Les rouages de l’Empire

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La victoire d’octave sur Antoine à la bataille d’Actium (31 av. J-C) marque la fin d’un siècle de guerres civiles. Rome a maintenant un maître, dont les pouvoirs sont 

Mais les problèmes qu’il lui faut résoudre sont énormes. Il doit affermir les bases du nouveau régime, en définir la forme légale et y adapter les institutions républicaines. Il faut aussi administrer un territoire immense s’étendant de l’Espagne à l’Asie Mineure. Et la menace barbare se précise déjà aux frontières.

Ces difficultés n’empêchent pas les arts et les lettres de s’épanouir. Les deux premiers siècles de notre ère voient apparaître des poètes, des philosophes, des historiens, des architectes de très grand talent.

Sur le plan religieux aussi, cette période constitue une étape essentielle dans l’histoire de l’humanité. On y voit naître le christianisme et l’on peut suivre les développements du long conflit qui oppose cette religion révélée au pouvoir civil.

Les rouages de l’Empire.

Rome ne s’est pas dotée d’une nouvelle constitution en passant de la République au Principat : si les institutions anciennes semblent maintenues, les pouvoirs du « Prince », mal définis, sont prééminents, et les rouages de l’Empire ne naissent que progressivement.

A. Les institutions républicaines.

Auguste veut donner à son régime une apparence républicaine et laisse donc en place les institutions anciennes mais celles-ci sont privées de tout pouvoir réel.

1. Le sénat.

A l’époque républicaine, le sénat était composé de 300 membres choisis parmi les anciens magistrats. Tous les cinq ans, les censeurs en revoyaient la liste et la complétaient.

Le sénat détenait des pouvoirs très étendus en politique étrangère ainsi que dans le domaine des finances et de la religion.

Les textes législatifs émanant de ce conseil s’appelaient des sénatus-consultes.

A l’époque impériale, le nombre des sénateurs passe à 600. On y retrouve toujours d’anciens magistrats auxquels s’ajoutent maintenant des personnes désignées par l’empereur.

Le déclin des assemblées populaires entraîne un élargissement des pouvoirs du sénat :

– Les sénatus-consultes acquièrent force de loi.

– Ce n’est plus le peuple, mais le sénat qui élit les magistrats.

– Le sénat peut rendre des jugements dans certaines affaires particulièrement graves.

Mais ces pouvoirs accrus ne doivent pas faire illusion. En réalité, le sénat est étroitement soumis à la volonté impériale.

Le sénat intervient dans la désignation d’un nouvel empereur : la plupart du temps, il se borne à reconnaître le candidat qui a été choisi par l’armée. A la mort de l’empereur, c’est le sénat qui décide si le défunt doit être rangé parmi les dieux (apothéose) ou si sa mémoire doit être condamnée (damnatio memoriae).

2. Les magistrats.

La plupart des magistratures de l’époque républicaine restent en place mais beaucoup de candidats sont désignés par l’empereur et élus par un sénat qui a perdu toute indépendance.

L’empereur lui-même se fait fréquemment nommer à la magistrature suprême qu’est le consulat.

3. Les assemblées populaires.

A Rome, les assemblées du peuple portent le nom de comices. Sous la République, elles votaient des lois, élisaient les magistrats et pouvaient s’ériger en tribunal.

A l’époque impériale, les réunions du peuple se raréfient et finissent par disparaître. Il est vrai que la démocratie directe est devenue impraticable depuis que la citoyenneté romaine a été étendue à tous les Italiens et à bon nombre de provinciaux.

B. L’empereur.

L’empereur exerce le commandement suprême sur les armées campant en province, de même que sur les troupes qui stationnent en Italie (les flottes de Ravenne et de Misène, la garde prétorienne à Rome).

Il délègue ses pouvoirs à des officiers supérieurs (légats) mais il lui arrive de prendre personnellement la tête des légions et de diriger les opérations militaires.

Que la victoire soit remportée par ses généraux ou par lui-même, c’est l’empereur qui reçoit les honneurs du triomphe et est proclamé imperator.

