La révolution néolithique

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Six mille ans avant notre ère, une « révolution » parcourt la planète. Pour la première fois dans son histoire, l’homme cesse d’être un prédateur pour devenir un producteur : il se met à cultiver.

Depuis leur apparition, voilà six millions d’années, les hommes ont vécu de chasse, de pêche et de cueillette. L’homme moderne, Homo sapiens, se forme progressivement dans un environnement hostile, celui de la dernière glaciation de Würm. 10.000 ans avant notre ère environ, le climat se réchauffe peu à peu. Les glaces fondent, les niveaux marins remontent, de grandes forêts de feuillus et de conifères apparaissent, les animaux des temps glaciaires comme les mammouths meurent en Sibérie ou en Amérique du Nord, migrent vers le nord (rennes) ou se font plus rares (chevaux et bisons).

La dernière glaciation.

Depuis six millions d’années, l’histoire des hommes est rythmée par des alternances de périodes froides (les glaciations) et de périodes chaudes. Ces alternances semblent dépendre des modifications de l’inclinaison de la Terre par rapport au Soleil et de l’activité solaire. La dernière glaciation, celle de Würm, commence vers 110.000 ACN et s’achève vers 10.000. Le réchauffement est l’une des conditions nécessaires, sinon suffisantes, de l’apparition de l’agriculture. Avec le réchauffement, les glaces des pôles fondent, le niveau de la mer monte, pour atteindre sa cote actuelle quelques siècles avant notre ère. C’est pourquoi de nombreux sites se trouvent actuellement sous la mer. Depuis la fin de la glaciation, des oscillations climatiques de faible amplitude causent le recul continu des glaciers alpins ou la désertification du Sahel. Par ailleurs, aujourd’hui, l’homme est devenu capable d’influencer le climat : déboisements, irrigation, etc.

Peu après la dernière glaciation, dans plusieurs régions du monde, certaines sociétés humaines vont entreprendre de domestiquer les animaux et les plantes. Cette période est appelée le « néolithique » (le « nouvel âge de la pierre »), et l’on parle souvent de « révolution néolithique » pour ce mode de vie, dont l’importance pour l’humanité peut se comparer à la révolution industrielle.

Caractéristiques du néolithique.

Ce qui caractérise essentiellement le néolithique est l’établissement de nouvelles relations entre l’homme et le milieu naturel. L’homme, cessant d’intervenir uniquement au sein de celui-ci dans un sens destructeur, devient un producteur, en modifiant par son intervention le jeu de la sélection naturelle des espèces animales et végétales, et en favorisant la reproduction de celles auxquelles il porte un intérêt alimentaire. De nombreux procédés entrent ici en jeu : semailles de graines, création de milieux artificiels plus favorables par labour, irrigation, fumure pour les végétaux, pâturages ou étables pour les animaux.

Au néolithique, l’homme passe donc du stade de prédateur à celui de producteur. Il domestique les animaux qu’il ne faisait que chasser. Au lieu de pratiquer la cueillette, il prévoit peu à peu, prépare ses récoltes en semant des graines et améliore le milieu naturel par des labours, des boutures ou des travaux d’irrigation.

La fin du nomadisme.

A la fin du paléolithique, l’homme souvent nomade, à la recherche de nourriture, se mit à apprivoiser des animaux pour en faire l’élevage. C’était-là à nouveau une grande conquête sur la nature car il est plus facile de tuer un animal domestiqué qu’un animal sauvage. Le nomadisme était dû au fait que l’homme était obligé de suivre son troupeau à la recherche de nourriture. A ce stade de son évolution, l’homme présente déjà des comportements « capitalistiques » puisqu’il parvient, dans les bonnes années à accumuler non point ici des instruments de production mais du cheptel qui est capable de se reproduire et de se multiplier si les conditions climatiques le permettent. Cette capitalisation des moyens de production, ici le cheptel domestiqué, montre combien la notion d’accumulation des moyens de production est ancienne.

Le début de la sédentarisation.

