage pendant laquelle l’individu est amené à acquérir les valeurs, normes et rôles sociaux propres à ses groupes d’appartenance dans une société donnée. Les relations de l’individu avec ces différents modèles de comportement constituent autant de formes variées d’intégration qui vont influencer sa personnalité et son développement psychologique et social. Les psychologues sociaux considèrent généralement trois systèmes référentiels principaux dans lesquels la socialisation s’exerce.

C’est grâce à son entourage familial que l’enfant connaît sa première expérience sociale. Les rôles de parents qui sont assumés à son égard seront pour lui des points de repère fondamentaux (qui garde l’enfant, qui prépare les repas, autorise-t-on la télévision ?, etc.) De plus, le groupe familial permet une transmission des modes de pensée et d’action de la société dans laquelle il se trouve inséré (heures des repas, règles de politesse, etc.).

L’entrée à l’école est l’occasion pour le jeune enfant de découvrir de nouveaux modèles de comportement notamment dans ses relations amicales. Son insertion dans des groupes de pairs modifie considérablement ses conduites, puisque c’est à ce moment que naît la conscience de la réciprocité et du contrat. L’école permet aussi, à travers sa fonction d’éducation, la transmission des valeurs d’une société et le développement chez l’enfant d’états intellectuels et moraux (Durkheim, 1968).

Les auteurs utilisent le terme de socialisation organisationnelle pour désigner les facteurs qui agissent sur l’acquisition des règles et modèles propres à une organisation (Baron, 1986). Toute personne nouvelle dans une entreprise doit être capable d’exécuter les tâches qui lui incombent, mais aussi de se comporter en fonction des normes et valeurs en vigueur dans l’organisation. Ainsi, au cours de sa carrière professionnelle, un individu peut être  amené à modifier plusieurs fois ses valeurs et attitudes. De ce point de vue, la socialisation apparaît comme un processus permanent et fondamental aussi bien pour l’enfant ou l’adolescent que pour l’adulte (Dion, 1985).

La socialisation constitue donc un premier aspect de l’intégration de l’individu dans ses rapports avec les groupes auxquels il est confronté. Ces nécessités sociales se complètent avec d’autres, liées à des motivations et des pulsions sous-jacentes qui renvoient à la notion de sociabilité.

Qu’est-ce que la sociabilité ?

La notion de sociabilité recouvre les besoins fondamentaux de l’être humain dans sa relation aux autres. La sociabilité d’un individu s’exprime en relation avec son besoin des autres, sa tendance à entrer en contact avec eux (besoin d’inclusion), à les utiliser (besoin de contrôle) et à les rechercher pour s’associer avec eux (besoin d’affection). Ce contact permanent avec les autres qui débute dès la naissance revêt un caractère vital exprimé par la notion d’attachement (Moser, 1994).

L’attachement est une notion essentielle en psychanalyse. Elle a été proposée par Bowlby (1978) pour désigner « l’existence de conduites primaires de recherche de l’autre » (Aebischer et Oberlé, 1990, p.48). Le bébé est en effet d’emblée avide de contacts et de relations avec son entourage. Ces relations entre l’enfant et ses parents sont avant tout des conduites interactives marquées par la réciprocité. Par ses cris et ses rires, l’enfant incite ces parents à réagir, à lui répondre. Une dimension affective se développe alors entre les différents partenaires qui ont tous un rôle actif.

L’attachement premier prépare ainsi à l’intégration sociale, à la socialisation de l’enfant, c’est-à-dire à l’intériorisation de valeurs sociales.

Appartenir à un groupe.

Les groupes sociaux sont une caractéristique fondamentale de notre environnement. Il y a ceux auxquels on appartient, dont on est membre, les groupes d’appartenance, et ceux auxquels on n’appartient pas, les groupes de non-appartenance.

Le fait d’appartenir à tel groupe va nous donner un sentiment de NOUS par opposition à la non-appartenance dans le cas de groupes extérieurs, qui donnent un sentiment de EUX.

La notion de groupe désigne ici aussi bien des groupes concrets que des catégories sociales ou encore des rôles et des positions en vigueur dans une culture donnée. On fait donc référence à des distinctions aussi variées que le sexe, l’âge, la religion, la nationalité, les partis politiques ou encore la profession, etc.

On a longtemps pensé que seuls les groupes d’appartenance influent sur nos attitudes et valeurs. Cependant, la relation ou l’ancrage de nos comportements avec ces groupes n’est pas aussi claire. Des groupes dont on ne fait pas nécessairement partie ont tout autant d’effets.

Se référer à un groupe.

