Les hommes et leurs milieux de vie

posted in: Histoire | 0

La population de l’empire romain n’est pas homogène. Des distinctions d’ordre juridique et social créent en son sein une multitude de catégories qui ne sont d’ailleurs pas hermétiques : on peut passer de l’une à l’autre, notamment part la volonté

Les genres de vie sont évidemment très divers dans un empire aussi vaste. Le climat, le degré d’urbanisation, les traditions locales engendrent de grandes différences entre les régions. Qu’y a-t-il de commun entre un habitant d’Augustodunum (Autun), un Grec d’Antioche et un fellah égyptien, si ce n’est qu’ils sont tous soumis à l’autorité de Rome ?

  1. Une société hiérarchisée.

La naissance et la richesse sont les deux facteurs principaux qui déterminent la place d’un individu dans la pyramide sociale. S’y ajoute la faveur impériale : le prince peut en effet accorder la citoyenneté à des étrangers, faire entrer qui il veut dans l’ordre sénatorial, introduire ses protégés dans la caste des patriciens.

  1. La citoyenneté romaine.

La citoyenneté romaine s’acquiert de trois façons.

– On naît citoyen si l’on est issu du mariage légitime de parents citoyens.

– On peut devenir citoyen par la voie de la naturalisation. Les empereurs ont largement utilisé ce procédé à l’égard des provinciaux jusqu’à ce que, en 212, Caracalla accorde la citoyenneté à tous les hommes libres de l’empire.

– Enfin, à la différence de ce qui se passe dans le monde grec, certaines formes d’affranchissement confèrent la citoyenneté.

Les droits politiques des citoyens sont réduits par rapport à ce qu’ils étaient sous la République. Les assemblées du peuple (comices) se réunissent de moins en moins : les citoyens perdent, en pratique, le droit de voter les lois et d’élire les magistrats. Les citoyens conservent, en revanche, des privilèges en matière judiciaire, notamment le droit d’en appeler à l’empereur.

Si les citoyens sont toujours astreints au service militaire, cette obligation n’a plus beaucoup de sens depuis que les légions sont composées d’engagés volontaires. Seuls les fils de bonne famille qui désirent accéder aux magistratures restent tenus à servir comme officiers dans les armées romaines.

  1. Les catégories de citoyens.

La société romaine est foncièrement inégalitaire.

Au sommet de la hiérarchie, l’ordre sénatorial se compose des 600 sénateurs proprement dits et de leurs familles. L’appartenance à cet ordre est héréditaire mais les empereurs en élargissent les rangs en y introduisant, en particulier, des notables provinciaux. Les sénateurs sont en général de grands propriétaires fonciers ; les affaires commerciales leur sont interdites. Ils ont seuls accès aux vieilles magistratures républicaines (questure, édilité, préture, consulat) et à certaines hautes fonctions créées à l’époque impériale (préfecture de la ville, par exemple).

Second en dignité, l’ordre équestre se compose de citoyens romains fortunés auxquels l’empereur a concédé le brevet de chevalier. Après avoir exercé des commandements militaires, les chevaliers remplissent des fonctions administratives et peuvent accéder à de hautes responsabilités comme la préfecture des vigiles, de l’annone, du prétoire ou la préfecture d’Egypte.

Les simples citoyens constituent la plèbe et ne participent pratiquement pas à la vie politique. Leur appartenance au populus romanus leur vaut toutefois, s’ils résident à Rome, d’être entretenus partiellement par l’Etat : du blé leur est distribué régulièrement ; s’y ajoutent, de temps en temps, des distributions d’argent.

La qualité de client permet aussi aux gens de condition modeste d’obtenir du secours. Le client se lie à un patron qu’il va saluer tous les matins, qu’il doit aider en cas de besoin. En retour, il reçoit de la nourriture ou un peu d’argent. L’institution de la clientèle remonte aux débuts de la République.

La hiérarchie sociale qui existe à Rome se trouve, grosso modo, dans les villes d’Italie et de provinces. Partout, ce sont les nantis qui ont accès aux magistratures et aux conseils locaux.

  1. Les pérégrins.

Tout homme libre ne possédant pas la citoyenneté est un pérégrin. Cette condition est celle d’un grand nombre de provinciaux avant l’édit de Caracalla.

