Le Haut Moyen Age en Occident

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Préparée par les Mérovingiens, la renaissance carolingienne s’épanouit dans les domaines politique, religieux, culturel et  Les frontières de l’Occident chrétien se dessinent et l’esprit s’en définit. C’est l’œuvre d’une dynastie à laquelle le plus grand des membres a donné son nom : l’empereur Charlemagne.

A la mort de celui-ci, l’Empire se disloque. France et Allemagne s’amorcent.

L’économie, fondée sur la terre, puis, à partir du Xe siècle, animée par les échanges, prépare le renouveau des XIe – XIIIe siècles.

  1. Le cadre politique.
  2. Le royaume mérovingien.

Une nouvelle carte politique.

La carte politique de l’Occident subit, du Ve au VIIIe siècle, de profonds bouleversements. Dans la 2e moitié du Ve siècle, les Francs, conduits par Childéric, s’installent dans la région de Tournai et de la vallée de la Somme. Grâce aux succès militaires de Clovis et de ses successeurs immédiats, leur royaume s’étend au détriment de leurs voisins obligés d’accepter leur alliance (Burgondes) ou vaincus (Alamans, Wisigoths). Il refait ainsi l’unité de la Gaule et prépare la voie aux Carolingiens.

Le royaume Wisigoth s’identifie dès 600 avec l’Espagne. Il développe une civilisation brillante jusqu’à la conquête arabe (711). L’Italie tombe aux mains des Ostrogoths. Au VIe siècle, elle est divisée entre les nouveaux envahisseurs Lombards et Byzantins. Les Papes à Rome restent un phare pour les chrétientés. En Angleterre, les Angles et surtout les Saxons se taillent plusieurs royaumes dans la partie orientale de la Bretagne romaine.

Des missionnaires et des lettrés parcourent ces pays en tous sens. Grâce à eux, des liens culturels et religieux féconds se nouent au-delà des frontières politiques. Ils jettent les bases de la civilisation occidentale.

La royauté.

Le roi est la clé de voûte de l’organisation politique. Pour s’imposer aux différents peuples qui habitent son royaume, il compose avec les structures héritées de Rome et les traditions germaniques. Le baptême de Clovis marque un tournant décisif. Il assure au roi l’appui et le dynamisme de l’Eglise. Cette association oriente vers l’avenir. Le christianisme sera le levain de la nouvelle civilisation. Reconnu par l’empereur byzantin, Clovis porte le titre de consul et le manteau pourpre. Cela légitime son autorité auprès des Gallo-romains et l’inscrit dans la tradition romaine. Mais son pouvoir est d’essence germanique. Le roi mérovingien est surtout un chef de guerre. Ses conquêtes lui procurent prestige et richesses. Elles renforcent sa puissance personnelle qui n’a pas de limitation légale et couvre tous les domaines.

Il s’entoure de conseillers dont le plus important est le maire du palais. Il possède de vastes domaines surtout en île de France, centre du royaume. A l’échelon régional, il est représenté par des comtes. Les évêques sont devenus les véritables chefs religieux et temporels de leurs diocèses qui perpétuent le cadre des « cités » romaines.

Le droit est personnel : chacun est jugé selon la loi de son peuple. Les différentes lois sont mises par écrit, en latin, au VIe siècle. Destinées à maintenir la paix et à limiter les vengeances privées, elles révèlent une société violente.

Des luttes dynastiques ; la montée de l’aristocratie.

La coutume des partages successoraux s’installe à la mort de Clovis. Ils aboutissent à la formation de quatre grands royaumes : l’Aquitaine, la Neustrie, la Bourgogne et l’Austrasie. Les luttes dynastiques sanglantes qui en résultent déciment les familles royales. Elles sont ruineuses pour les prétendants au trône qui achètent les Grands par des dons de terre. L’aristocratie en profite pour renforcer sa puissance. Elle devient une force politique avec laquelle le roi doit composer. Dès le VIIe siècle, ses leaders, les maires du palais, prennent en main les rênes du pouvoir, et se préparent à supplanter les Mérovingiens.

  1. Les Carolingiens et l’empire.

Une famille d’Austrasie.

