La rencontre des religions

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L’expansion romaine a entraîné un grand brassage des religions. Les dieux des conquérants s’implantent dans la plupart des provinces mais, inversement, des divinités étrangères s’introduisent dans le panthéon romain. Une sorte d’amalgame se produit entre divinités d’origines différentes : le dieu celtique Lug se confond avec Mercure ; en Afrique du Nord, le Baal carthaginois s’identifie à 

Mais l’avènement du monothéisme est un fait autrement important. Issu de la religion juive, le christianisme se répand chez les « Gentils » et finit par supplanter les cultes grecs et romains.

  1. La religion romaine traditionnelle.

A première vue, la religion romaine est très semblable à celle de la Grèce. Beaucoup de dieux ont la même apparence (Zeus-Jupiter ; Poséidon-Neptune) et les cérémonies du culte sont comparables. En réalité, les deux peuples ont des mentalités religieuses assez différentes.

  1. Les dieux romains.

Comme les Grecs, les Romains sont polythéistes. Ils honorent une multitude de divinités et la plupart de celles-ci ont une figure humaine, mais pas d’histoire : la mythologie romaine est très pauvre.

Jupiter est le dieu suprême. Il a son temple à Rome, au Capitole, où il est honoré sous les titres de « Très bon, Très grand » (Jupiter Optimus Maximus). Son rôle de gardien de la morale est fort net. Il veille au respect de la « Bonne Foi » (Fides) ; il est le garant des serments. C’est le seul dieu qui ait de telles préoccupations : les autres n’exigent rien de l’homme, si ce n’est qu’il se conforme aux règles d’une religion toute rituelle.

Au capitole, Jupiter partage son temple avec deux déesses, Junon et Minerve : c’est la Triade capitoline. Junon protège les femmes et les enfants ; Minerve est la patronne des artisans.

Mars est le dieu de la guerre et, en quelque sorte, le fondateur de Rome puisque la légende fait de lui le père de Romulus. Il connaît un regain de faveur lorsqu’Auguste lui consacre un temple au Forum en tant que « Vengeur de César » (Mars Ultor).

Janus était, sous la République, un dieu important. Il est représenté avec une double tête, l’une regardant le passé, l’autre l’avenir. C’est le dieu des commencements (il donne son nom au premier mois de l’année). Janus n’a plus guère de succès à l’époque impériale. Il garde pourtant son temple (au Forum) qui reste fermé lorsque Rome est en paix.

Les dieux familiaux ont une importance considérable aux yeux des Romains. Les Pénates veillent sur le garde-manger de la maison : le père de famille leur offre un peu de nourriture au début des repas. Les dieux Lares protègent la maisonnée, y compris les esclaves ; on les représente sous la forme de deux jeunes gens qui dansent en tenant une coupe à la main ; souvent ces Lares encadrent un personnage en toge figurant le Génie du maître de maison. Le culte domestique se célèbre autour du foyer et devant le laraire, sorte de niche où les divinités sont représentées par des peintures ou des statuettes.

Le panthéon romain s’est enrichi, dès l’époque républicaine, d’apports étrangers. Lors d’une épidémie, au Ve siècle av. J-C, Rome adopte Apollon en tant que dieu-médecin. Au début du IIIe siècle, Esculape (= Asclépios) est installé sur l’île du Tibre. A la fin du IIIe siècle, effrayés de leurs défaites dans la guerre d’Hannibal, les Romains font venir Cybèle de Pessinonte (Asie mineure). D’autres dieux étrangers s’introduisent à Rome à l’époque impériale.

  1. Le culte.

Le culte a pour objet essentiel le maintien de la « paix avec les dieux » (pax deorum). Honorés selon les règles, les dieux manifestent leur bienveillance envers les hommes ; si elles sont violées, volontairement ou non, ils font échouer les entreprises humaines : il faut alors rétablir la paix par un geste d’expiation. La religion romaine est foncièrement ritualiste.

Dans la vie publique comme dans la vie privée, on honore les dieux à des dates déterminées. Les fêtes officielles se déroulent selon un calendrier dont l’origine remonte au second roi de Rome, Numa. A la maison ou aux champs, les rites s’accomplissent aux moments prévus par la coutume.

La piété romaine s’exprime par des prières et des offrandes. On honore les dieux en leur présentant des biens comestibles ou non (vin, miel, farine, encens, couronne de fleurs…). On pratique aussi les sacrifices sanglants. Dans certaines circonstances, on égorge un porc, un bélier et un taureau (suovetaurilia). Les Romains adressent souvent des vœux à la divinité : on promet à celle-ci telle offrande si elle accorde tel bienfait. Les jeux représentent une autre forme de piété civique. Ils sont précédés d’une procession, dans laquelle figure une image de la divinité à laquelle on s’adresse. Les jeux se déroulent au cirque ou à l’amphithéâtre : ils comportent des courses de chars, des démonstrations d’acrobatie, des combats de gladiateurs. A l’époque impériale, les jeux perdent beaucoup de leur signification religieuse : ce sont des divertissements offerts au peuple par le pouvoir.

Les Romains sont très soucieux de connaître la volonté des dieux : ils pratiquent la divination. Le droit de prendre les auspices au nom du peuple romain est réservé aux magistrats supérieurs (consuls, préteurs), assistés d’augures, interprètes officiels des signes divins : ils observent surtout le vol des oiseaux. L’examen des entrailles des victimes offertes en sacrifice relève de l’art des haruspices, devins d’origine étrusque.

