Mercredi 28 novembre 2012, Un jeune garçon saute d’un pont surplombant la E40 à Hauteur de Ternat. Immédiatement après l’annonce de son décès, des messages sur Facebook affirment qu’il était victime de harcèlement.
Si les boucs émissaires ont toujours existé dans les écoles, le phénomène de lynchage prend aujourd’hui une autre dimension chez les ados avec la mauvaise utilisation de ces nouveaux outils que sont Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Création de faux profils, formation de groupes de pression, commentaires blessants, envoi d’insultes par sms ou photos truquées, la « médiatisation » fait rage, avec, dans 50% des cas, une victime persécutée par ses propres camarades de classe. Amanda (15 ans, le 10 octobre 2012), Inias (14 ans, le 28 novembre 2012) et tant d’autres ces derniers mois, les faits divers à l’issue dramatique et liés à Internet se multiplient. L’insulte facile n’est désormais plus qu’à un clic et l’éloignement virtuel de la victime anéantit toute la retenue d’un éventuel règlement de comptes en face à face. Une humiliation dont la publicité pousse la victime à l’isolement. Déscolarisation, alcool, drogue et suicide, l’enfant harcelé vit une descente aux enfers irréversible parce que, sur Internet, rien ne disparaît vraiment. Un tatouage sur la Toile pratiqué par des ados harceleurs qui n’ont pas conscience du pouvoir de leurs mots associés à la puissance de propagation des réseaux.
A un âge où l’on cherche son identité, et surtout où l’on aspire à plaire à tout prix, l’intégration dans un groupe est un formidable signe de reconnaissance et l’association à un « mauvais » groupe, celui des « nuls », devient une hantise. Une nouvelle classification ferait d’ailleurs fureur depuis 2011 chez les ados pour déterminer qui est « in », « swag » et qui est « out », celle du (ou de la) « tshoin ». obscur pour les adultes, ce système de classement oppose les rois et les reines des établissements scolaires, les « soins », aux parias des cours de récré, les « tshoins », les nouveaux boucs émissaires, ceux qui, sous la pression du groupe, se trouvent mises à l’index, et dont la photo postée sur des pages, des blogs ou des forums sera suivie d’un tombereau d’insultes. Une cyber-intimidation avec de graves conséquences dont serait victime, selon les dernières statistiques, un élève sur cinq en Europe, et jusqu’à un sur trois dans certains Etats américains et en Asie. Un constat qui a généré la mise en place de campagnes de sensibilisation dans bon nombre de pays, comme « Le cyber-mobbing blesse » en Suisse ou « Je surfe responsable » dans une douzaine d’écoles du réseau libre du Brabant wallon.
Toutes les écoles reconnaissent être confrontées au cyber-harcèlement. Ce phénomène est apparu graduellement en 2003, l’émergence de Facebook et des GSM avec appareil photo lui ayant donné un coup d’accélérateur. Aujourd’hui, 77% des 12-15 ans ont un smartphone et 9 élèves sur 10 possèdent un profil Facebook, certains mettant même leur âge, la plateforme étant officiellement interdite aux moins de 13 ans. Pour Christophe Burstraeten, médiateur scolaire de l’enseignement secondaire pour le Brabant wallon, la solution réside dans une éducation responsable à l’utilisation de ces outils : « On ne peut demander à l’école de régler des problèmes qui naissent dans la sphère privée. Si des parents offrent un ordinateur à leurs enfants pour qu’ils soient connectés au monde au départ de leur chambre sans limites et sans surveillance, la porte est ouverte aux dérives en tous genres, et elles ont des répercussions sur le cadre scolaire, car si Internet et Facebook sont des espaces révolutionnaires de liberté, certains s’en servent à des fins malhonnêtes. »
L’enjeu est donc pédagogique et familial, d’autant plus qu’il est prouvé que le harcèlement découle souvent d’une situation de quête de repères faisant défaut à l’ado, qui se retrouve alors victime par abus de faiblesse. A 12, 14 ou 15 ans, on veut découvrir le monde qui nous entoure, et parfois avec naïveté. On fait des choses que l’on regrette car on est trop jeune pour en comprendre la portée, comme montrer ses seins devant une webcam juste pour se faire des « amis ». Christophe Burstraeten nous précise d’ailleurs que dans une récente enquête réalisée sur 2697 jeunes de 12 à 15 ans, il résulte que 40% d’entre eux ont pour « amis » sur Facebook des gens qu’ils ne connaissent pas et 3% (soit 82 jeunes) ont avoué s’être déjà rendus à un rendez-vous avec un de ces « amis inconnus » et sans prévenir personne.
