La soumission à l’autorité

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Introduction.
Obéir, désobéir… des mots qui dérangent, qui nous rappellent notre enfance, nos parents, l’école ; des mots à double sens, sens de vie ou de mort pour nous et pour les autres.
Obéir à quelque chose n’est-ce pas désobéir à autre chose ? Désobéir à quelqu’un n’est-ce pas obéir à quelque chose de vital pour nous, pour notre besoin de vivre, nos amours, notre idéal ?
Dès lors, comment faire nos choix pour qu’ils deviennent source de libération pour nous et pour les autres ?
La liberté n’est-elle une forme de désobéissance, un acte d’insoumission ? La liberté commence-t-elle par l’insoumission ?
Comment allons-nous rompre les amarres des peurs, des soumissions, des replis sur nous-mêmes pour commencer à devenir des femmes et des hommes libres ?
Notre manière de penser Dieu dépendrait-elle de notre vécu personnel ?
Cette image de Dieu qui voit tout, sait tout, nous juge, nous récompense et nous punit, que nous avons abandonné, ne viendrait-elle pas de notre enfance ? De la manière dont nous percevions nos parents ?
N’utilisaient-ils pas souvent ce Dieu pour renforcer leur autorité ?
Aujourd’hui, nous pensons Dieu comme un confident, un ami qui nous écoute. Mais, cette image ne viendrait-elle pas de ce que nous vivons maintenant, de notre désir d’être écouté, compris et de notre difficulté à trouver cette compréhension chez nos parents ?

Document 1 : L’expérience de Stanley Milgram.

Stanley Milgram est un psychologue social américain (1933-1984). Il a effectué de nombreuses expériences qui analysaient le comportement humain au sein de l’organisation sociale. En 1963, à l’université de Yale, il organise une des premières expériences de psychologie sociale sur le concept de soumission à l’autorité.
Pour recruter ses sujets, Milgram fait passer une annonce dans la presse proposant quatre dollars et une indemnité de déplacement pour participer à une étude sur la mémoire. Les candidatures sont retenues en fonction de l’âge des sujets et d’une répartition entre les niveaux socio-professionnels. Les sujets de toutes les expériences, à l’exception d’une seule variante.
A leur arrivée dans le laboratoire de l’université de Yale, les sujets sont rémunérés et l’étude leur est présentée comme une expérience portant sur le rôle de la sanction sur la mémoire. Il s’agit plus précisément d’évaluer l’intensité de punition qui a le plus d’effet. Pour ce faire, on demande aux sujets de jouer soit le rôle de l’élève, soit le rôle de l’enseignant. En réalité, l’expérience a pour objet de découvrir jusqu’à quel point un individu peut pousser la docilité dans une situation concrète et mesurable pour infliger un châtiment de plus en plus sévère à une victime qui proteste énergiquement. Il s’agit d’observer à quel instant précis le sujet refusera d’obéir à l’expérimentateur.
Les sujets arrivent par couple, l’un étant le sujet naïf, l’autre un compère de l’expérimentateur, un homme de la cinquantaine et d’apparence sympathique. Le trucage d’un tirage au sort assigne toujours au sujet naïf, le rôle de l’enseignant et au compère, le rôle de l’élève (ou de la victime). L’élève est amené dans un local adjacent à la salle d’expérience où se tient le sujet et est attaché à une chaise. Puis, on lui pose sur chaque poignet une électrode.
Quant au sujet, sa tâche est double. D’une part, il doit lire plusieurs séries de quatre termes auxquels il associe d’autres termes (ciel/bleu, jour/frais, canard/sauvage, …) puis effectuer un test de rappel : il donne un des deux termes de chaque paire d’associations et demande à l’élève lequel des quatre termes lui avait été associé (par exemple bleu : compteur, ruban, ciel, yeux). L’élève donne alors des réponses soit vraies soit fausses selon un programme de réponses préétabli.
D’autre part, et c’est là le nœud de l’expérience, le sujet doit punir l’élève à chacune de ses réponses fausses. Pour cela, il dispose d’un générateur électrique sur lequel sont disposées trente manettes qui, lorsqu’elles sont actionnées, libèrent une charge électrique allant de 15 à 450 volts et s’échelonnant de 15 en 15 volts. En plus de l’indication de voltage, les manettes sont groupées en catégories d’intensité portant la mention : « choc léger, choc modéré, choc fort, choc intense, choc extrêmement intense, attention : chocs dangereux à 450 volts ». Dès qu’une manette est abaissée, un voltmètre précise l’intensité du choc correspondant à l’intensité choisie. En réalité, bien sûr, les chocs n’étaient pas administrés. La consigne précise que, pour chaque nouvelle erreur, il faut augmenter l’intensité du choc. L’expérience s’arrête lorsque le sujet était arrivé à donner trois chocs de 450 volts, les plus dangereux donc.
De plus, le sujet reçoit un feed-back réaliste venant de l’élève lui-même. En effet, on entend les plaintes de l’élève, graduées en fonction du voltage choisi. Pour cela, une bande magnétique était utilisée : à partir de 75 volts, l’élève gémit ; à 120 volts, il crie que les chocs sont douloureux ; à 135 volts, il hurle ; à 150 volts, il annonce qu’il refuse de continuer (l’expérimentateur, quant à lui, demande au sujet de continuer à chaque fois l’expérience) ; à 180 volts, il crie qu’il ne peut plus le supporter ; à 270 volts, il râle et ne répond plus aux questions. A chaque hésitation du sujet, l’expérimentateur l’enjoint à continuer l’expérience jusqu’au bout.
Au fur et à mesure que l’on avance dans l’expérience et que les chocs augmentent, le conflit ressenti par le sujet croît et apparaissent des hésitations, des tentatives pour arrêter l’expérience. Plusieurs incitations de l’expérimentateur étaient alors prévues selon la gradation suivante :
a. Continuez s’il vous plaît, je vous prie de continuer.
b. L’expérience exige que vous continuiez.
c. Il est absolument indispensable que vous continuiez.
d. Je prends la responsabilité de l’expérience.
Si le sujet refuse d’obéir à l’une ou l’autre incitation, l’expérience prend fin. A chaque hésitation du sujet, l’expérimentateur reprend dans l’ordre ses injonctions. Il dit au besoin aux sujets que même si les chocs sont particulièrement douloureux, l’élève ne subit aucune lésion permanente. A la fin de la séance, les sujets répondent à diverses questions et l’expérimentateur leur révèle les buts de l’expérience, le fait que les chocs n’étaient pas vraiment administrés et que l’élève était impliqué dans l’expérience en tant que complice. Ce « debriefing » est fait avec beaucoup d’attention afin de déculpabiliser le sujet car il s’agit que le sujet quitte le laboratoire la conscience tranquille.
Les mesures qui sont présentées concernent :
a. Le choc moyen maximal au-delà duquel les sujets refusent de continuer l’expérience malgré les injonctions de l’expérimentateur.
b. Le pourcentage de sujets qui obéissent, c’est-à-dire qui acceptent de poursuivre l’attribution des chocs jusqu’à 450 volts.
On peut remarquer plusieurs choses au cours de cette expérience. Le sujet se fâche sur l’élève en lui disant que cela ne l’amuse pas devoir lui envoyer des décharges, qu’il faut absolument qu’il réfléchisse et réponde correctement. Le sujet agit comme si c’était de la faute de l’élève si il lui envoie des décharges et rejette la responsabilité sur celui-ci afin de se libérer de tout remord, de toute prise de conscience qui l’obligerait à agir.
Quand l’élève crie, le sujet est mal à l’aise. Une fois qu’il ne l’entend plus, il semble avoir moins de remords à lui lancer des décharges. Toute manifestation de l’élève le met mal à l’aise parce qu’elle lui rappelle sa responsabilité.
Le sujet s’arrête quand celui lui semble insupportable pour l’élève et se tourne vers l’expérimentateur. Mais, la majorité reprend l’expérience une fois que l’expérimentateur répète l’ordre. On remarque donc que c’est bien parce qu’il y a eu une intervention d’une autorité supérieure que l’individu qui agit.
Dès que l’expérimentateur dit qu’il prend la responsabilité de ce qui se passe, le sujet continue, soulagé : il est libéré de toute responsabilité. Quoi qu’il arrive, ce ne sera pas de sa faute.
Le sujet s’arrête si deux expérimentateurs se disputent. Ils profitent du désaccord de l’autorité pour mettre fin à son action. C’est un élément extérieur qui l’aide à poser l’acte qu’il n’osait pas faire : arrêter.
On peut donc conclure que l’obéissance peut être expliquée par certains éléments :
– C’est une autorité, une instance supérieure qui a donné l’ordre.
– La distance matérielle : on est violent à travers un instrument, on ne frappe pas directement sa victime.
– Le morcellement des responsabilités : chacun ne prend qu’une part dans le travail, n’est qu’un maillon parmi d’autres.
– L’absence de réactions : l’individu qui subit la violence ne réagit plus, n’est plus qu’un objet (peut-être n’a-t-il pas d’autres possibilités).
– Le rejet de la responsabilité : on nie sa responsabilité, on a simplement obéi.

