La violence

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Document 1 : Grossier ou pas, restons courtois !

« Etre grossier, est-ce poli ? » interrogeait ironiquement un professeur de français québécois lors d’une conférence belge sur la politesse. A voir le nombre de gros mots dans les conversations courantes, on aurait tendance à lui répondre par l’affirmative. Mais, bordel, où sont les limites ?
« T’es qu’une pute ! » crie régulièrement Jérôme à sa sœur aînée, quand elle « exagère ». Elle ne devrait pas, c’est vrai, gagner au Monopoly, verrouiller la porte de sa chambre ou encore, crime suprême, accuser son cadet de tricherie… . Mais de là à l’affubler d’un tel nom d’oiseau ! Et à leur mère, dont les sourcils se froncent inévitablement, le petit bonhomme, au sommet de l’exaspération, lance un « merde » royal qui n’a pour effet que de déclencher un cri de consternation. Pour l’attitude, pas pour le langage. Car l’excuse est classique : « Tous ces mots, il les apprend à l’école. Ils parlent tous comme cela. » A 6 ans ! Quand ce n’est pas plus tôt.
Les constats d’anciens – disons 40 ans et plus – abondent. Quand ils comparent les excès de langage qu’ils s’autorisaient, jeunes, et le flot de grossièretés que leur progéniture profère, la tête leur tourne. Pourtant, aucune étude ne confirme l’augmentation de la grossièreté verbale par rapport au langage des générations précédentes, pour la simple raison qu’aucun observatoire scientifique ne semble relever la fréquence des « gros mots » dans le langage parlé. Et, d’ailleurs, les spécialistes du langage ne sont pas spécialement outrés.
« Tout en constatant l’existence de normes sociales qui déterminent le comportement des locuteurs, les socio-linguistiques ne traitent pas le phénomène de la politesse ne termes de norme linguistique, explique Vincent Giroul, assistant au centre de recherches Valibel (variétés linguistiques du français en Belgique) de l’UCL. L’évolution constante du langage fait que l’effet de certains mots ressentis comme grossiers s’uses avec le temps, et cette époque-ci ne présenterait pas d’augmentation particulière du phénomène. En revanche, le repérage des situations et de la distance à adopter face à l’interlocuteur est de plus en plus difficile. »

« Con ! » : démodé ?
En d’autres termes : que le mot « con » – pour recourir au plus courant – soit aujourd’hui dénaturé, et qu’il faille, pour choquer l’interlocuteur, y trouver un substitut plus pornographique ou plus méprisant tiendrait donc uniquement de l’évolution « normale » et irrépressible du langage. Quel adulte n’a d’ailleurs jamais exigé de ses enfants qu’ils rangent « leur bordel » ou qu’il regardent un programme télévisé moins « chiant », sans aucune référence à la signification première des termes ? Lâcher ces mots à l’adresse d’un professeur ou dans une cérémonie officielle reflète, par contre, une difficulté latente à respecter la distance exigée par les circonstances.
Comme l’indiquent les innombrables rapports de réunions, les professeurs, les directeurs d’école et les parents s’inquiètent d’un manque de respect généralisé de la part des plus jeunes, mais ils ne trouvent pas la méthode adéquate pour redresser la barre. « Les enseignants me disent que leurs élèves ne savent plus respecter les codes de politesse ou de savoir-vivre en société, que ce soit dans le langage parlé, dans l’habillement, dans l’usage des biens publics ou par rapport aux règles de discipline, relate Guy Bajoit, professeur de sociologie à l’UCL. C’est un phénomène fort récent. Il y a trente ans, ce genre de déviance était tellement puni qu’il était très coûteux de violer les règles. Aujourd’hui, la volonté des adultes d’exercer une répression sur quelque déviance que ce soit s’affaiblit. » Peu enclin, dans sa profession, à porter des jugements, il ne les blâme pas pour autant : « Les adultes sont moins sûrs de leurs propres normes, liées elles-mêmes à une société qui n’est plus d’actualité », explique-t-il.
A en croire les spécialistes de l’éducation, le choix de mots injurieux n’est jamais, en tout cas, innocent ni inoffensif. « Il existe une diversité de motivations à l’énonciation de grossièretés », explique Assad Elia Azzi, doyen de la faculté des sciences psychologiques et de l’éducation à L’ULB. En général, dire un gros mot, c’est cool ! Mais, dans certaines situations, la grossièreté est prononcée intentionnellement dans le but de blesser. » Et dans ce cas-là, elle s’apparente à de la violence. A bannir, donc sans exception. « Mettre dans le même sac grossièreté et violence est un bon moyen de tracer les limites », souligne le Pr. Azzi, en référence à l’amalgame généralement effectué dans les règlements scolaires.
En agissant ainsi, les établissements répondraient également au secret désir des jeunes. « Aujourd’hui, la norme sociale n’est plus « fais ton devoir » mais « sois toi-même », ce qui mécontente les jeunes dans un sens, parce qu’ils ont besoin de balises », estime Guy Bajoit. Les linguistes modernes, dont l’attitude se démarquent pourtant de l’approche normative de certains de leurs prédécesseurs, s’intéressent aussi à la demande du public. Au lendemain du colloque Politesse et idéologie organisé à l’UCL en 2000, le département d’études romanes a mis sur pied, dans son service de formation en communication orale, un module traitant de la politesse à l’intention des entreprises ou des enseignants. « Nous avons accueilli, par exemple, un groupe de guichetiers d’une entreprise de transports publics, directement en contact avec la clientèle. Il s’agissait de leur apprendre à discerner, entre autres, les situations où une distance par rapport au client s’imposait, les procédés linguistiques traduisant cette distance, la présence d’agressivité dans certaines façons de parler, les différentes manières d’y réagir, etc. », raconte Vincent Giroul.