Pour se mettre la puce à l’oreille.
Quels signes peuvent mettre les enseignants sur la piste d’une situation de harcèlement ? Les spécialistes sont unanimes : un changement de comportement de l’enfant ou de l’adolescent, inexpliqué par d’autres facteurs.
Selon la pédopsychiatre Nicole Catheline, chez les jeunes enfants, ce sont souvent les parents qui voient les premiers signes : troubles du sommeil, irritabilité, agressivité vis-à-vis de l’entourage, maux de ventre, refus d’aller à l’école,… Les enseignants peuvent observer une détérioration brusque ou progressive des résultats scolaires chez un bon élève, car l’anxiété diminue les capacités d’attention. Ils peuvent aussi remarquer certains troubles du comportement ; agitation, colère, attitude provocante ou, au contraire, isolement, replis sur soi.
Le psychologue norvégien Dan Olweus l’affirme : les jeunes victimes sont souvent seules et exclues du groupe de leurs pairs durant les récréations et le temps de midi, ou choisies en dernier lieu lors des jeux d’équipe. Certaines tentent de rester à proximité de l’adulte au cours des récréations.
Chez l’adolescent, les premiers signes traduisent plutôt des stratégies pour faire cesser le harcèlement. Il faut donc s’inquiéter de tout changement de comportement dans le domaine scolaire : si l’élève arrive systématiquement en retard, s’il déclare régulièrement avoir oublié son matériel scolaire (qui a pu être détérioré par les harceleurs) et surtout, s’il reste isolé et s’absente fréquemment.
Lorsque ces stratégies pour éviter le harcèlement ne fonctionnent pas, la victime tentera souvent, ensuite, de se défendre par des attitudes agressives et désorganisées, car elles comportent déjà un sentiment d’impuissance et de désarroi. « Ces comportements-là font alors dire aux adultes que la victime n’est pas si innocente que cela. Cette position aggrave considérablement le sentiment d’abandon et d’une situation sans espoir d’amélioration », note Mme Catheline.
S’ajoutent, chez les adolescents, des signes de souffrance psychique qui sont identiques à ceux observés chez les enfants : trouble du sommeil, irritabilité, susceptibilité, baisse des résultats scolaires,… Et des absences fréquentes non plus seulement pour éviter des confrontations avec le ou les harceleurs, mais en raison de maux de ventre, de tête, de malaises,… La pédopsychiatre cite encore un intérêt excessif pour les jeux vidéos, qui peut traduire un besoin de s’isoler, de se changer les idées, de retrouver sa confiance en soi, voire de récupérer un sentiment de puissance.
Ces signes doivent être considérés avec prudence, car ils peuvent apparaître dans bien d’autres cas – des difficultés familiales liées à une séparation, par exemple – et traduire une crise d’adolescence. Et Mme Catheline de suggérer : « Les membres de l’équipe éducative doivent prendre le temps d’échanger leurs impressions sur un élève dont le comportement interpelle, avant de prévenir les parents.
Harcèlement dans le milieu scolaire.
Selon les statistiques, un enfant par classe est victime de brimade, d’attaques répétées et est le souffre-douleur de la classe. Il est constaté en milieu scolaire que 10% des élèves sont victimes de violences en milieu scolaire.
Les parents d’enfants victimes de harcèlement en milieu scolaire témoignent, pour leur enfant, qu’ils peuvent faire l’objet d’attaques répétées pendant plusieurs années à longueur de journée en classe, dans la cour, dans le bus et qu’ils ne pouvaient plus supporter ces souffrances au quotidien. Certains n’osaient pas se confier à leurs parents. D’autres en sont arrivés au suicide prémédité : le cas d’une fille de 12 qui, profitant que sa maman était au lit très tôt, s’est confiée à son frère âgé de 10 ans en lui promettant qu’elle ne se suiciderait pas malgré son envie d’en finir avec ces souffrances. Elle s’exécuta le soir même, laissant un mot à sa maman. La maman ajoute qu’il ne s’agit pas d’une tentative de suicide mais bien d’un suicide confirmé.
Le cyber harcèlement est un nouveau phénomène qui détruit la victime car des informations dégradantes sur celle-ci sont lues par un grand nombre de personnes et dans plusieurs pays.