  1. Lieux de culte.

On peut invoquer les dieux et leur faire des offrandes en n’importe quel endroit, dans les champs, auprès des sources, dans les bois. Les frères arvales, par exemple, accomplissent une partie de leurs cérémonies dans le bois de la Déesse Divine (Dea Dia) à quelques kilomètres de Rome.

Comme en Grèce, le temple n’est que la demeure du dieu. Il est généralement de dimensions modestes et construit sur un soubassement assez élevé. La plupart des temples romains ne comportent des colonnes qu’en façade.

Devant le temple, un autel en pierre sert aux sacrifices. Les Romains utilisent aussi des autels portatifs (en métal ou en terre cuite) où l’on peut brûler de l’encens et faire des libations.

  1. Le personnel religieux.

Les dieux romains sont desservis par un personnel nombreux et très organisé.

Les pontifes ne sont attachés à aucun culte particulier. Conseillers des magistrats et du sénat, ils dictent les prières à prononcer, les rites à accomplir. Ils fixent le calendrier religieux, choisissent et surveillent les vestales. A leur tête, le Grand Pontife peut être considéré comme le chef religieux du peuple romain. Tous les empereurs remplissent les fonctions et portent le titre de Pontifex Maximus.

Les dieux les plus importants sont desservis par des flamines. Le flamine de Jupiter jouit d’un grand prestige mais est soumis à des règles de vie méticuleuses et contraignantes.

Les augures sont les spécialistes de la prise des auspices. La fonction perd de son sens dès la fin de la République mais reste très honorable : Cicéron lui-même est fier d’accéder à ce poste.

Les six vestales appartiennent aux plus grandes familles de Rome. Choisies très jeunes par le Grand Pontife, elles restent au service de Vesta pendant trente ans. Leur mission principale est d’entretenir le feu sacré.

Les frères arvales, remis en honneur par Auguste, sont au nombre de douze. Ils sont aussi choisis parmi les membres les plus éminents de l’aristocratie romaine. Les arvales rendent un culte à la Dea Dia et célèbrent tous les événements importants qui surviennent à la cour impériale.

  1. Les mutations de l’époque impériale.

La crise qui secoue Rome au 1er siècle av. J-C n’est pas seulement politique. Elle atteint d’autres secteurs et notamment celui de la religion.

  1. Evolution de la religion romaine.

La dégradation de la religion à la fin de l’époque républicaine est manifeste. De nombreux temples sont ruinés, certaines prêtrises ne sont pas pourvues (de 87 à 12 av. J-C, par exemple, il n’y a plus de flamine de Jupiter) ; les auspices sont utilisés à des fins politiques, pour dissoudre une assemblée ou pour paralyser l’action des magistrats.

En même temps, le succès de certaines religions orientales va grandissant : beaucoup de Romains sont attirés par les cérémonies étranges qui s’y déroulent.

L’indispensable réforme est l’œuvre d’Auguste. Elle se caractérise par un retour aux expressions traditionnelles de la religion nationale. L’empereur réorganise les sacerdoces, ressuscite de vieux collèges comme celui des arvales ; il rend aux jeux leur coloration religieuse, relève les temples et contrôle les cultes orientaux.

D’un autre côté, un nouveau culte s’implante, toléré sinon encouragé par Auguste, le culte impérial. La divinisation des souverains était connue dans le monde hellénistique. Rome s’engage dans cette voie, mais de façon plus modérée. César, à sa mort, avait bénéficié de l’apothéose : Auguste peut donc se dire issu d’un père divin. Lui-même ne se prétend pas dieu mais il accepte qu’on rendre un culte à son Génie et qu’en province, on élève des temples en l’honneur d’Auguste et de Rome.

  1. Les cultes orientaux, le judaïsme et le christianisme.

La politique restrictive d’Auguste vis-à-vis des cultes orientaux est diversement suivie par ses successeurs. Tibère leur est hostile mais Caligula élève un temple à l’égyptienne Isis. A la fin du IIe siècle, Marc-Aurèle est partagé : il condamne ce qu’il considère comme de la superstition mais, sur le point d’entre en guerre, demande aux prêtres de toutes les religions orientales de sacrifier pour le salut de l’Empire. En fait, les religions orientales, notamment le culte de Mithra, ont des adeptes de plus en plus nombreux.

Bien que monothéiste, la religion juive est tolérée par l’autorité romaine. Mais les combats de la Palestine pour son indépendance sont fermement réprimés. En 70 ap. J-C, l’empereur Titus sort vainqueur d’une « guerre juive » et détruit le temple de Jérusalem. Dans les années 132-135, une nouvelle révolte est matée par Hadrien.

Le christianisme, parti de Palestine, se répand rapidement en Asie Mineure, en Grèce, en Italies et jusqu’en Occident. La tolérance que Rome manifestait généralement envers les cultes étrangers ne s’applique pas à cette nouvelle religion. L’empereur Néron condamne au supplice de nombreux chrétiens. Sous les Antonins, la pression de la foule amène souvent les magistrats à prendre des mesures brutales à leur égard. Les persécutions n’empêchent pas le christianisme de faire des adeptes de plus en plus nombreux dans toutes les couches de la société. Au début du IVe siècle, l’empereur Constantin se convertit au christianisme qui deviendra bientôt la religion officielle de l’Empire.

In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp. 98-013.