Dans le domaine civil, l’empereur a les pouvoirs et les privilèges des anciens tribuns de la plèbe (tribunicia potestas). Il peut donc convoquer le sénat et le peuple et leur soumettre des projets qui deviendront des sénatus-consultes ou des lois. Il peut s’opposer à toute décision du sénat ou des magistrats. Et sa personne est inviolable. Cette puissance tribunitienne est renouvelée tous les ans : c’est elle qui permet de compter les années de règne de l’empereur.

En matière législative, l’empereur prend de nombreuses décisions sans recourir au sénat ou au peuple : il publie des édits ou des rescrits (réponses à une question écrite).

L’empereur intervient aussi dans l’exercice de la justice. Certaines affaires graves sont soustraites aux tribunaux ordinaires et jugées par le tribunal impérial. D’autre part, tout citoyen romain a le droit de demander à être jugé par l’empereur mais beaucoup de ces requêtes sont évidemment rejetées ;

L’empereur est le chef suprême de la religion romaine (pontifex maximus) et est membre des principaux collèges sacerdotaux.

Il offre des sacrifices au nom du peuple romain, prend les auspices, interprète le droit sacré (ensemble de règles qui définissent les relations entre les hommes et les dieux : respect du rituel, adoption de divinités étrangères…).

2. Le problème de la succession.

Dès le début de son règne, Auguste s’est préoccupé de sa succession mais aucun principe n’a été clairement adopté en cette matière.

Théoriquement, la dignité impériale n’est pas héréditaire : le nouveau prince reçoit ses pouvoirs de l’armée, du sénat et du peuple. En réalité, l’empereur régnant indique souvent ses préférences en s’associant et en adoptant celui qu’il souhaite comme successeur : Auguste, par exemple, adopte Tibère. D’un autre côté, il arrive de plus en plus fréquemment que les légions imposent leur candidat. Le remplacement de l’empereur défunt fera toujours difficulté.

C. L’administration impériale.

Les institutions républicaines n’ont pas été conçues pour gérer un territoire aussi vaste que l’empire romain. Il faut donc mettre en place une administration qui permette de gouverner l’Italie et les provinces.

1. Le conseil impérial.

S’il dispose de pouvoirs quasi illimités, l’empereur doit pouvoir consulter des personnes compétentes avant de prendre ses décisions. Il s’entoure d’un conseil où l’on trouve d’abord des proches, des amis du souverain. A partir d’Hadrien, ce conseil prend un caractère plus officiel et comporte des spécialistes en droit (jurisconsultes).

2. Les préfets.

L’empereur confie certaines tâches à de hauts fonctionnaires qui ne dépendent que de lui et qui peuvent rester en fonction pendant de nombreuses années.

– Les préfets du prétoire commandent la garde personnelle de l’empereur (la garde prétorienne) et exercent aussi des fonctions judiciaires. Très proches du souverain, ils sont considérés comme les seconds personnages de l’Etat.

– Le préfet de la ville est responsable du maintien de l’ordre à Rome : il commande aux cohortes urbaines. Il juge les affaires graves qui se sont produites sur le territoire dont il a la charge.

– Le préfet de l’annonce s’occupe du ravitaillement de Rome, en particulier de l’approvisionnement en blé, tâche particulièrement délicate dans une ville qui compte environ un million d’habitants.

– Le préfet des vigiles dirige les services d’incendie et est responsable de la police de nuit dans les rues de Rome.

3. Les bureaux.

L’empereur est aidé dans ses tâches administratives par des bureaux dont la direction est d’abord confiée à des affranchis ; plus tard, ceux-ci seront remplacés par des chevaliers.

Ces bureaux s’occupent de la correspondance impériale (latine et grecque), de la préparation des dossiers, des finances, des requêtes adressées au souverain…

D. Organisation de l’Italie et des provinces.

1. L’Italie.

L’Italie dépend en principe du sénat mais celui-ci n’intervient guère dans le gouvernement de la péninsule. Les Italiens, qui jouissent maintenant de la citoyenneté romaine, sont organisés en cités (colonies ou municipes) et gèrent eux-mêmes leurs propres affaires. Les institutions municipales sont calquées sur celles de Rome ; les cités d’Italie ont leur assemblée populaire, leurs magistrats et leur sénat.