Au départ, les enfants ayant une personnalité de harceleur testent chaque élève de la classe et repèrent très vite et facilement les enfants qui sont un peu différents (habillement, résultats scolaires supérieurs ou inférieurs…), qui ont une personnalité plus fragile, qui sont plus anxieux, plus dépressifs, etc. Les enfants pervers repèrent celui ou celle qui ne sait pas se défendre. L’enfant repéré devient le souffre-douleur du groupe.
Ensuite, les enfants harceleurs s’acharnent de plus en plus sur l’enfant fragilisé et les attaques vont de plus en plus crescendo. L’effet bouc émissaire s’installe en augmentation. La victime est attaquée à répétitions et subit l’exclusion du groupe.
Les amis de la victime se retirent pour ne pas subir le même sort. La victime se retrouve ainsi dans un isolement face aux agressions.
La victime a honte de ce qui lui arrive et n’ose en parler à son entourage : elle se sent coupable et se trouve isolée du groupe. L’enfant attaqué a une faible estime de soi : il faut l’aider à la renforcer.
Ce phénomène amène une solidarisation dans la classe : tous contre un. Dans chaque groupe existe une victime expiatoire.
Les enseignants contribuent parfois au harcèlement de la victime sans s’en rendre compte lorsque les enfants se moquent de la victime : il surenchérit ou ne réagit pas.
Il est constaté que dans la plupart des cas de harcèlement, la victime s’entend dire que c’est elle qui a cherché le problème, ce qui n’est pas le cas. Cela fragilise et la culpabilise davantage.
Il est observé plus de phénomènes de violences scolaires chez les adolescents que dans la section primaire.
Le conseil est donné à chaque enfant de répondre à chaque attaque afin de ne pas se trouver en position de faiblesse face à l’agresseur. Il est conseillé également aux victimes d’attaques et de violences d’en parler et de se regrouper afin de faire arrêter cette violence dans le milieu scolaire.
Il est nécessaire d’en informer et de former tous les enseignants et intervenants scolaires (surveillants) pour repérer et éviter le phénomène de violences à l’école.
Que dit la loi ?
L’article 442bis du Code Pénal prévoit une peine d’emprisonnement et/ou une amende pour « quiconque aura harcelé une personne alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il affectait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée ». Les peines sont plus lourdes si un des mobiles est la haine, le mépris ou l’hostilité envers une personne en raison de certains critères (sexe, orientation sexuelle,…) ou si la victime est vulnérable (âge, maladie,…).
L’article 145§3bis de la loi du 13 juin 2005 vise, lui notamment l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques pour importuner son correspondant ou provoquer des dommages. Pour un élève mineur, des mesures peuvent être prises dans le cadre de la loi relative à la protection de la jeunesse (réprimande, surveillance par un service social,…). Le juge de la jeunesse peut également prendre des mesures spécifiques (travail d’intérêt général) pour lui faire prendre conscience de la gravité de son acte et/ou acter un projet proposé par cet élève (excuses, réparation du dommage,…) et en contrôler l’exécution. Sur le plan civil, la victime peut réclamer des dommages et intérêts en justice à l’auteur du harcèlement ou, s’il est mineur, à ses parents (saufs s’ils prouvent que le comportement de leur enfant ne résulte pas d’une faute d’éducation de leur part).
Quid de la responsabilité de l’enseignant si pendant son cours, un élève harcèle un camarade ou diffuse des contenus choquants sur Internet ? Sa responsabilité civile dans le cadre de son activité professionnelle ne pourra être engagée qu’en cas de faute volontaire, lourde ou répétée. Sur le plan pénal, il reste responsable s’il commet un délit et, s’il manque à ses devoirs, il peut faire l’objet de mesures disciplinaires.
L’affaire de toute la communauté éducative.
Comment intervenir auprès des élèves et des classes dans un cas de harcèlement ? Quelles sont les responsabilités des professionnels de l’enseignement ?
Parmi les textes légaux balisant le terrain, retenons-en trois. D’abord l’article 8 du décret Missions, qui précise que les Pouvoirs organisateurs doivent veiller à ce que chaque établissement « éduque au respect des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique […] et mettre en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l’école. » Le décret relatif aux enfants victimes de maltraitance spécifie, lui, que, « compte tenu de sa mission et de sa capacité à agir, l’intervenant (dans l’éducation, la guidance psycho-médico-sociale, l’encadrement,…) est tenu d’apporter aide et protection à l’enfant victime de maltraitance ou à celui chez qui sont suspectés de tels mauvais traitements. » Enfin, un arrêté du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en 2008, le précise : « tous les règlements d’ordre intérieur doivent désormais mentionner clairement les sanctions et les mesures prévues à l’encontre de faits de violences tels que les coups et blessures, le racket, les actes de violence sexuelle et le fait d’exercer sciemment et de manière répétée sur un autre élève […] une pression psychologique insupportable, par menaces, insultes, injures, calomnies ou diffamation. » Ces actes doivent être signalés au CPMS. Pour informer, soutenir et accompagner les écoles confrontés à des cas de violence (dont le harcèlement entre élèves), la Fédération Wallonie-Bruxelles a créé un numéro Assistance Ecoles (0800/20410) et un numéro vert Ecoles et Parents (0800/95580) pour informer les parents.
