La civilisation de l’antiquité tardive

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Les trois siècles qui vont de la mort de Marc-Aurèle à la chute de l’empire romain d’Occident ont longtemps été considérés comme une période de  Les humanistes italiens y virent une époque de barbarie. Au XVIIIe siècle, on forgea un mot qui montre la mésestime où l’on tenait cette partie de l’histoire romaine : on parle de « Bas-Empire ». Les historiens actuels sont plus nuancés. A leurs yeux, « l’Antiquité tardive » ne manque pas d’originalité et doit être jugée pour elle-même, et non par comparaison avec la civilisation des époques antérieures.

D’autre part, le christianisme naissant apporte du sang neuf et se manifeste, dès les IIe – IIIe siècles, par des œuvres littéraires et artistiques d’un très bon niveau.

  1. Les arts plastiques.

Les malheurs du temps n’empêchent pas les architectes romains de construire et la nature des bâtiments ne change pas. On élève toujours des basiliques, des amphithéâtres, des thermes, des arcs de triomphe. Mais beaucoup de ces monuments ont maintenant des dimensions colossales. Les thermes de Dioclétien, à Rome, couvrent une superficie de plus de 13 hectares ; la basilique de Maxence, au Forum, élève ses voûtes à 35 mètres de hauteur.

Certaines villes de province se couvrent, elles aussi d’édifices grandioses. A Split, par exemple, Dioclétien se fait bâtir un immense palais. A Trèves, promue au rang de capitale, Constantin fait construire de vastes thermes et une fort belle « basilique ».

On constate une évolution plus nette dans la sculpture. Au classicisme du Haut-Empire succède un style plus tourmenté, marqué par la recherche du pathétique et le goût de la violence : les statues et les bustes impériaux, les reliefs des arcs de triomphe ou des sarcophages montrent des sujets au regard triste et inquiet ou, au contraire, animés d’une énergie débordante et d’une force brutale.

A partir de Constantin, le portrait impérial tend à se dépersonnaliser. On veut moins représenter l’individu que la majesté de sa fonction. Le personnage apparaît dans une attitude qui annonce la fixité des icônes byzantines.

La peinture de cette époque n’a pas laissé beaucoup de traces mais les mosaïques sont très nombreuses et de grande qualité. A Piazza Armerina (Sicile), une grande villa du IVe siècle a conservé plus de 3 000 m² de pavements polychromes illustrant les thèmes les plus variés : scènes de chasse, travaux d’Hercule, baigneuses… En Afrique, les artistes représentent volontiers les travaux des champs. A Antioche de Syrie, on a retrouvé de très belles mosaïques à motifs géométriques et mythologiques.

  1. Le droit romain.

Les Romains manifestèrent, dès le début de leur histoire, un goût particulier pour la science juridique. Au milieu du Ve siècle av. J-C, on codifia et on publia l’essentiel du droit coutumier (Loi des XII Tables). Ce droit fut adapté et complété dans les siècles suivants car la société romaine changeait et les conquêtes posaient de nouveaux problèmes : il fallut notamment fixer le statut des hommes libres qui n’étaient pas citoyens romains (Droit des gens).

Cette tradition se maintint à l’époque impériale. Au IIe siècle, Gaius publia un manuel (Institutes) qui sera utilisé jusqu’à l’époque de Justinien. Au début du IIIe siècle, Septime-Sévère et Caracalla ont dans leur entourage de grands juristes comme Papinien, Paul et Ulpien. Au Ve siècle, sous Théodose II, est publié un Code qui reprend l’ensemble de la législation édictée depuis Constantin. L’œuvre juridique de Rome trouvera son achèvement dans le Corpus juris civilis de Justinien.

  1. La littérature.

La langue (latine ou grecque) et la religion (païenne ou chrétienne) divisent les auteurs de l’antiquité tardive en groupes bine distincts entre lesquels la communication n’est pas toujours aisée. Certains chrétiens estiment que la connaissance de la littérature profane est superflue, voire nuisible pour des fidèles qui vivent de la Parole de Dieu. Les Grecs n’ont jamais beaucoup appris le latin et, en Occident, la connaissance du grec diminue. La scission de l’empire ne s’explique pas seulement par des causes politiques : des facteurs culturels y ont contribué. Mais la fracture entre culture païenne et chrétienne ne s’est pas produite : la plupart des Pères de l’Eglise ont lu les auteurs gréco-romains et pensent qu’il faut conserver une bonne partie de cet héritage.

  1. La littérature païenne.

De nombreux auteurs latins se consacrent à l’histoire, mais sous une forme simplifiée : on ne compose plus de vastes synthèses comparables à celle de Tite-Live, on se contente de publier des résumés de l’histoire romaine ou de médiocres vies d’empereurs. Ammien Marcellin, au IVe siècle, fait exception. Ce Grec d’Antioche veut continuer Tacite et rédige une remarquable histoire de l’Empire dont une grande partie est malheureusement perdue.