Une famille d’Austrasie émerge, les Pippinides. Ils détiennent d’immenses domaines dans la région mosane (Jupille, Herstal, …) et rhénane. Ils sont donc riches et peuvent constituer une clientèle. Ils sont habiles aussi. Ils parviennent à accaparer de père en fils la charge de maire du palais d’Austrasie et se ménagent l’appui de l’Eglise, car ils soutiennent la diffusion de la foi. Lorsque les Arabes menacent les frontières, ils sont les seuls à pouvoir organiser la résistance. La victoire de Charles Martel, à Poitiers en 732n assure son autorité de fait sur l’ensemble du pays franc. En 751, son fils, Pépin le Bref, dépose le dernier Mérovingien. Il est élu roi par les Grands et sacré par saint Boniface puis par le Pape, ce qui lui donne une légitimité d’origine divine. Il inaugure une nouvelle dynastie, celle des Carolingiens.

Une politique d’expansion.

Charlemagne, poursuivant la politique de conquêtes de son père, va « dilater » le royaume franc dans toutes les directions. En Italie, les Etats Pontificaux avaient été créés par Pépin le Bref en 754. Ils dureront jusqu’en 1870. Pour assurer leur protection, Charlemagne conquiert le royaume lombard. Au sud-ouest, il constitue la marche d’Espagne comme protection contre les Arabes. Au nord, la Frise est définitivement incorporée. Il étend ainsi sa domination le long des côtes de la mer du Nord jusqu’à l’embouchure de l’Elbe (fondation de Hambourg). A l’est, il annexe la Bavière et la Carinthie. Après 33 ans de luttes incessantes et cruelles, la Saxe est mâtée. Les Avars sont défaits et leur immense trésor tombe aux mains des Francs. Charlemagne a unifié l’Occident chrétien compris entre les mondes musulman, scandinave et slave.

L’accession à L’Empire.

Apothéose de son œuvre, Charlemagne est couronné empereur en 800. Il se présente dès lors comme héritier de l’Empire romain. Il devient ainsi le rival du souverain byzantin. C’est la rupture. Son pouvoir est théoriquement universel. Cette notion porte en germe un lourd conflit avec la papauté.

Le sacre impérial renforce la haute idée que Charlemagne se faisait de sa mission. Chef et guide du peuple chrétien, il doit faire régner sur terre la paix et la justice, mais surtout guider son peuple vers le salut.

L’unification politique.

L’Empire de Charlemagne forme un ensemble disparate. L’organisation qu’il met en place vise à lui donner une cohésion politique et à affirmer son autorité partout, malgré les distances.

Entouré d’un conseil de fidèles, Charlemagne concentre en ses mains tous les pouvoirs. Il se fixe à Aix-la-Chapelle. Une administration embryonnaire de clercs le seconde. Chaque année, une assemblée générale (plaid) réunit les dignitaires ecclésiastiques et laïques. Ils y discutent ou approuvent les décisions royales et, de ce fait, s’engagent à les respecter. C’est à la suite de ces assemblées, tenues en mai, avant la campagne d’été, que sont rédigés les Capitulaires valables pour tous.

A l’échelon régional le comte est le représentant du roi. Il doit faire connaître et respecter les capitulaires, maintenir l’ordre, présider les tribunaux, convoquer l’armée. Aux frontières, l’aspect militaire et défensif prime dans les « marches » (marka signifie limite en germanique). Pour surveiller ces personnages très puissants, Charlemagne institue les missi dominici. Ces « envoyés du maître », lors de longues tournées d’inspection, veillent à la bonne exécution des volontés royales et répriment les abus.

  1. A la plus grande gloire de Dieu.
  2. L’Eglise et la vie religieuse.

Les invasions mettent l’Eglise en présence du paganisme et de l’arianisme. Des apôtres largement orientés par la papauté et soutenus par les rois et l’aristocratie lui permettent d’unifier l’Occident par la foi.

La conversion des royaumes barbares.

Alors que le sous l’Empire, le message évangélique s’était diffusé d’abord parmi le peuple, c’est la conversion des chefs qui rend possible l’évangélisation des masses barbares. Au début du Ve siècle, le baptême de Clovis fait de la Gaule un centre de diffusion de la foi chrétienne. La conversion du roi Recarède marque la fin de l’arianisme en Espagne (587). Celle des Lombards efface cette hérésie de l’Italie et d’Occident. Des missionnaires dont Saint Patrick (461) gagne l’Irlande. D’autres, avec saint Augustin de Cantorburry envoyés par le Pape Grégoire le Grand, font de même pour l’Angleterre à la fin du VIe siècle.

Le monachisme.

