Bettelheim, sortir de l’oralité, « Jeannot et Margot »

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Quand il a surmonté ses difficultés œdipiennes, maîtrisé ses angoisses orales, sublimé ses désirs qu’il ne peut satisfaire de façon réaliste, et appris que le caprice doit être remplacé par l’action intelligente, l’enfant est prêt à revivre heureux avec ses parents. C’est ce qui est symbolisé par le trésor que Jeannot et Margot viennent partager à la maison avec leur père. Au lieu d’attendre de ses parents tout ce qui est bon, l’enfant, à partir d’un certain âge, doit être capable d’apporter sa contribution à son bien-être affectif et à celui de sa famille.
« Jeannot et Margot » commence banalement avec les soucis d’une famille de pauvres bûcherons qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts et se termine d’une façon aussi terre à terre. Tout en racontant que les deux enfants rapportent à la maison une quantité de perles et de pierres précieuses, l’histoire ne dit pas que la façon de vivre de la famille ait été changée sur le plan économique. Cela accentue la nature symbolique des bijoux. Le conte conclut : « De leurs soucis, dès lors, ils ne surent plus rien ; et ils vécurent ensemble en perpétuelle joie. Mon conte est fini, trotte la souris, celui la prendra pourra se faire un grand bonnet, un grande bonnet de sa fourrure, et puis voilà ! » Rien, si ce n’est les attitudes intérieures, n’a été modifié par la fin du conte. Les deux enfants ne seront plus jamais chassés, abandonnés, perdus dans l’obscurité de la forêt ; ils ne chercheront plus jamais la miraculeuse maisonnette de pain d’épice. Et, s’ils la rencontrent, ils n’auront plus jamais peur de la sorcière puisqu’ils se sont prouvés qu’en unissant leurs efforts ils peuvent être plus malins qu’elle et la vaincre. L’esprit d’entreprise, qui permet de tirer quelque chose de bon d’un matériel qui ne promet rien (comme le fait de se servir intelligemment de la fourrure d’une souris pour en faire un bonnet), est l’avantage et le véritable accomplissement de l’enfant d’âge scolaire qui a passé outre et maîtrisé les difficultés œdipiennes.
« Jeannot et Margot » est l’un des nombreux contres de fées où deux enfants de la même mère s’entraident pour se tirer d’une situation dangereuse et réussissent grâce à leurs efforts combinés. Ces histoires orientent l’enfant vers le dépassement de sa dépendance immature vis-à-vis de ses parents et vers un stade supérieur de développement et apprécier également l’appui de ses camarades du même âge. Souvent, l’enfant d’âge scolaire ne peut pas encore croire qu’il sera un jour capable d’affronter les réalités de la vie sans l’aide de ses parents. C’est pourquoi il tend à s’accrocher à eux plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Il a besoin de savoir qu’un jour ou l’autre il dominera les dangers du monde – même s’ils se présentent sous une forme exagérée par ses appréhensions – et qu’il en sortira enrichi.
L’enfant n’envisage pas les dangers existentiels d’une façon objective, mais fantastiquement exagérée par ses peurs immatures – personnifiées, par exemple, par une sorcière mangeuse d’enfants. « Jeannot et Margot » encourage l’enfant à explorer tout seul les produits de son imagination angoissée. Ce conte, comme d’autres qui lui ressemble, le persuade qu’il peut venir à bout non seulement des dangers réels dont lui parlent ses parents, mais aussi de ceux, fortement exagérés, dont il redoute l’existence.
La sorcière, telle qu’elle existe dans les fantasmes angoissés de l’enfant, le hantera et lui fera peur. Mais, une sorcière qu’il peut pousser dans un four et brûler vive est plus rassurante : l’enfant sait qu’il est capable de s’en débarrasser. Tant que les enfants continueront de croire aux sorcières – ils y ont toujours cru et y croiront toujours, jusqu’à l’âge où ils ne sont plus obligés de donner une apparence humaine à leurs appréhensions informes – ils auront besoin d’entendre des histoires où des enfants, par leur ingéniosité, se débarrassent de ces personnages qui sont sortis de leur imagination pour les persécuter. Ce faisant, comme Jeannot et Margot, ils enrichissent énormément leur expérience.