Si la domestication d’animaux donne naissance à une première forme importante de capitalisation, il n’est pas douteux que la tendance à la sédentarisation, c’est-à-dire à l’abandon du nomadisme fut, pour l’homme une révolution plus grande encore dans son mode de vie. Lorsque l’homme se mit à la culture et à vivre une vie sédentaire, il produisit des instruments aratoires primitifs pour cultiver la terre. Il observa que la pluie favorisait la croissance des cultures. Il se mit à nouveau à inventer. Il creusa des puits, non seulement pour trouver de l’eau à boire aux abords des terrains fertiles, mais encore pour irriguer et arroser ses cultures. Ce progrès technique permit à l’homme, non seulement de nourrir et d’abreuver ses animaux mais encore de créer parfois des canaux d’irrigation pour fertiliser ses cultures. La construction de greniers, encore un progrès technique, permit à l’homme de stocker des céréales et d’assurer plus facilement sa subsistance jusqu’à la récolte nouvelle.

Une fois de plus, l’homme entre dans un allongement du processus de production. Au lieu de se rendre le matin à la cueillette pour en revenir le soir, il ensemence pour récolter des mois plus tard.

Les premiers villages.

A la fin du paléolithique, l’homme se mit à construire les premiers villages. Dans l’état actuel des recherches archéologiques, l’apparition des premiers villages s’explique de la façon suivante : des populations s’installent dans un habitat plus durable de pierres ou de torchis, groupés en hameaux, dans une région où la nourriture sauvage est abondante. L’invention de la domestication et de l’élevage, en garantissant des ressources stables, va considérablement accroître la taille des agglomérations. On passe d’ailleurs vite des huttes circulaires à des maisons quadrangulaires, dont la forme permet aisément d’ajouter des pièces supplémentaires au gré de l’augmentation de la cellule familiale.

Ainsi, dans l’Europe du centre et de l’ouest, on quitte la légère hutte de branchages recouverte de peaux pour de grandes maisons en torchis. La taille des villages augmente, jusqu’à atteindre dans certains cas, comme à Catal Höyük, en Anatolie, plusieurs milliers de personnes. Ce site, au sud de la Turquie, s’étend sur 7 hectares et compte un millier de maison. Mais, en règle générale, le village occupe 12 ou 15 hectares. Dans cette région du monde, les maisons sont en brique crue, de forme quadrangulaire, accolées les unes aux autres. Les toits en terrasse sont utilisés pour passer d’une maison à l’autre car il n’y a pas de rues.

Agriculture et évolution démographique.

L’invention de l’agriculture et de l’élevage assure alors aux hommes la sécurité alimentaire. La population fait un véritable bond. A la fin du paléolithique, il y a 30.000 ans, bien qu’Homo Sapiens fût présent dans tout l’Ancien Monde, en Australie et en Amérique, le genre humain ne comptait que 6 millions d’individus. Au néolithique, entre 8.000 et 6.000 av. J-C., la population représente environ 80 millions d’habitants.

Les premiers foyers néolithiques.

Les premiers foyers du néolithique sont au Proche-Orient, essentiellement dans la zone du Croissant fertile (Sinaï, Palestine, Syrie du Nord, Mésopotamie), en Iran et en Anatolie. La néolithisation touche à la même époque le Mexique et le Pérou; plus tard, ce sera la chine, l’Asie du sud-est et l’Afrique orientale. Ces foyers de sédentarisation sont liés à d’autres plantes sauvages que le blé : le millet puis le riz en Chine, le maïs ou les haricots en Amérique, le sorgho en Afrique.

L’aube de l’histoire, c’est l’apparition de l’agriculture lorsque le climat a commencé à se modifier et qu’il est devenu plus chaud et plus humide vers 10.000 av J-C. Cette grande césure dans l’histoire de l’humanité ne s’est donc pas instaurée très rapidement. Il a fallu que la nourriture végétale et le gibier se fassent plus abondants. Elle s’est développée cependant à partir de plusieurs foyers poussant devant elle ses céréales au fur et à mesure de ses déplacements – plantes sauvages utilisées longtemps avant d’être peu à peu cultivées-, ses animaux domestiques, ses arbres fruitiers, ses outillages, ses habitudes sédentaires.