La marche à suivre ? Elle dépend, évidemment de la nature et de la gravité du cas et de la dynamique interne de l’école. Idéalement, il faut intervenir rapidement auprès de toute la communauté éducative. Cela signifie écouter la victime et lui proposer un soutien moral et/ou psychologique en l’orientant vers le CPMS. Celui-ci pourra, selon ses disponibilités, travailler avec elle son niveau de confiance en soi, ses capacités d’intégration sociale, ou la diriger, si nécessaire, vers un psychologue privé, un service de santé mentale, un service d’aide en milieu ouvert. Des pistes souvent préférables à un changement d’école : fragilisée, la victime risque de s’intégrer difficilement dans un autre groupe, d’y être surprotégée et de sentir une pression peser sur elle. Dans les cas graves (coups, harcèlement sexuel), l’école peut porter plainte auprès de la police ou de la justice (ou conseiller à l’élève ou aux parents de le faire). S’il s’agit de harcèlement discriminatoire, on peut orienter la victime vers le site de l’Institut pour l’égalité des hommes et des femmes, pour le critère du sexe ou du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, pour les critères de couleur de peau, d’origine nationale ou ethnique, d’orientation sexuelle, de conviction religieuse ou philosophique, de caractéristique physique, de handicap,…
Vis-à-vis de l’auteur, qui doit également être écouté, les sanctions disciplinaires, prévues dans le règlement d’ordre intérieur des écoles, doivent être adaptées à la gravité des faits. Elles peuvent prendre la forme d’une remarque orale, de jours de renvoi, d’un contrat disciplinaire approuvé par l’élève et ses parents (précisant les règles de fonctionnement de l’école, les améliorations comportementales à atteindre, les sanctions en cas de non-respect,…). Ou d’une exclusion qui risque évidemment d’exporter le problème.
Des sanctions réparatrices viseront, elles, à responsabiliser l’auteur du harcèlement, à l’aider à développer de l’empathie et à chercher avec lui un moyen de réparer le tort causé. Ce travail peut prendre plusieurs formes. Comme une médiation entre agresseur et victime, menée par le CPMS, le Médiateur scolaire ou les Equipes mobiles. Ou un travail de responsabilisation (rédaction d’une lettre d’excuse,…).
D’autres interventions, enfin, peuvent cibler les élèves spectateurs, pour les inviter à dénoncer des situations de harcèlement, mais aussi les autres membres du personnel, comme les éducateurs, les surveillants de la garderie,…
Le poids des chiffres.
Durant l’année scolaire 2011-2012, 2163 exclusions d’élèves de l’enseignement fondamental et secondaire ont été signalées auprès de la Direction générale de l’enseignement obligatoire. 22% de ces exclusions sont justifiées par la pression psychologique insupportable exercée envers un autre élève (insultes, injures, calomnies ou diffamation) et 23% de coups et de blessures portés sciemment.
Un jeune sur trois a déjà été victime de harcèlement sur internet ou par GSM ; un sur cinq déclare en avoir été l’auteur. Ce sont les chiffres de la recherche Adolescents et Technologies de l’information et de la communication : risques et défis, réalisée en 2010 auprès des 1318 jeunes Belges de 12-18 ans par une équipe de professeurs des Facultés universitaires de Namur, de l’Université d’Anvers et de la Vrije Universiteit Brussel, à la demande de la Politique scientifique fédérale.
37.3%, c’est le taux de jeunes Belges de 11, 13 et 15 ans qui ont signalé avoir fait l’objet de brimades au moins une fois au cours des deux derniers mois en 2010-2011. C’est ce que révèle l’étude Le bien-être des enfants dans les pays riches réalisée par le Centre de recherche de l’Unicef dans 29 pays industrialisés. Ce taux, en croissance de 2% depuis 10 ans, situe la Belgique à la 23e place.
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