De Commode aux invasions

posted in: Histoire | 0

Avec le règne de Marc-Aurèle (161 – 180 ap. J-C) débute une crise que l’Empire romain ne pourra pas  Les Barbares attaquent de tous côtés et ravagent les provinces périphériques, puis l’Italie elle-même. A Rome, le pouvoir central n’a plus aucune stabilité : certains empereurs, sitôt élus, sont assassinés ; d’autres doivent lutter contre des usurpateurs. La société se désagrège : riches et pauvres ont des motifs de se plaindre, les uns et les autres étant soumis à des charges trop lourdes. A cela s’ajoutent des conflits d’ordre religieux : le christianisme, qui se répand, suscite parfois de violentes réactions des milieux païens.

Le pouvoir ne reste pas inerte devant cette accumulation de problèmes. L’empereur Gallien (253 – 268 ap. J-C) réorganise l’armée. Dioclétien (284 – 305 ap. J-C) veut renforcer l’autorité centrale en instaurant la « Tétrarchie » ; il procède à un nouveau découpage des provinces ; il lutte contre la dévaluation de la monnaie et la hausse des prix. Ces mesures, parmi d’autres, permettent à l’empire de survivre, sans lui apporter de salut définitif.

Par ailleurs, et malgré les troubles, la civilisation romaine de cette époque ne manque pas d’un certain éclat.

Les mutations politiques, économiques et sociales.

Les antiques institutions républicaines n’ont plus aucun poids politique. Le sénat garde son prestige mais ne s’occupe plus guère que des affaires municipales ; la tâche essentielle des magistrats qui subsistent (questeurs, préteurs, consuls) est d’organiser des jeux. Les institutions impériales subissent de profondes mutations. Le pouvoir du prince tourne à l’absolutisme de droit divin. Les bureaux impériaux sont peuplés d’une nuée de nouveaux fonctionnaires, strictement hiérarchisés. Les empereurs résidant le plus souvent en province, Rome n’est plus qu’en titre la capitale de l’Empire. En 324 ap. J-C, Constantin fonde d’ailleurs sur le site de l’antique Byzance une nouvelle capitale à laquelle il donne son nom : Constantinople. La société a tendance à se figer. On est colon, soldat ou magistrat municipal de père en fils. Les gens de métier (boulangers, tisserands, bateliers,…) sont organisés en corporations dont on est membre à titre héréditaire.

  1. Le pouvoir central.
  2. L’empereur.

L’empereur est choisi par l’armée ; le sénat n’intervient plus dans sa désignation, il en est simplement informé.

L’empereur exerce tous les pouvoirs. Il légifère en promulguant des constitutions. Il nomme les chefs des armées et tous les fonctionnaires. La justice est rendue en son nom. La toute-puissance impériale se marque par de nouveaux titres (Dominus noster : notre seigneur), par un costume particulier (vêtement brodé d’or et rehaussé de pierres précieuses), par le cérémonial en vigueur à la cour (on pratique le rite de l’adoratio purpurae : les sujets portent à leurs lèvres le bas du manteau impérial).

La lourdeur des tâches incombant à l’empereur amène Dioclétien à partager le pouvoir entre deux Augustes et deux Césars (Tétrarchie). Chaque empereur (Auguste) a désormais un adjoint (César) qui est aussi un héritier présomptif. Ces princes ne résident plus à Rome : les Augustes s’installent à Milan et à Nicomédie (Bithynie), les Césars à Trèves et à Sirmium (près du Danube). Mais le système ne se maintient pas longtemps. L’empire est réunifié par Constantin, puis partagé entre ses trois fils. Après bien des péripéties, c’est finalement la division Occident – Orient qui s’impose à la mort de Théodose (395 ap. J-C).

  1. L’administration centrale.

Les préfets du prétoire restent à la tête de l’administration centrale jusque sous le règne de Dioclétien. Avec les réformes de Constantin, leur fonction change radicalement : ils deviennent les chefs civils de vastes circonscriptions territoriales regroupant plusieurs diocèses.