Les pérégrins appartiennent en général à des cités dont le statut est variable mais qui, à de rares exceptions près, sont soumises à l’impôt. Pour le reste, les cités pérégrines jouissent d’une assez large autonomie interne. Elles conservent leurs magistrats et leurs conseils. Les tribunaux locaux continuent à fonctionner même si leur compétence est limitée : les affaires les plus importantes dépendent évidemment de l’autorité romaine.

  1. Les esclaves et les affranchis.

Le juriste Gaius (IIe siècle ap. J-C) définit l’esclave comme celui qui est « soumis à la puissance de son maître ». C’est un « outil parlant » (Varon). Le maître traite l’esclave comme il l’entend, sans restrictions. Il peut le frapper, l’enchaîner, le vendre… Toutefois, à l’époque impériale, le sort des esclaves s’améliore quelque peu. Le maître n’a plus le droit de vie et de mort sur eux. Si un esclave s’estime trop maltraité, il peut demander à être vendu à quelqu’un d’autre.

Il existe à Rome un certain nombre d’esclaves publics : ils sont employés dans les services des aqueducs, de la voirie, des incendies. Mais dans leur immense majorité, les esclaves appartiennent à des particuliers : les gens de condition modeste se contentent de quelques serviteurs ; les riches en possèdent des centaines, voire des milliers.

Les occupations serviles sont très variées. Les esclaves sont gens de maison, médecins, pédagogues, secrétaires, ouvriers agricoles, artisans, gladiateurs…

Il est très difficile d’évaluer leur nombre. D’après certains calculs, il y aurait eu en Italie, au début de l’époque impériale, de deux à trois millions d’esclaves. Ce chiffre eut plutôt tendance à décroître. Rome a en effet acquis la majorité de ses esclaves au moment des grandes conquêtes ; quand celles-ci ont pris fin, la source principale de l’esclavage s’est tarie. D’autre part, les esclaves mettaient peu d’enfants au monde et les affranchissements étaient assez nombreux.

L’affranchissement d’un esclave peut se faire selon diverses procédures : la plus courante est l’affranchissement par testament. A l’époque impériale, les libérations se multiplient, à tel point qu’Auguste doit prendre des mesures restrictives : le maître qui possède de 2 à 10 esclaves ne peut en affranchir la moitié ; celui qui en possède de 10 à 30, le tiers… Ce ne sont pas forcément des sentiments humanitaires qui poussent les propriétaires à agir ainsi. Ils y trouvent leur avantage : on peut en effet confier à un affranchi de plus grandes responsabilités.

Les affranchis impériaux constituent une classe particulière. Sous l’empereur Claude, notamment, certains affranchis (Pallas, Narcisse…) jouent un rôle politique important et parviennent à amasser des fortunes considérables.

  1. La vie urbaine.

Les Romains, comme les Grecs, ne conçoivent pas qu’une ville civilisée puisse se dérouler en dehors d’un cadre urbain. La ville, et elle seule, offre au citoyen le moyen de mener une existence digne de son rang.

  1. La vie à Rome.

C’est à Rome que le citoyen exerçait autrefois ses droits civiques (le vote des lois et l’élection des magistrats, par exemple). A l’époque impériale, ces droits sont presque réduits à néant mais la capitale offre, en compensation, beaucoup d’agréments. Il y a des forums pour la promenade, des thermes, des théâtres et des amphithéâtres où les spectacles sont continuels. Les empereurs ramènent d’Egypte des obélisques, font élever des temples, des arcs de triomphe. Le blé est vendu à prix réduit et il arrive qu’il y ait des distributions d’argent.

La vie privée de la plupart des habitants de Rome est toutefois difficile. Si les riches peuvent se faire construire des demeures très confortables (domus), les gens de condition modeste sont relégués dans des immeubles à appartements (insulae) sans aucune commodité.

  1. Les villes de province.

L’administration et la romanisation des provinces supposent l’existence de villes. Celles-ci sont très nombreuses en Grèce et en Asie mais il faut en créer en Occident et en Afrique.

Certaines cités se développent à côté d’agglomérations indigènes préexistantes ou de camps militaires romains ; d’autres sont fondées sur des sites entièrement neufs.

Comme chez les Grecs, le plan est généralement orthogonal. Dans le schéma classique, mais qui est souvent adapté en fonction de la topographie, la ville est partagée en quatre secteurs par deux axes perpendiculaires : le decumanus orienté d’ouest en est ; le cardo, dans le sens nord-sud. A l’intersection des deux axes, se trouve le forum. Et non loin de celui-ci s’élèvent les bâtiments caractéristiques d’une ville romaine : basilique, théâtre, temples, thermes, arcs de triomphe.

