Religion des cités et sanctuaires panhelléniques

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La religion dont nous parlerons ici n’est pas celle des philosophes. Socrate, Platon, Epicure, les Stoïciens se sont beaucoup préoccupés des dieux et des devoirs de l’homme à leur égard mais leurs idées ne touchaient que le petit nombre. La religion qui nous intéresse d’abord, c’est celle de l’homme ordinaire, du citoyen qui fait des libations sur l’autel familial, qui participe à la procession des Panathénées, qui va consulter l’oracle de Delphes ou de Dodone ou qui va chercher la guérison à 
A. Les dieux et les hommes.
1. Le monde des dieux.
Les dieux des Grecs sont nombreux (polythéisme) et ont une figure humaine (anthropomorphisme). Ils sont animés des mêmes sentiments que les mortels : ils connaissent la colère, la pitié, l’amitié, la jalousie. La mythologie raconte leur naissance et leurs exploits.
Les divinités les plus importantes appartiennent à la famille de Zeus et vivent, pour la plupart, avec lui, au sommet du mont Olympe. Mais certains ont leur domaine propre : Poséidon, frère de Zeus, règne sur les mers ; un autre frère, Hadès, est le maître des Enfers.
Il existe, à côté des Olympiens, une quantité de divinités secondaires : Pan, les Nymphes (divinités des sources), les Muses (divinité des Arts), par exemple.
On appelle souvent les dieux les « Immortels » : de fait, ils ont eu un commencement et ne sont donc pas éternels. Les dieux n’ont pas crée le monde et ne sont pas tout-puissants. Ils sont soumis à Zeus et paraissent ne pas pouvoir s’opposer à la Destinée (Moira).
Chaque divinité a des attributions qui lui sont propres : Déméter est la déesse des moissons, Arès, le dieu de la guerre.
Entre les dieux et les hommes, existe une catégorie intermédiaire, celle des héros. Ce sont des humains qui, après leur mort, deviennent l’objet d’un culte. Celui-ci se célèbre autour de leur tombeau et n’a donc qu’une extension très limitée. Certains de ces personnages émergent toutefois de la masse et finissent par se confondre avec les dieux, comme Héraclès ou Asclépios.
2. Croyances et sacerdoces.
Un trait caractéristique de la religion grecque est l’absence totale d’articles de foi qui s’imposeraient au fidèle. C’est une religion sans dogme. Les récits mythologiques, souvent discordants d’ailleurs, n’exigent aucune adhésion de la part du Grec, même pieux.
Les croyances relèvent surtout de la morale. On pense que les dieux interviennent dans la vie des hommes et veillent au respect de la justice, qu’ils poursuivent, par exemple, la démesure ou la violation des serments. Inversement, ils sont censés accorder leur faveur à ceux qui les honorent et qui respectent les lois. Mais on sait aussi que le comportement divin est parfois imprévisible, que la vertu n’est pas toujours récompensée.
Les Grecs n’ont pas une idée très claire de ce qui attend l’homme après la mort. On croit généralement en une certaine survie de l’âme qui va rejoindre Hadès et Perséphone dans le royaume des Enfers. Certains textes laissent penser que ceux qui ont fait le mal seront punis dans l’au-delà. En tout cas, les morts doivent recevoir une sépulture, sans quoi leurs âmes ne pourront même par rejoindre les Enfers.
La religion grecque n’a pas non plus de clergé proprement dit. Prêtres et prêtresses ne sont que des fonctionnaires qui assurent le service du culte et administrent les sanctuaires. Ils n’ont aucune formation particulière et n’exercent aucun apostolat. Les prêtres, comme les magistrats, sont élus ou tirés au sort parmi les citoyens et leur fonction a habituellement une durée limitée.
Les prêtres n’ont d’ailleurs pas le monopole du sacré. A la maison, c’est le chef de famille qui préside aux sacrifices. Quant aux cérémonies publiques, elles ont souvent les magistrats pour officiants.
3. Lieux de culte.
Tout endroit peut convenir comme lieu de culte : un bosquet, les abords d’une source, une grotte, le sommet d’une colline.
Mais il y a des lieux de culte privilégiés, et d’abord la maison qui comporte habituellement un autel domestique : on y vénère notamment Hestia, la déesse du foyer, et Zeus Ktésios (protecteur des biens familiaux).
Le culte public se célèbre autour des temples. Ces bâtiments ne sont pas à proprement parler des lieux de culte. Un temple est d’abord et surtout la demeure du dieu dont il abrite la statue. C’est au-devant du temple, autour de l’autel, qu’on célèbre le culte. A cet égard, le temple est très différent d’une église, d’une mosquée ou d’une synagogue : le peuple ne s’y réunit pas.
Un lieu de culte est ordinairement séparé du monde profane par une enceinte. Le sanctuaire doit être bien délimité car on ne peut y pénétrer qu’en état de pureté. Certains sanctuaires ont de très vastes dimensions. On y trouve des temples, des autels, des statues, des trésors (pour entreposer les offrandes), des monuments votifs, des portiques, éventuellement un théâtre (Delphes, Epidaure), des installations sportives (Olympie, Delphes).