L’éloquence est représentée par une collection de panégyriques adressés à divers empereurs pour les remercier d’un bienfait ou les féliciter à l’une ou l’autre occasion (victoire militaire, mariage…). Ces discours émanent de rhéteurs dont la plupart sont d’origine gauloise et, s’ils sont souvent rédigés dans un style emphatique, ils montrent que les classes cultivées de nos provinces maîtrisent parfaitement la langue latine.

Ausone (+/- 310 – 395 ap. J-C) en apporte aussi la preuve. Ce Bordelais compose dans un latin impeccable des poèmes dont le plus célèbre est une description de la Moselle.

La littérature grecque, qui a connu un bel essor aux Ier – IIe siècles ap. J-C (Plutarque, Lucien), semble s’épuiser quelque peu.

Au début du IIIe siècle, Philostrate rédige une biographie romancée d’Apollonius de Tyane, une sorte de magicien guérisseur et voyageur, disciple de Pythagore, ayant vécu au Ier siècle ap. J-C. Cet ouvrage reflète bien le goût pour le mysticisme et le surnaturel de l’époque des Sévères.

C’est dans le domaine de la philosophie qu’apparaissent les œuvres les plus marquantes. Le platonisme connaît un véritable renouvellement grâce à Plotin et à son disciple Porphyre. Ces néo-platoniciens insistent surtout sur les aspects religieux de la pensée de leur maître : l’homme doit se détacher du monde sensible et arriver, dans l’extase, à une véritable communion avec le divin.

Au IVe siècle, le rhéteur Libanios publie des discours et une énorme correspondance (+/- 1 600 lettres). Païen convaincu et attaché aux valeurs de l’hellénisme, Libanios voit avec tristesse mourir les idées auxquelles il croit.

S’il a régné peu de temps (360 – 363 ap. J-C), l’empereur Julien a laissé une œuvre littéraire importante (lettres et discours). Elevé dans le christianisme, il revient au paganisme et voudrait restaures la religion d’autrefois. Lui-même est un homme d’une piété quasi mystique envers les dieux et ce philosophe a un sens très exigeant de ses devoirs de chef d’Etat mais il est peu compris de ses contemporains : les païens se moquent de cet intellectuel et les chrétiens le considèrent comme un apostat.

  1. La littérature chrétienne.

Les premiers textes chrétiens ont été rédigés en grec immédiatement traduits dans cette langue. Au IIe siècle, c’est encore le grec qui domine dans la communauté chrétienne de Rome.

La littérature chrétienne de langue latine apparaît d’abord en Afrique et y est illustrée d’emblée par un auteur de grand talent, Tertullien (+/- 150 – 220). Ce païen converti est très cultivé. Parfait bilingue, il connaît la littérature grecque et latine ; il a étudié la philosophie et le droit. D’un caractère fougueux et très entier, il défend la foi chrétienne (Apologétique), combat les païens, les Juifs et les hérétiques, censure les mœurs (Sur les spectacles, De la mise des femmes). Son tempérament rigoriste le pousse, vers 210, à rompre avec l’Eglise pour rallier une secte prêchant une discipline plus austère, les Montanistes. Brouillé avec ceux-ci, Tertullien fonde alors sa propre communauté qui survit jusqu’à l’époque de saint Augustin.

Lactance (+/- 240 – 320) est aussi un Africain et un converti. Professeur de rhétorique, il veut présenter la doctrine chrétienne comme un système philosophique cohérent (Institutions divines). Dans son ouvrage Sur la mort des persécuteurs, il montre comment, victimes de la colère de Dieu, les empereurs qui ont martyrisé les chrétiens sont morts dans les tourments les plus atroces.

Saint Jérôme (+/- 340 – 420) est un maître spirituel et un grand savant. Retiré à Bethléem où il a fondé un couvent, il traduit la Bible en latin (Vulgate) en partant du texte grec et hébreu. Il traduit aussi et complète la Chronique d’Eusèbe de Césarée. Sa Correspondance est un témoignage très vivant sur la société de son temps.

Saint Augustin (354 – 430), originaire d’Afrique, se convertit à Milan sous l’influence de saint Ambroise. De retour dans sa patrie, il est ordonné prêtre et élu évêque d’Hippone (Algérie). Il se consacre à ses fidèles mais trouve le temps de composer une œuvre immense. Ses Confessions relatent l’évolution intellectuelle et psychologique qui l’a amené à la foi chrétienne. La Cité de Dieu est une réponse aux païens qui prétendent que l’impiété des chrétiens envers les dieux est à l’origine de la catastrophe de 410, la prise de Rome par le Wisigoth Alaric. La réfutation prend allure d’une vaste synthèse de l’histoire de l’humanité où l’auteur montre que la cité terrestre ne peut atteindre un certain bonheur qu’en se soumettant à la loi divine.

La poésie n’est pas absente de la littérature chrétienne. Autour des années 400, un haut fonctionnaire d’origine espagnole, Prudence, compose des hymnes célébrant les heures de la journée et les fêtes du calendrier chrétien, ainsi que des odes en l’honneur des martyrs.

La littérature chrétienne en langue grecque est également très riche.