La paix romaine des deux premiers siècles a rendu les fortifications inutiles : nombreuses sont les villes qui n’ont pas de remparts avant les invasions barbares.

  1. Les fonctions urbaines.

Si toutes les villes participent aux mêmes fonctions (administration, commerce, artisanat, culte), l’importance relative de celles-ci peut varier d’un endroit à l’autre : chaque ville prend ainsi une physionomie particulière.

Certaines sont surtout des centres administratifs (Narbonne, par exemple). Elles abritent le gouverneur de la province et ses fonctionnaires. Les bureaux, les locaux publics y occupent une grande place. Les capitales provinciales sont également des centres religieux : c’est là qu’on célèbre le culte impérial.

D’autres cités ont une vocation commerciale. Leptis Magna, en Lybie, dispose d’un grand port qui exporte du blé, de l’huile, des tissus de pourpre et des produits africains (ivoire, bêtes fauves). Lyon, capitale des Trois Gaules, exerce des fonctions administratives et religieuses mais constitue aussi une importante place de commerce ; située à un carrefour de voies terrestres et fluviales, la ville est le siège de nombreuses corporations de bateliers et de négociants.

Marseille et Autun sont des villes universitaires.

  1. La vie à la campagne.

La vie des campagnes est mal connue. Les textes qui évoquent le monde rural sont relativement rares et les traces archéologiques – là où des fouilles ont été menées – d’interprétation difficile. Le problème se complique encore du fait des diversités régionales : les vici gallo-romains sont évidemment fort différents des villages d’Egypte ou de Syrie. Il y a pourtant des traits communs à toutes les campagnes du monde romain.

La grande propriété est omniprésente et même prédominante dans certaines régions (en Italie, par exemple). Les latifundia appartiennent d’abord aux empereurs qui, par voie d’héritage ou à la suite de confiscations, ont acquis d’immenses domaines répartis dans tout l’empire. Les autres grands propriétaires se retrouvent dans la classe sénatoriale, dans le monde des chevaliers et même parmi les affranchis. En Asie, certains temples possèdent des biens fonciers considérables. Les grands propriétaires ne vivent pas sur leurs terres. Ils en confient la gestion à des intendants. Ceux-ci exploitent une partie du domaine avec des esclaves, le restant étant loué, par parcelles, à des paysans libres (colons).

La petite propriété n’a pas disparu. Des fermes de taille modeste, exploitées par le paysan et sa famille, existent dans la plupart des régions de l’empire.

Les terres cultivées produisent des céréales, de l’huile, du vin. Mais, la campagne offre d’autres ressources. Les terrains accidentés servent de pâturages au bétail ; les forêts fournissent du bois, du gibier et des glands (élevage des porcs) ; les rivières et les étangs procurent du poisson.

L’habitat rural se présente sous différentes formes. Les propriétaires ou les régisseurs de grands domaines bâtissent de vastes villas qui servent au logement ainsi qu’au traitement (moulins, presses à raisins, à huile) et à la conservation (granges, celliers) des produits agricoles et au logement du bétail. Les petits paysans vivent dans des fermes disséminées dans la campagne. Une partie de la population réside dans des villages le long des routes et des fleuves.

  1. Industrie et commerce.

L’exploitation des mines et des carrières est très intense à l’époque impériale. Rome a besoin d’énormes quantités de matériaux de construction (pierre, marbre) ainsi que de métaux (fer, cuivre, or, argent).

L’Etat met lui-même en valeur certains gisements : le travail y est effectué par des condamnés ou des esclaves publics ; le plus souvent, mines et carrières sont affermées à des entrepreneurs qui livrent à l’Etat-propriétaire une partie de leur production.

Des produits finis (étoffes, céramiques, briques, objets en métal, en verre) sont façonnés partout. Dans ce secteur, comme dans l’agriculture, l’Italie subit une rude concurrence de la part des provinces.

Le commerce est très actif, favorisé par un réseau routier fort dense et offrant aux voyageurs un minimum de commodités (relais où l’on peut se nourrir, dormir et soigner les animaux). Les relations commerciales n’existent pas seulement entre les provinces et Rome, elles s’étendent hors des frontières de l’empire : on importe de l’ambre de Scandinavie, de la soie et des épices d’Orient, de l’Ivoire et des bêtes sauvages de l’Afrique noire.

In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp. 88-95.