Humanité et Croissant Fertile.

La sédentarisation a commencée non dans les plaines qu’on imaginerait à priori plus faciles à cultiver, mais sur les hautes terres que bordent le désert de Syrie ou les plateaux d’Anatolie ou d’Iran : c’est là en effet l’habitat naturel des moutons, chèvres, bovins et porcs, celui aussi des graminées sauvages, à des altitudes de 600 à 900 mètres; c’est là enfin que les eaux ruissellent avec une abondance relative, au pied des reliefs du Nord sur des pentes bien exposées, face au Sud ou à l’Ouest.

C’est dans cette zone appelée caractéristiquement le Croissant Fertile que l’agriculture a commencé sa longue carrière, à partir de trois régions privilégiées : les vallées et versants occidentaux du Zagros, la région montagneuse de la Mésopotamie turque et le sud du plateau anatolien.

Le début de l’agriculture dans le Croissant Fertile.

Vers 9.000 av. J-C, des groupes de chasseurs-cueilleurs se sédentarisent peu à peu dans une zone qui s’étend du Nil à l’Euphrate. Ils commencent par cueillir le blé et l’orge sauvages, puis les domestiquent comme ils le feront pour le mouton, pour la chèvre et, un peu plus tard, pour le bœuf, espèce déjà moins docile. Ils vivent dans des petites huttes circulaires à fondations de pierre, retrouvées à Jéricho. Ils modèlent des statuettes féminines aux traits sexuels marqués, souvent interprétées comme un culte de la fertilité en liaison avec le nouveau mode de vie.

Peu après 8.000 av. J-C apparaissent, dans la vallée du Jourdain, les villages de Nahal oren, sur le mont carmel, et de Beidha, près de Pétra. Vers 6.500 av J-C, la poterie apparaît à son tour, rendue nécessaire par la quantité croissante d’aliments à stocker et à cuisiner. Les communautés humaines qui se consacrent à l’élevage et à l’agriculture sont désormais sédentaires et les activités se différencient les unes des autres. On ne peut pas encore vraiment parler de « spécialistes », mais il est sûr qu’en fonction de leurs aptitudes, des conditions de production et des besoins des différents groupes, certains hommes se consacrent plutôt à la céramique, d’autres au tissage, d’autres encore au travail des premiers métaux.

La révolution néolithique apparaît en Europe au Ve millénaire, d’abord dans les Balkans, puis, de proche en proche, du sud-est vers le nord-ouest.

En France, entre le Ve et lVe millénaire, le néolithique arrive par deux voies. Venues du sud, des populations de pêcheurs, s’étendant progressivement le long de la mer depuis les côtes de la Grèce et de la Yougoslavie jusqu’au Portugal et même au nord de l’Afrique, produisent une poterie décorée d’impressions de coquillages (civilisation cardiale). Arrivée par le nord, une civilisation venue d’Europe centrale, les Danubiens, s’installe le long des grandes vallées du Bassins parisien (civilisation danubienne ou rubanée).

Les débuts de la poterie.

La poterie se développe dès que les populations se sédentarisent, avec la pratique de l’agriculture et de l’élevage car le besoin en récipients en argile cuite se fait alors sentir pour des raisons évidentes. D’une part, les poteries peuvent aller au feu, ce qui permet la préparation des soupes, des bouillies et des plats cuits qui forment le régime de base des populations agricoles; d’autre part, les produits de la vannerie ou du travail du cuir sont, totalement ou en partie, impropres à contenir des liquides. Enfin, il est plus facile de fabriquer des récipients en terre cuite que des vases de pierre ou de bois.

En dehors du tour de potier, dont le plus ancien est daté d’environ 3500 av. J-C et qui a été découvert à Our, en Mésopotamie, les techniques employées au néolithique sont de trois types : la plus primitive consiste à évider une boule d’argile en la pressant avec les pouces, puis à amincir les parois en les tenant entre le pouce et l’index tout en imprimant un mouvement en spirale.