4. Cérémonies religieuses.
Les cérémonies du culte peuvent être très complexes et comporter des processions, des danses, des chants religieux… Mais trois éléments sont d’une importance particulière : la purification, la prière, le sacrifice.
Tout acte religieux suppose une purification préalable. On se lave donc les mains et le visage, les officiants aspergent le public d’eau lustrale. Il y a, dans les sanctuaires, des vasques destinées à ces ablutions.
La prière se prononce debout, les bras tendus vers la statue du dieu ou vers le ciel. Elle commence par une invocation aux dieux dont on veut se faire entendre, puis vient le corps de la prière : demande, parfois accompagnée d’un vœu, ou action de grâce.
Le sacrifice est l’acte central du culte. On offre aux dieux des biens comestibles : vin, huile, miel, gâteaux ou des animaux qu’on égorge sur l’autel. L’idée sous-jacente n’est pas que les dieux doivent être alimentés : on sait qu’ils n’ont pas besoin de nourritures terrestres. Le sacrifice est un geste d’offrande. L’homme prélève sur sa nourriture une part qu’il consacre à la divinité dans l’espoir de voir sa prière exaucée ou dans un mouvement de gratitude pour un bienfait reçu.
Sur un plan très général, on peut faire la distinction entre les sacrifices qui s’adressent aux dieux du ciel et ceux qu’on offre aux dieux de la terre ou aux héros. Dans le premier cas, le sang de la victime doit jaillir vers le haut, l’autel est surélevé, on ne brûle, à l’intention du dieu, que les parties non comestibles de l’animal, puis la chair de la victime est rôtie sur l’autel et consommée par les participants. Le sacrifice aux dieux de la Terre se déroule de façon inverse. Le sang tombe et pénètre dans la terre, la victime est entièrement consumée (holocauste) sur un autel qui ne dépasse guère le niveau du sol.
Le sacrifice a aussi une fonction divinatoire. La victime abattue, on examine les entrailles : y découvrir une anomalie est un présage funeste. On renoncera à une entreprise, à un voyage si, lors du sacrifice, on a aperçu des indices défavorables.
S’apparentant au sacrifice, la libation consiste à répandre quelques gouttes, le plus souvent de vin, en l’honneur de la divinité. Les Grecs font très fréquemment ce geste d’offrande dans leur vie quotidienne.

B. Les cultes civiques.
Comme les hommes, les cités recherchent la protection des dieux. Toute cité grecque a sa divinité tutélaire : c’est Héra à Argos et à Samos, Artémis à Ephèse. Mais d’autres divinités reçoivent aussi un culte. A Athènes, on honore Zeus, Apollon, Dionysos… même si Athéna occupe une place privilégiée dans le panthéon local. La cité a donc ses divinités « nationales ».
Hommes et dieux ont des devoirs réciproques. On attend des dieux qu’ils protègent la cité, qu’ils lui donnent la prospérité, qu’ils l’éclairent dans ses prises de décisions politiques. De son côté, la cité prend en charge tout ce qui est relatif au culte public : construction et entretien des temples, désignation des prêtres et prêtresses, organisation des cérémonies religieuses.
La cité réprime les délits d’impiété. Elle ne peut accepter qu’on exprime publiquement des doutes, qu’on manifeste de l’hostilité envers les dieux, à fortiori qu’on commette des actes sacrilèges. De telles attitudes sont répréhensibles parce qu’elles risquent d’attirer le malheur sur la cité. Elles donnent lieu à des procès dont le plus célèbre est celui de Socrate.
Ces liens étroits entre la cité et ses dieux expliquent qu’une coloration religieuse entoure toute l’activité politique. A Athènes, les réunions de l’assemblée populaire commencent par un sacrifice et une prière à Zeus Agorios ; le Conseil des Cinq Cents (Boulé) honore Zeus Boulaios et Athéna Boulaia ; les séances du tribunal de l’Héliée débutent également par un sacrifice et une prière.
La cité forme une communauté à la fois politique et religieuse.
C. Grands sanctuaires panhelléniques.
La Grèce possède aussi quelques sanctuaires à vocation panhelléniques qui attirent, pour des raisons diverses, les pèlerins venus de tous les coins de l’Hellade : Dodone en Epire (Zeus), Délos (Apollon), Olympie, Delphes, Epidaure.
1. Olympie et les jeux.
Olympie a d’abord été le siège d’un culte rendu à la Terre. Puis, Zeus a pris possession du site. La zone sacrée, entourée d’un mur, est réservée aux cérémonies religieuses. Tout autour s’étendent les installations sportives et des bâtiments administratifs.
La vie quotidienne du sanctuaire devait être assez monotone. Mais tous les quatre ans, lors des grands jeux en l’honneur de Zeus, Olympie devenait pour quelques jours le centre vivant du monde grec.
