P. Gosling, le bouc émissaire

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La théorie du « bouc émissaire » correspond à une extension, au niveau des relations intergroupes[1], de la théorie « frustration-agression »[2] (Dollard, Doob, Miller, Mowrer & Sears, 1939). Selon cette théorie, l’agression est directement et systématiquement produite par la frustration. Lorsque des individus sont frustrés dans l’atteinte d’un but, ils subissent une frustration qui entraîne un besoin d’agression dirigée vers la source de la frustration. Cette agression a pour finalité de supprimer la cause de la frustration. Toutefois, si la source de la frustration devient trop puissante, une tentative d’agression sur cette cible devient risquée. Les individus frustrés détourneraient leur agression vers d’autres cibles beaucoup moins puissantes qui assumeraient le rôle de bouc émissaire. L’agression, alors même qu’elle n’est pas orientée vers la cible responsable de la frustration, aurait une fonction cathartique : elle permettrait aux individus d’évacuer leur besoin d’agression. Dans ce cadre, ce sont les hors-groupes[3] les plus faibles et les plus différents par rapport à l’intra-groupe[4] qui seraient préférentiellement choisis comme cible d’agression.

Chrétiens accusés de l’incendie de Rome sous Néron, sorcières ou juifs accusés de propager la peste et d’empoisonner les puits au Moyen Age, « immigrés » responsables de l’insécurité et du chômage aujourd’hui… l’histoire est remplie de ces individus ou de ces groupes désignés comme responsables des malheurs qui frappent la communauté et « sacrifiés » à l’ordre social. On peut multiplier les exemples où le modèle du « bouc émissaire » fonctionne effectivement, en canalisant la violence d’une société et en la polarisant sur un groupe particulier qui se trouve ainsi stigmatisé.

A titre d’exemple, on est souvent frappé par le lien entre crise économique et montée du racisme. Selon la théorie du bouc émissaire, l’augmentation du racisme serait due à la frustration économique qui amènerait les individus frustrés à agresser les hors-groupes (juifs, maghrébins, noirs, francs-maçons, homosexuels, handicapés, etc.).


[1] Sheriff (1966), puis Tajfel (1982), en proposait la définition suivante : « A chaque fois que des individus appartenant à un groupe interagissent, collectivement ou individuellement, avec un autre groupe ou avec ses membres en termes de leur identité groupale, nous avons un cas de comportement intergroupe. »

[2] En psychanalyse, cette tendance affective traduit une hostilité du sujet à l’égard de l’autre (voire parfois de soi-même). L’agressivité apparaît tôt dans le développement psychique (agressivité orale du bébé qui mord, ou veut fantasmatiquement dévorer le sein maternel par exemple). Si l’agressivité infiltre la vie psychique ainsi que parfois certaines conduites de l’individu – envers l’autre (hétéro-agressivité, comme donner un coup de poing à autrui) ou soi-même (auto-agressivité, comme se ronger les ongles) – elle se distingue néanmoins de la destructivité, davantage issue de la déliaison pulsionnelle qui se réalise alors au profit de la pulsion de mort (comme par exemple dans le crime violent ou même dans l’anorexie mentale sévère).

[3] Le hors-groupe correspond à ce qui n’est pas l’intra-groupe (ce qui pourrait se traduire par le « eux »).

[4] Pour un individu donné, l’intra-groupe correspond au groupe auquel il appartient et aux membres qui composent ce groupe (ce qui pourrait se traduire par le « nous »).