Etabli depuis près de deux siècles en Occident, le monachisme connaît au VIe siècle un essor remarquable. Colomban importe sur le continent les traditions ascétiques irlandaises. Il établit un code spirituel très exigeant qui inspire les nombreux monastères fondés par lui et par ses disciples (Saint-Trond, Stavelot-Malmedy, Lobbes…). Mais progressivement la règle élaborée par saint Benoît de Nursie supplante celle de Colomban. Plus pratique, elle « règle » dans le détail l’organisation du monastère et la vie des moines. Elle préconise un équilibre entre la prière, le travail et l’ascèse : « Il faut que les courageux désirent faire davantage, et que les faibles ne se découragent pas. » Elle insiste sur le devoir de charité. Situés dans les villes ou isolés dans les campagnes, les monastères sont ouverts sur le monde. Ils sont des foyers de vie chrétienne, des points d’appui de l’évangélisation, des refuges pour les pauvres et les pèlerins, des centres de développement économique. Ils n’ont pas d’organisation commune : chaque établissement adapte la règle à ses besoins.

L’évangélisation.

Venus de tous les horizons, les moines parcourent l’Occident et élargissent les frontières de la chrétienté : ils fondent abbayes et évêchés pour encadrer les nouveaux chrétiens. A l’initiative des évêques et des grands propriétaires, les paroisses se multiplient.

Saint Amand établit les premières églises de la région de Gand et d’Anvers, saint Hubert achève l’évangélisation du Brabant et de l’Ardenne. Au VIIIe siècle, l’Anglais saint Boniface, « celui qui fait le bien » crée l’Eglise d’Allemagne. La chrétienté occidentale se construit et simultanément l’unification progresse, car l’évangélisation est un instrument d’assimilation.

L’unification carolingienne.

« Chef et guide du peuple chrétien », Charlemagne intervient vigoureusement dans la vie et l’organisation de l’Eglise. Il veut la sanctifier et étendre le royaume de Dieu au-dehors et au-dedans de son empire. Ce faisant, il unit par une même foi, une même pratique, les peuples qu’il gouverne. Son action religieuse soutient son œuvre d’unification politique.

La conquête de la Saxe s’accompagne de conversions forcées, imposées au besoin par la violence, moyen d’intégrer et de surveiller ce peuple turbulent. A l’intérieur de l’empire, il veille à l’instruction religieuse de ses sujets, multiplie les capitulaires rappelant les obligations religieuses et morales des chrétiens (repos dominical, assistance à la messe, respect des sacrements, obligation d’aider les pauvres…).

Il introduit une liturgie unique : les textes, les chants, les rites sont revus à partir des traditions romaines. Il s’efforce de réformer les mœurs du clergé. Il médite d’unifier les monastères sous la règle de saint Benoît. Son fils, Louis le Pieux, réalisera ce souhait avec l’aide de Benoît d’Aniane, le second saint Benoît. Mais celui-ci rompt l’équilibre voulu par le premier ; il met l’accent sur la prière. Charlemagne choisit évêques et abbés. Instruits et fidèles, ils sont chargés de tâches politiques qu’ils exercent au détriment de leur charge pastorale. Les meilleurs s’en plaindront. Mais l’attrait de ces fonctions lucratives et prestigieuses provoquera des abus. La confusion entre pouvoir politique et apostolat religieux est source de dangers et de conflits.

Les promesses d’un renouveau.

A travers tout le Xe siècle, des réformes isolées témoignent d’un désir de régénérer le monachisme. La fondation de Cluny (910) par le duc Guillaume d’Aquitaine est riche d’avenir. Dégagé de toute dépendance envers un seigneur laïc et même envers l’évêque, le monastère ne relève que de l’autorité pontificale. Il obéit à la règle de saint Benoit, mais privilégie la prière et les cérémonies religieuses. Il groupe bientôt sous sa direction un nombre croissant d’établissements. Le premier ordre religieux est né.

La fin des invasions ranime l’élan missionnaire. La conversion des pays scandinaves, amorcée sous les Carolingiens, progresse grâce aux Anglais. Vers l’est, la propagation de la foi est soutenue par les souverains germaniques. La Pologne, la Bohème, la Hongrie (baptême du futur roi Etienne, en 985) sont acquises au catholicisme romain peu avant l’an mil. Les frontières de la chrétienté se dessinent, elles divisent déjà l’Europe chrétienne en deux zones d’influence : « romaine » et byzantine.