Eusèbe (+/- 260 – 340), évêque de Césarée en Palestine, est un exégète et un apologiste, mais aussi un historien. Sa Chronique universelle reconstitue l’histoire de l’humanité depuis l’époque d’Abraham. L’Histoire ecclésiastique est une source précieuse pour la connaissance des débuts du christianisme.

Athanase (+/- 260 – 340), patriarche d’Alexandrie, lutte farouchement contre l’arianisme. Il est aussi l’auteur d’une Vie de saint Antoine. Cette biographie du « père des moines », qui a vécu de longues années dans le désert égyptien (356), propage l’idéal du monachisme et ouvre la voie à un genre qui va connaître un grand succès au moyen âge, l’hagiographie.

Jean Chrysostome (+/- 350 – 400) est un prédicateur de grand talent, d’où son surnom de « Bouche d’or ». Pénétré de culture classique autant que de la Bible, ce prêtre qui sera quelque temps évêque de Constantinople critique les mœurs de son temps mais essaie surtout de guérir les âmes en leur rappelant l’amour de Dieu pour ses créatures.

  1. La religion.
  2. Le paganisme.

Le paganisme est toujours bien vivant au IIIe siècle ap. J-C. Les Romains n’ont pas abandonné les dieux de leur ancien Panthéon ; le culte impérial se maintient et se développe même à l’époque de la Tétrarchie (Dioclétien se présente comme un descendant de Jupiter et prend le titre de Jovius ; son collègue Maximien se rattache à Hercule) ; les divinités orientales ont aussi de nombreux adeptes.

On constate toutefois sous ce foisonnement de divinités une tendance au monothéisme, qui se manifeste de deux manières. Certains pensent que les appellations diverses données aux dieux cachent une même réalité, qu’en honorant Jupiter, Sarapis ou Mithra, on s’adresse en fait à une puissance divine unique. Les autres subordonnent la foule des divinités à un dieu suprême qui peut être le Soleil invaincu dont le culte est élevé au rang de religion d’Etat par Aurélien, ou l’Un des néo-platoniciens.

Au IVe siècle, l’empereur Julien veut revivifier un paganisme maintenant en déclin en lui donnant une organisation calquée sur celle de l’Eglise chrétienne. Cette tentative est sans lendemain : à la fin du siècle, sous Théodose, le christianisme devient la religion officielle de l’empire.

  1. Le christianisme.

En dépit des persécutions au IIIe siècle, le nombre des chrétiens augmente et l’Eglise doit s’organiser en conséquence. On définit des circonscriptions ecclésiastiques calquées sur les divisions administratives civiles : les cités ont leur évêque et ceux-ci sont sous l’autorité de l’évêque du chef-lieu de la province, le métropolitain. Une certaine primauté est reconnue à l’évêque de Rome. Au sein des églises locales, les tâches sont réparties entre l’évêque, les prêtres et les diacres.

Le monachisme apparaît en Egypte à la fin du IIIe siècle. Les premiers moines sont des solitaires qui, comme saint Antoine, se retirent dans le désert pour y mener une vie de prière et de privation. Au début du IVe siècle, une autre forme de monachisme est proposée aux âmes éprises de perfection : la vie commune (cénobitisme). Les premiers monastères adoptent la règle de saint Pakhôme (346) ou celle de saint Basile (379).

L’Eglise des premiers siècles n’est pas menacée que de l’extérieur (persécutions), elle doit affronter aussi des conflits internes d’ordre doctrinal, les hérésies. Dans les années 320, un prêtre d’Alexandrie, Arius, entre en conflit avec son évêque à propos de la Trinité. Excessivement attaché au principe du monothéiste, Arius défend l’idée que seul Dieu le Père est « non-engendré », le Fils n’étant que la première mais la meilleure des créatures. L’arianisme, bien que condamné au Concile de Nicée (325), se répand parmi les Goths et les Lombards et ne disparaîtra en Occident qu’au VIIe siècle.

De nouvelles hérésies apparaissent en Orient au Ve siècle. Elles portent essentiellement sur des questions de christologie. Le patriarche de Constantinople, Nestorius, insiste sur la distinction à faire entre les deux natures (divine et humaine) du Christ. A ses yeux, celui-ci est moins un Dieu incarné qu’un homme devenu Dieu. Il explique que c’est l’homme Jésus et non le Fils de Dieu qui a souffert de la passion, que la Vierge Marie ne peut être appelée Mère de Dieu car c’est un homme qu’elle a mis au monde. La doctrine de Nestorius est condamnée au Concile d’Ephèse en 431. Le monophysisme va dans le sens opposé. Il insiste sur la nature divine du Christ, au point d’effacer sa nature humaine. Un nouveau concile, réuni à Chalcédoine, condamne cette thèse en 451.

Ces dissensions doctrinales n’agitent pas que les gens d’Eglise. En Orient, le peuple se passionne pour ces querelles et, ce qui est plus grave, l’empereur intervient : il convoque les conciles et influence les débats. Dans l’empire chrétien, l’Eglise n’est plus totalement indépendante du pouvoir temporel.

In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp. 124-131.