Les jeux ont lieu au milieu de l’été. Auparavant, des ambassadeurs de la cité voisine d’Elis, gardienne du sanctuaire, partent dans toutes les directions annoncer la date de l’événement et proclamer la trêve sacrée.
Les jeux olympiques ne sont pas qu’un rendez-vous sportif (course à pied, course en armes, lutte, pugilat, pentathlon, courses de chars et de chevaux montés). La fête de Zeus attire des poètes, des philosophes, des rhéteurs qui donnent des conférences ou lisent leurs œuvres, profitant de l’occasion pour se faire connaître d’un public où toute la Grèce était représentée.
Des poètes comme Pindare ont chanté les exploits des vainqueurs, les sculpteurs ont trouvé à Olympie leurs modèles. Les jeux ont ainsi profondément influencé la civilisation grecque et ont sûrement contribué au renforcement du sentiment panhellénique.
Remontant, selon la tradition, à l’année 776 av. J-C, les jeux olympiques seront supprimés en 393 ap. J-C par l’empereur Théodose. Le site tombera alors progressivement dans l’abandon et ne sera redécouvert par les archéologues qu’au XIXe siècle. Les jeux olympiques reprendront en 1896, à l’initiative du baron Pierre de Coubertin.

2. Delphes et l’oracle d’Apollon.
Comme Olympie, Delphes a d’abord été le siège d’un culte à la Terre, puis Apollon s’y est installé et il y rend ses oracles par l’intermédiaire de la Pythie.
Tout le monde consulte Apollon : simples particuliers qui veulent savoir s’il leur sera « meilleur et profitable » de faire ceci ou cela ; cités qui se demandent s’il faut entrer en guerre, s’il y a lieu d’envoyer une colonie et à quel endroit ; souverains étrangers même comme le roi de Lydie, Crésus, qui ne veut pas attaquer la Perse sans avoir pris l’avis du dieu.
Mais l’Apollon de Delphes n’a pas exercé qu’une fonction divinatoire. A travers ses oracles, c’est toute une morale qui s’est diffusée dans le monde grec. Le dieu veillait au respect de la justice et des serments, indiquait aux coupables, individus ou collectivités, les moyens de se purifier, invitait au sens de la mesure. C’est à l’entrée de son temple qu’étaient gravées les sentences fameuses : « Connais-toi toi-même » et « Rien de trop ».
3. Epidaure et la médecine.
A une vingtaine de kilomètres de l’ancienne cité d’Epidaure, le sanctuaire d’Asclépios, surtout connu aujourd’hui pour son théâtre, était essentiellement dans l’Antiquité un lieu où les malades venaient chercher une guérison que les médecins ne pouvaient pas leur assurer.
Le malade devait d’abord payer une taxe et se purifier avec de l’eau lustrale. Il lui fallait ensuite sacrifier à Apollon et à Asclépios. A la tombée de la nuit, il était admis dans le vaste portique où seuls les consultants avaient le droit d’entrer. Les malades s’installaient à même le sol, espérant que le dieu viendrait leur rendre visite durant leur sommeil.
Les « miracles » d’Epidaure ont suscité bien des commentaires, qui n’ont jamais débouché sur une conclusion nette et discutable. Tout n’est évidemment pas acceptable dans les récits de guérison que nous avons conservés mais il est impossible de n’y voir que de l’affabulation : si rien ne s’était produit au sanctuaire d’Asclépios, les pèlerins ne l’auraient pas fréquenté pendant plus de cinq siècles.
D. Les mystères d’Eleusis.
La religion traditionnelle, reposant largement sur le principe « donnant-donnant », ne répondait pas aux aspirations ni aux inquiétudes de tous. Elle ne devait pas satisfaire, en particulier, ceux qui s’interrogeaient sur le sort de l’homme après la mort. A ces esprits, peut-être plus religieux – hommes ou femmes, libres ou esclaves, pourvu qu’ils fussent grecs -, l’initiation aux mystères d’Eleusis offrait une espérance de salut.
Le sanctuaire d’Eleusis, à une vingtaine de kilomètres d’Athènes, est consacré à Déméter et à Coré (= Perséphone). Les « augustes déesses » sont d’abord celles qui rendent la terre féconde. Mais Déméter a également livré aux hommes des secrets qui constituent précisément l’objet de l’initiation éleusinienne. Le contenu de ces mystères ne pouvait être dévoilé, sous peine de sacrilège, et il ne l’a pas été. Les futurs initiés devaient accomplir certains gestes, écouter certaines paroles et regarder certains objets, la vision suprême étant sans doute celle d’un épi de blé. L’année suivante, l’initié pouvait accéder à un degré supérieur d’initiation en prenant part à des cérémonies dont nous ignorons tout.
Si nous connaissons mal les rites qui se pratiquaient à Eleusis, nous voyons tout aussi difficilement le bénéfice que les fidèles attendaient de l’initiation : il s’agissait sans doute de promesses quant à la vie dans l’au-delà. A vrai dire, le message que Déméter adressait à ses fidèles a gardé tout son mystère.
In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp. 38-45.