La seconde méthode, dite « à la colombine », consiste à monter la poterie à l’aide d’argile roulée comme un boudin et disposée en colimaçons afin d’en constituer les parois.

Enfin, on procède aussi en employant des moules qui peuvent être de bois ou d’argile.

La cuisson de l’argile s’effectue elle aussi de diverses manières. La plus ancienne et la plus simple consiste à cuire les pots dans des foyers à l’air libre : la durée de tels feux varie d’une heure à trois jours, et leur température peut atteindre 750 à 800°C. La conservation de la chaleur est donc bien meilleure dans les fours qui peuvent être de type vertical (pour les plus anciens) ou horizontal; mais, ceux-ci ne sont de toute évidence pas employés avant l’essor des premières communautés urbaines, au lle millénaire avant notre ère.

Chez nous, le mouvement principal, celui des Omaliens, se rattache à la civilisation danubienne. Ils construisent, dans des villages, de longues maisons de bois et de terre qui peuvent atteindre 45 mètres de long dans une région où la nourriture sauvage est abondante. C’est dans la vallée de l’Aisne que ces villages, qui s’échelonnaient tous les cinq kilomètres environ, sont les plus connus : celui de Cuiry-lès-Chaudardes couvrait plus de 6 hectares et comptait une trentaine de maisons qui pouvaient loger entre 50 et 200 habitants.

Bientôt, vers 3.500 av. J-C, l’ensemble du continent va être colonisé par les agriculteurs, les derniers chasseurs-cueilleurs étant alors assimilés ou refoulés dans le Grand Nord. Toute l’Europe occidentale (péninsule Ibérique, Italie du Nord, Suisse, Îles Britanniques) voit la diffusion de cette poterie, et le blé est cultivé dès le début du IVe millénaire (à Rocamadour, dans le Lot). Au même moment commence en Europe occidentale la diffusion d’une des civilisations néolithiques les plus originales, celles des mégalithes.

Raisons fondamentales de la sédentarisation.

Si l’homme choisit pendant des millénaires de ne pas produire, c’est qu’agriculture et élevage représentent sur plusieurs plans une régression par rapport à la chasse et à la cueillette. En premier lieu, ils imposent une base alimentaire plus étroite (tubercules, graines, laitages, viande) avec tous les risques que comporte cette dépendance par rapport à un nombre restreint de nourriture. De plus, les soins de la terre et des animaux nécessitent un temps de travail beaucoup plus long. Enfin, la promiscuité avec les animaux entraîne une exposition accrue aux risques de maladies parasitaires.

Le seul grand avantage économique de l’agriculture est d’offrir la possibilité de tirer plus de nourriture d’un espace donné dans une unité de temps donnée. Or, cet avantage ne peut contrebalancer les désavantages énumérés que dans un seul cas de figure : lorsque la croissance de la population humaine est telle qu’elle exige une production alimentaire considérablement accrue.

Précisément, on note qu’il existe des indices permettant de déceler cette pression démographique. Tout d’abord, l’occupation de zones moins hospitalières parce que plus froides ou plus arides indique clairement que les aires de chasse et de cueillette traditionnelles n’assurent plus la subsistance de populations croissantes. Ensuite, l’élargissement du régime alimentaire à des nourritures moins appréciées que le gros gibier est l’indice qu’avec l’augmentation des populations de nouveaux substituts alimentaires doivent être trouvés (petits animaux, produits aquatiques peu ou pas consommés auparavant, végétaux). Enfin, quand le recours à ces formes d’adaptation n’est plus possible (extinction de la faune par extermination), l’agriculture est adoptée. D’abord pour fournir un supplément alimentaire, puis en raison de l’épuisement des autres ressources comme mode principal de production. L’élevage s’inscrit alors comme le seul mode possible d’exploitation du monde animal dans un univers fondé sur la sédentarisation.