  1. La culture.

Du Ve au VIe siècle.

Après le choc des invasions, la culture antique survit péniblement. Elle est perpétuée par des aristocrates et des moines d’origine romaine, mais elle est rejetée par des chrétiens hostiles à sa mentalité et elle n’offre plus guère d’utilité dans un monde où le droit, l’administration, sont des plus rudimentaires. L’écriture mérovingienne est un bon témoin de ce déclin. Le latin subsiste comme langue savante. Il s’emploie pour rédiger les chartes privées (titres de propriétés) et les documents officiels. Il est indispensable pour célébrer la liturgie et lire les auteurs sacrés. Mais il s’altère. En Gaule, Grégoire de Tours rédige son « Histoire des Francs » dans un latin que lui-même qualifie de rustique.

Quelques lueurs subsistent ou s’allument : l’Italie a conservé dans ses monastères des manuscrits antiques, des maîtres compétents les étudient. En Espagne, Isidore de Séville ordonne dans une encyclopédie toutes les connaissances religieuses et profanes héritées des Romains. L’Irlande et l’Angleterre fondent des écoles monastiques brillantes. Leurs moines parcourant l’Occident établissent des échanges culturels qui seront un point de départ pour le redressement voulu par Charlemagne.

La culture carolingienne.

Puissant, contrôlant Rome, l’empereur a les moyens et la volonté de développer une civilisation brillante, inspirée de l’Antiquité, mais chrétienne avant tout. Il rénove l’enseignement. Secondé par un pédagogue exceptionnel, l’Anglais Alcuin, il soutient la création d’écoles monastiques et épiscopales, ouvertes aussi aux laïcs. Il peut ainsi compter sur des clercs instruits, capables d’enseigner la religion chrétienne, de célébrer la liturgie, et de lui donner des fonctionnaires compétents. Il fait d’Aix-la-Chapelle le centre culturel de l’Occident. Il y accueille dans l’école du palais des jeunes gens doués qui y perfectionnent leur formation. Il s’entoure d’érudits venus d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre. Sous Louis le Pieux et surtout sous Charles le Chauve, la culture s’approfondit dans les monastères.

Cicéron et Martianus Capella avaient établi un programme d’étude. On le reprend. Un bon clerc doit écrire et parler en latin. Il étudiera donc, dans les auteurs classiques, Virgile, Horace, Cicéron, le trivium ou sciences de l’esprit : la grammaire, la dialectique (art de raisonner), la rhétorique (art d’exposer et de convaincre). Il abordera aussi le quadrivium ou sciences de la nature, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique. L’objectif est religieux : ce n’est pas l’esprit de l’Antiquité qui intéresse, et que beaucoup trouvent futile, immoral, mais la langue, le style, la forme. Cette renaissance des études exige la constitution de bibliothèques. C’est grâce au travail patient des copistes travaillant dans les ateliers des monastères ou des évêchés que nous sont parvenues bien des œuvres classiques.

La renaissance carolingienne est marquée par ses buts didactiques. Ses premiers auteurs, des étrangers, produisent des manuels de grammaire, des sermons, des commentaires de l’Ecriture, souvent copiés des Pères de l’Eglise. Il y a peu d’œuvres originales. Puis une génération de Francs prend le relais. Le plus connu est Eginhard. Sa « Vie de Charlemagne » s’inspire de la  « Vie d’Auguste » de Suétone. Elle présente le souverain carolingien comme une réplique de l’empereur romain. La reprise de phrases entières à son modèle caractérise le style imitatif de l’époque. Des Irlandais participent à ce courant culturel, comme le poète Sédulius, hôte de l’évêque de Liège. Et surtout comme Jean Scot Erigène, le premier philosophe du moyen âge, un des rares hellénistes de son temps, qui étudie la doctrine de la création et du salut à l’aide de la pensée grecque.

  1. L’art.

La renaissance carolingienne crée en Occident un courant architectural inspiré de l’art romain et de l’art byzantin. Il réalise des palais impériaux (Aix-la-Chapelle), des monastères et surtout des églises. Leur construction obéit à un plan central comme à Ravenne, ou basilical, rectangulaire. Mais leur agencement s’adapte à l’usage liturgique. Le développement du culte des reliques et des processions, l’accroissement des communautés, l’évolution des cérémonies expliquent la complexité croissante des plans. L’église de Saint-Riquier en offre un bon exemple : crypte, chapelles, trois nefs, avant-corps, répondent aux nouveaux besoins du culte.