Le conseil impérial devient, sous Constantin, le consistoire sacré. Le souverain réunit cet organe pour recevoir les ambassadeurs étrangers, préparer les textes de lois, rendre la justice.

Au IVe siècle, le collaborateur le plus proche de l’empereur est le questeur du palais (quaestor sacri palatii). Il rédige les textes législatifs, répond aux suppliques, prépare les discours officiels. Le maître des offices supervise le travail de tous les bureaux ; il commande la garde impériale et dispose d’une sorte de service de police, les agentes in rebus qui portent les messages mais espionnent aussi les fonctionnaires auprès desquels ils se rendent. Les finances publiques sont sous la responsabilité du comte des largesses sacrées ; un comte de la chose privée gère l’ensemble des biens impériaux.

Les bureaux qui existaient aux débuts de l’Empire demeurent à peu près inchangés mais prennent une allure militaire. Le chef de bureau s’appelle maintenant magister ; le personnel porte l’uniforme.

Les notaires exercent des fonctions variées. Certaines assurent le secrétariat du consistoire, d’autres sont envoyés en mission et jouent un rôle comparable à celui des agentes in rebus. Le chef des notaires tient la liste de tous les fonctionnaires de l’empire, civils et militaires.

A côté de ces fonctionnaires apparaissent au IVe siècle des personnages qui jouent auprès de l’empereur un rôle occulte mais non négligeable. Une sorte de maire du palais s’occupe de la table impériale, des comptes, de l’entretien des bâtiments. Le grand chambellan, souvent un eunuque, veille sur les appartements privés. A partir de Constantin, la cour, avec ses intrigues et ses secrets, préfigure celle de Byzance.

  1. La réorganisation de l’empire.
  2. Les circonscriptions administratives.

Dioclétien réduit la taille des provinces : leurs gouverneurs pourront ainsi mieux contrôler la perception des impôts et rendre plus facilement la justice. Il procède à un nouveau découpage qui double à peu près leur nombre : l’Afrique du Nord, par exemple, passe de quatre à sept provinces. L’Italie elle-même perd son statut particulier : la péninsule est divisée en sept « régions ». S’efface aussi la distinction entre provinces sénatoriales et impériales. La géographie administrative de l’empire est maintenant uniforme.

Les provinces ainsi multipliées sont regroupées par Dioclétien en diocèses ayant à leur tête un vicaire des préfets du prétoire. La Gaule, par exemple, comporte deux diocèses : celui des Gaules pour les provinces du Nord (capitale : Trèves), le diocèse de Viennoise pour la moitié Sud (capitale : Vienne).

Constantin complète cette réorganisation en créant trois vastes préfectures du prétoire : Gaule, Italie, Orient. Les préfets ont les pouvoirs d’un vice-empereur dans leur circonscription.

  1. Les réformes de l’armée.

L’armée romaine a montré ses faiblesses dès les premières invasions : étirée le long d’une immense frontière, peu mobile, elle est incapable d’arrêter les envahisseurs.

Dans les années 260, l’empereur Gallien renforce la cavalerie. Il constitue avec les prétoriens et des détachements puisés dans les légions des frontières un corps de bataille stationné dans le nord de l’Italie, qui peut intervenir rapidement là où le besoin se fait sentir.

Dioclétien améliore le système défensif : il fait construire des camps et des fortins, aménage des routes stratégiques. Il augmente aussi le nombre des soldats en obligeant les propriétaires fonciers à fournir des recrues.

Constantin adopte une stratégie moins statique : il enlève aux légions du limes des troupes qui vont constituer une force d’intervention mobile, le comitatus. Le commandement est également réorganisé. Les gouverneurs de provinces civils n’ont plus aucune autorité sur les troupes. Celles-ci dépendent de ducs, de comtes et, à un échelon plus élevé, du maître des cavaliers (magister equitum) et du maître des fantassins (magister peditum). Ces officiers supérieurs sont souvent des Barbares, en particulier des Germains.