Par rapport aux habitants des provinces, les Italiens ont un privilège essentiel : ils ne paient pas le tributum (impôt personnel et impôt foncier).

2. Les provinces sénatoriales et impériales.

Les provinces sont réparties en deux catégories.

Certaines sont placées sous l’autorité du sénat. Ce sont des territoires conquis depuis longtemps et donc pacifiés : il n’est plus nécessaire d’y maintenir des troupes. Le gouvernement y est assuré par un sénateur qui porte le titre de proconsul, dont le mandat est annuel.

Les provinces plus récemment conquises et plus menacées dépendent de l’empereur qui en confie la direction à un légat. Celui-ci a des légions sous ses ordres et reste en fonction aussi longtemps que l’empereur le souhaite.

Dans les deux types de provinces, les gouverneurs et leurs adjoints doivent maintenir l’ordre, rendre la justice et percevoir les impôts. Mais l’autorité romaine ne prend pas en charge toute l’administration provinciale. Les cités (anciennes ou nouvelles) ont leurs conseils et leurs magistrats qui règlent les problèmes d’intérêt local.

E. L’armée.

L’armée a permis à la République romaine d’étendre sa domination à la totalité du bassin méditerranéen. Elle joue un rôle plus important encore à l’époque impériale car, à côté de ses tâches normales – défendre les frontières et, éventuellement, faire de nouvelles conquêtes -, elle intervient dans le jeu politique : en pratique, ce sont souvent les légions qui désignent le nouvel empereur.

L’armée impériale constitue aussi un puissant facteur d’urbanisation et de romanisation, surtout en Occident. Des camps militaires donnent naissance à des villes (Strasbourg, Mayence…). Les provinciaux engagés dans les troupes auxiliaires peuvent recevoir la citoyenneté romaine au terme de leur carrière et se voir attribuer un lot de terre dans une des ces colonies qu’on trouve en Gaule, en Germanie, en Bretagne, en Espagne et en Afrique du Nord.

1. Recrutement.

L’armée impériale est très différente de ce qu’elle était à l’époque des guerres puniques. Elle n’est plus composée de citoyens, souvent des petits paysans, mobilisés pour une campagne et retournant à leurs occupations aussitôt après. Il s’agit maintenant de gens sans grandes ressources qui ont choisi le métier des armes pour survivre.

C’est une armée de volontaires et une armée permanente.

2. Organisation.

L’armée comporte des légions, recrutées parmi les citoyens, et des troupes auxiliaires, composées de pérégrins. Ces forces terrestres sont cantonnées pour la plupart dans les provinces impériales.

La flotte est peu puissante. Une escadre stationne à Misène, près de Naples ; une autre à Ravenne, sur la mer Adriatique. Les marins sont en général des provinciaux (notamment des Egyptiens) de condition fort modeste.

Tous ces militaires sont engagés pour de longues durées : ils restent de 20 à 25 ans sous les armes.

3. Commandement.

Si l’empereur est le chef suprême des armées, le commandement effectif est assuré par des légats, sénateurs de haut rang qui cumulent souvent les pouvoirs militaires et civils : ils sont en même temps gouverneurs des provinces où stationnent leurs troupes. Beaucoup de ces « généraux » manquent d’expérience militaire.

Les officiers subalternes (centurions) sont plus compétents : ce sont des militaires de carrière.

4. Faiblesses de l’armée romaine.

L’armée est peu nombreuse par rapport à la longueur des lignes à défendre : 300 à 400 000 hommes sont échelonnés sur une frontière d’environ 10 000 km.

Elle est composée en bonne partie d’infanterie lourde et manque donc de mobilité.

Le recrutement est de plus en plus médiocre : les légions se peuplent de provinciaux plus attachés à leurs chefs directs qu’au pouvoir central. Ces faiblesses de l’armée, parmi d’autres causes, expliquent le succès des invasions barbares.

In Racines du Futur, Tome 1, Hatier, Bruxelles, 1991, pp 79-87.