Les murs s’ornent de revêtements colorés, de fresques, parfois de mosaïques. Il en reste peu de vestiges. C’est l’enluminure des manuscrits (miniatures) qui nous fait connaître la peinture carolingienne. Ils étaient richement ornés pour souligner leur caractère sacré. Ils offrent des œuvres inspirées de motifs géométriques d’origine barbare ou antique qui cherchent à rendre le modelé, le volume, à saisir le mouvement (Psautier d’Utrecht) ou à composer harmonieusement les scènes (enluminures du Psautier de Charles le Chauve).

La sculpture s’épanouit dans le travail de l’ivoire, inspiré de Byzance. Relief, mouvement, drapé caractérisent les plats de reliures. Les bijoux, vases liturgiques et reliquaires témoignent de l’art consommé des orfèvres.

Conclusion.

La renaissance carolingienne, véritable brassage culturel, doit l’essentiel à Charlemagne. Elle ne représente qu’un début. Elle ne donnera pas naissance à beaucoup d’œuvres importantes mais réunit des matériaux et un esprit commun à tout l’Occident médiéval. Elle contribue au sauvetage de l’héritage antique dans la mesure où celui-ci aide à l’élaboration de la théologie. Elle crée des centres culturels : les évêchés et surtout les monastères de l’entre Seine-et-Elbe. Elle se prolonge dans la renaissance ottonienne et le mouvement bénédictin.

  1. Le travail au quotidien.
  2. La population.

Les Germains qui franchissent le limes ne constituent pas des groupes très nombreux. La fusion avec les autochtones se fera lentement. La diversité des lois, par exemple, témoigne de la variété des peuples.

Il est impossible d’évaluer la population du haut moyen âge. Celle-ci est en énorme majorité rurale. La mortalité infantile est grande, la moyenne d’âge est faible. Les guerres, les famines, les épidémies, la violence dont les chroniques se font l’écho, l’hygiène et la médecine rudimentaires en sont les causes. On perçoit les indices d’une poussée démographiques entre 750 et 850 dans l’entre-Loire-et-Rhin. Les progrès des défrichements en témoignent. Mais dans l’ensemble, la population reste numériquement faible, ce qui freine tout dynamisme économique.

  1. La vie rurale.

La terre est partout le fondement de l’économie du haut moyen âge. Mais les différences régionales sont tellement marquées qu’il est plus sage de se concentrer sur l’entre-Loire-et-Rhin.

La petite propriété prédomine à l’époque mérovingienne. Sous le poids de l’insécurité et la pression de grands propriétaires, elle est largement absorbée par les grands domaines à l’époque carolingienne. Simultanément, le roi et les abbayes entreprennent des défrichements, des endiguements, des assèchements de marais. Ils concentrent ainsi en leurs mains des ensembles de plus en plus importants, base de leur richesse et de leur pouvoir. Certains sont connus grâce à des inventaires ou polyptyques. Ils atteignent plusieurs milliers d’hectares. Ils sont constitués de plusieurs exploitations agricoles appelées « villae », parfois fort éloignées les unes des autres.

La villa se divise en deux parties : la réserve et les manses. La réserve, la terre que se réserve le maître, est exploitée en faire valoir direct. Elle comprend de grandes pièces de labour (les coutures), des prés, des vignes, des friches, des bois, des vergers, un potager. L’habitation du maître, les bâtiments abritant les ateliers, les granges, les écuries, les cabanes des serfs sont ceinturés de murs : c’est la cour. Des moulins, des pressoirs, des brasseries complètent l’installation.

Le reste de la ville, divisé en manses, est distribué à des paysans libres ou non. En échange, ceux-ci acquittent des redevances en nature et accomplissent des travaux parfois fort lourds sur la réserve. Un intendant (maire, villicus) organise, répartit et surveille le travail, perçoit les redevances, gère l’affectation des récoltes.

Le travail agricole est pénible. L’outillage est en bois, parfois renforcé de métal. Il faut défoncer le champ à la bêche pour améliorer le travail des charrues rudimentaires et élever le rendement. La fumure est rare. La jachère reste une nécessité pour régénérer les sols. Ainsi se perpétuent des gestes et des techniques nés à l’époque néolithique.