  1. Les problèmes économiques et sociaux.
  2. La crise du IIIe siècle et ses conséquences.

Le milieu du IIIe siècle ap. J-C est une période particulièrement dure pour l’Empire romain. Aux assauts des Barbares, à l’instabilité du pouvoir central s’ajoutent les ravages d’une peste qui sévit pendant une vingtaine d’années (+/- 250-270 ap. J-C).

Les invasions entraînent d’abord des pertes territoriales. La Dacie, par exemple, conquise par Trajan, est abandonnée par Aurélien dans les années 270. Mais ces pertes sont, au total, assez minces. La dépopulation de l’empire est une conséquence plus sérieuse. A la fin du IIIe siècle, on manque d’hommes : certains empereurs traitent avec les Barbares, les installent sur des terres abandonnées ou les introduisent dans les rangs de l’armée.

Les régions touchées par les invasions sont évidemment appauvries : les inscriptions célébrant la générosité de tel ou tel bienfaiteur se raréfient.

L’insécurité est générale, sur terre comme sur mer. On craint non seulement les Barbares mais aussi les brigands et les pirates. Le commerce est ralenti : on tend à vivre en économie fermée.

La monnaie perd de sa valeur : le poids des pièces et leur teneur en métal fin diminuent sans cesse. Il en résulte une hausse des prix insupportable. L’Etat lui-même est victime de cette situation : à partir de Dioclétien, il exige qu’une partie des impôts lui soit versée en nature. Un redressement monétaire s’observe à partir d’Aurélien (270 – 275 ap. J-C) qui fait frapper des monnaies de meilleure qualité. Cette politique est poursuivie par Dioclétien, lequel s’attaque aussi à la hausse du coût de la vie. En 301, un édit fixe un prix maximum pour une série de marchandises et de services et plafonne les salaires.

La crise économique du IIIe siècle ne frappe pas tout le monde de la même façon. Alors que beaucoup de petits paysans sont ruinés, les gros propriétaires profitent plutôt de la situation et étendent leurs domaines dans des proportions parfois considérables.

  1. La société aux IVe et Ve siècles.

Si, depuis l’édit de Caracalla, tous les hommes libres de l’Empire jouissent de la citoyenneté romaine, celle-ci ne leur donne plus aucun droit politique. Le peuple ne peut plus manifester ses sentiments qu’au cirque ou à l’amphithéâtre, en applaudissant l’empereur ou en donnant des signes de mécontentement.

Les libertés privées sont également réduites. Les sujets de l’empereur sont enrégimentés dans une vaste organisation étatique où les devoirs de chacun, du sénateur au boulanger, sont définis avec précision.

Dans les cités de province, la charge de décurion est rendue héréditaire. Nombreux sont en effet les notables locaux qui voudraient échapper à cette responsabilité qui implique de lourdes dépenses.

Le statut de colon, qui existe depuis le Haut-Empire, évolue de la même façon. Tout en restant un homme libre, le colon est lié à son lopin de terre et le transmet obligatoirement à son fils.

Les gens de métier et les commerçants sont regroupés dans des corporations ayant leurs privilèges et leurs obligations. Les boulangers de Rome, par exemple, ont le monopole de la fabrication et de la vente du pain mais ils ne peuvent aliéner leurs biens, qui sont bloqués au profit de leur association, et les fils doivent succéder aux pères. Un article du code de Théodose précise même que « celui qui épousera la fille d’un boulanger sera boulanger ».

La régression de l’esclavage, déjà constatée auparavant, s’accentue, non pas que l’approvisionnement fasse défaut – les prisonniers barbares sont assez nombreux -, mais parce que les employeurs se rendent compte que le travail des hommes libres est plus rentable. D’ailleurs, l’affranchissement des esclaves est maintenant encouragé, notamment par Constantin qui permet que les formalités se déroulent à l’église, devant l’évêque.

In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp 115-123.