Jacouille, Haddock, Dechavanne et les autres.
L’inventivité en matière de grossièreté semble en tout cas sans limite : de saperlipopette à foutre, en passant par caramba, caca-pipi-prout, ou pédé sexuel (sic !), où vont-ils donc les trouver ? « Il est vrai que les gros mots font souvent références à des fonctions physiologiques particulières qui garantissent un effet, explique Véronique Descoeudres dans la revue Petite Enfance, au terme d’une étude de terrain dans des écoles suisses. Mais, à chaque époque, les gros mots se sont focalisés sur ce qui était tabou ou sacré, comme la religion ou la maternité. Ils n’étaient alors pas sales. Ce sont la saleté, la sexualité, les fonctions excrétoires qui sont les tabous d’aujourd’hui. »
Une autre influence négative, souvent citée par les puristes du langage, proviendrait d’Internet qui, d’une part, favorise la diffusion rapide et incontrôlée du vocabulaire et, d’autre part, encourage les échanges linguistiques informels. « Le courrier électronique enlève une part d’inhibition de certains individus, reconnaît Vincent Giroul, comme si le clavier aidait à sortir de soi-même. »
Pourtant, sa consœur Hillary Bays a étudié quelque 400 échantillons de messagerie instantanée et elle y a retrouvé la même « politesse positive » – celle qui tend à complimenter l’interlocuteur, notamment par l’adjonction d’icônes- que dans les échanges verbaux entre intimes et connaissances. « La politesse est sous-jacente à chaque interaction comme une structure de grammaire se trouvant à la base de chaque énoncé verbal », ajoute-t-elle, à la surprise, renvoyant aux oubliettes le spectre de l’internaute perdant tout sens de civisme derrière son écran.
En revanche, le fantôme de l’amateur de « musique moderne », blasé et isolé, s’impose. « Quoi qu’on dise sur toi, t’es ma salope à moi », chante Doc Gynéco, plébiscité par des milliers de jeunes. Ce mélange de tendresse et de parler cru rappelle celui de Renaud, quand il traitait de « petite conne » une victime de la drogue, mais il s’oppose à la colère de Florent Pagny contre les journaux à sensation : « Presse qui roule me casse les couilles. » Gentil, comparé au groupe NTM et à son mémorable conseil « écarte ton trou de balle, mon nom est Shen, inventeur de la sodomie verbale. » Entre mille autres exemples… .
« Il existe indéniablement une nouvelle manière de s’exprimer, perceptible non seulement dans la musique mais aussi à tout moment dans les médias, lors de débats télévisés ou de films, par exemple », affirme le Pr. Azzi. Autant d’événements régis, joués et habités pourtant par de véritables bachi-bouzouks d’adultes, qui ne trouvent plus dans le vocabulaire courtois les mots propices. Foutu monde !