Tout groupe possède ses propres caractéristiques qui diffèrent d’un groupe à l’autre. Autrement dit, elles n’ont de sens qu’en rapport avec d’autres, c’est-à-dire lorsqu’elles font l’objet d’une comparaison évaluative. Les groupes de référence (d’appartenance ou de non-appartenance) permettent ce processus de comparaison sociale. Les groupes de références sont en fait « les groupes auxquels l’individu se rattache personnellement en tant que membre actuel ou auxquels il s’identifie ou désire s’identifier » (Sherif, 1956, p.175). Les groupes de référence nous donnent donc la possibilité d’évaluer nos conduites, nos opinions. En même temps, les normes et valeurs qu’ils proposent ont une influence sur nos comportements et attitudes. Ils remplissent deux fonctions : comparative et normative (Kelley, 1952).

Fonction comparative du groupe.

C’est notre besoin d’évaluation qui nous amène à nous comparer aux autres. Lorsqu’il s’agit d’évaluer nos capacités intellectuelles par exemple, il existe des moyens objectifs. Par contre, en ce qui concerne nos opinions, nos jugements de valeur, seul autrui peut nous y aider (Festinger, 1954). C’est là une des fonctions principales des groupes de référence.

Hyman (1942) est le premier à avoir utilisé ce terme dans le cadre d’une étude sur le statut socio-économique et plus exactement sur l’évaluation que les individus font de leur position sociale. On s’aperçoit que l’évaluation par un individu de son propre statut dépend des autres personnes avec lesquelles il choisit de se comparer. Ces autres personnes forment un groupe de référence pour lui. Autrement dit, le statut qu’une personne pense avoir (statut subjectif) ne correspond pas forcément à son statut réel, objectif mesuré par des critères sociaux et économiques tels que le revenu, le niveau scolaire, la profession, etc. Cela dépend des groupes sociaux que la personne prend en considération pour s’auto-évaluer. Ceux-ci peuvent très bien ne pas être des groupes auxquels la personne appartient. Elle s’en sert seulement pour former des jugements. D’autres processus comme la différenciation catégorielle sont mis en œuvre lorsque la comparaison se fait avec des groupes de non-référence, antagonistes.

Fonction normative du groupe.

Toutes les fois qu’il le peut, un groupe établit des normes et des modèles qu’il tente d’appliquer à ses membres afin de les conformer. Les groupes d’appartenance mais aussi les groupes de référence sont susceptibles de remplir cette fonction. Ils peuvent donc recevoir l’adhésion d’une personne qui devra, si elle veut être acceptée, être conforme dans ses comportements et attitudes aux normes en vigueur.

Alors qu’il était enseignant aux Etats-Unis, Newcomb (1943) a pu observer ce phénomène chez des étudiantes. Ces dernières avaient modifié leurs attitudes et opinions politiques de manière à être reconnues par le groupe de professeurs qui était devenu leur nouveau groupe de référence. Souhaitant adhérer aux positions plus modernes de cette catégorie, elles abandonnaient progressivement les positions plus conservatrices qui étaient les leurs et celles de leurs familles.
Lorsque le groupe d’appartenance d’un individu sert aussi de groupe de référence, ce qui est le plus souvent le cas, ces deux fonctions permettent un processus d’intégration. Mais, il arrive que le groupe de référence d’une personne soit différent de son groupe d’appartenance.

Se détacher d’un groupe.

Une peut se conformer, non aux opinions et valeurs de son groupe d’appartenance mais à celles d’un autre groupe qui n’est pas le sien et dont elle souhaite faire partie, soit parce que celui-ci peut lui apporter davantage de prestige et de reconnaissance sociale, soit parce que sa position dans son groupe d’appartenance ne lui convenait pas. Quelles que soient les raisons invoquées, la personne devra adapter ses attitudes et opinions aux normes du nouveau groupe. Le choix que fait un individu de quitter son groupe d’appartenance pour un autre est à mettre en relation avec le phénomène de mobilité sociale (Aebischer et Oberlé, 1990).

Etant donné que l’individu n’obéit plus aux exigences de son groupe d’appartenance, avec lequel il entre en non-conformité, il risque d’être rejeté. En même temps, le nouveau groupe auquel il aspire peut lui être inaccessible ou inhospitalier. Celui-ci peut en effet ne pas lui accorder la reconnaissance attendue et donc refuser son intégration. Cette situation ambiguë peut provoquer un sentiment de « haine de soi », de désindividuation. En tenant son groupe d’appartenance pour responsable de sa non-intégration, l’individu va avoir tendance à le dénigrer mais aussi à s’auto-accuser et par là même à se marginaliser.