On produit principalement des céréales, quelques légumes (pois, fèves, poireaux, oignons…), des fruits (pommes, pêches…). On récolte le miel avec soi. L’élevage fournit du lait, de la viande, du cuir, des animaux de trait. La vigne se cultive en beaucoup d’endroits, spécialement dans les vallées du Rhin et de la Moselle. Les forêts sont essentielles pour le chauffage et les constructions. Elles assurent le combustible nécessaire à l’artisanat du métal. Elles procurent des fruits et des baies sauvages. Elles servent de pâture pour les animaux domestiques et de repaire pour le gibier (bisons, sangliers, ours). L’agriculture ne couvre donc pas tout le sol : elle se pratique dans des clairières séparées par d’immenses étendues de friches ou de bois. Les rendements sont faibles. Les disettes menacent. La soudure entre deux récoltes est envisagée avec appréhension. Les souverains interviennent souvent pour essayer de limiter la hausse des prix, interdire l’usure, rappeler l’indispensable charité envers les pauvres.

Les tenanciers et les petits propriétaires libres vivent en hameaux qui se concentrent petit à petit en villages. Certains de ceux-ci disposent d’une église. Ils sont parfois le siège de petits marchés qui permettent d’écouler les surplus de la production et d’acquérir sel, vin, fer. Ce commerce local alimente aussi des marchés urbains plus importants et favorise le développement de villes bien situées sur les voies du trafic fluvial ou routier international. L’économie domaniale aide au progrès d’une économie d’échanges sensible à partir du VIIIe siècle.

Les maisons sont construites en bois et torchis. Hommes et bêtes voisinent dans ces grandes cabanes rectangulaires. La cheminée est inconnue, la fumée du foyer central s’échappe par une ouverture pratiquée dans le toit. Le sol est en terre battue.

La vie agricole postule une assemblée villageoise : il faut décider ensemble, de concert avec le maître, du calendrier des travaux ou du nombre de bêtes qu’on enverra paître dans les friches et les forêts.


 

  1. Les villes et les échanges.

Les troubles politiques et l’insécurité des IIIe et IVe siècles, les invasions du Ve siècle ont détruit le dynamisme urbain en Occident. Les villes ne sont plus, au haut moyen âge, les moteurs de la vie sociale, culturelle, artistique, économique ou politique qu’elles étaient au début de l’empire romain. Elles le cèdent aux palais et aux monastères installés à la campagne. Beaucoup s’étiolent. Seules conservent une certaine activité celles où se perpétue ou s’établit un siège épiscopal.

Un commerce régional subsiste avec les villages qui ravitaillent les citadins, puis avec de petits marchés qui écoulent les fabricats d’artisans et distribuent des produits rares ou mieux ouvragés.

Car un grand commerce reparaît dans le Nord, orienté vers l’Angleterre et la Baltique. Des cités naissent (Liège) ou se raniment (Huy) le long des fleuves ; des foires (Saint-Denis, près de Paris) rassemblent des marchands venus de loi ; des ports sont aménagés le long des côtes, dans le delta rhéno-mosan (Dorestad) et la mer du Nord (Quentovic). Une reprise économique s’amorce au VIIIe siècle. Le calme restauré par les Carolingiens y est pour beaucoup. L’essor des XI-XIIe siècles se prépare.

Dans les régions méditerranéennes, industrie et commerce résistent mieux. Il est typique que le latin laborare, travailler, soit devenu en français labourer, c’est-à-dire travailler la terre et en italien lavorare, travailler de façon générale. Dans ces pays se maintient puis se développe un second pôle d’échange (Venise et, à partir du Xe siècle, Gênes et Pise).

A la faiblesse de la production agricole et artisanale correspond le faible volume des échanges. Ils portent sur le blé, le vin, les armes (les épées franques sont très recherchées), le métal, les étoffes et vêtements, le sel d’esclaves traverse l’Occident. Les produits orientaux, soies et épices s’adressent à une clientèle très réduite et fortunée.

La monnaie est frappée par de nombreux ateliers privés. L’or perd progressivement sa fonction monétaire. Il est thésaurisé sous forme de bijoux, d’objets précieux, de vases liturgiques. Il disparaît de la circulation au profit de pièces d’argent plus adaptées à la valeur des échanges, mais souvent falsifiées. Pour assainir le marché et faciliter les échanges, les Carolingiens créent le denier d’argent.

In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp. 142-161.