Document 2 : Eloge de la désobéissance.

Nous vivons sous l’emprise des organisations. Celles-ci, notamment les entreprises multinationales, ont mis au point de nouvelles méthodes de domination sur les individus en particulier en s’assurant l’adhésion de ses membres. La soumission du plus grand nombre aux exigences des grands appareils, l’expansion considérable des grandes organisations, l’impuissance des individus isolés à lutter contre ces nouvelles formes de pouvoirs sont des phénomènes inquiétants et dangereux pour l’avenir de notre monde. Après la seconde guerre mondiale, Stanley Milgram s’est demandé comment tout un peuple s’est soumis à l’autorité d’un dictateur et pourquoi les Allemands, par soucis de conformité, ont accepté de participer, de près ou de loin, au processus de l’Holocauste. Pour mettre en évidence sa théorie de soumission à l’autorité, Stanley Milgram a mis au point en particulier une expérience de psychologie sociale.
L’expérience a lieu dans un laboratoire universitaire de psychologie aux Etats-Unis. Un individu recruté par des petites annonces dans la presse locale est prié contre une petite somme d’argent et dans le cadre de prétendues recherches sur la mémoire d’infliger à un « élève » des punitions de plus en plus sévères, en l’occurrence des décharges électriques allant de 15 à 450 volts. Un acteur professionnel tient le rôle de l’élève. Il gémit à 75 volts, à 110 volts. Il supplie qu’on le libère. A 250 volts, sa seule réaction est un véritable cri d’agonie. Au-delà, il reste silencieux. Il est en outre précisé aux participants que les décharges ne sont pas mortelles à cause du faible ampérage (un ampérage trop important pouvant provoquer un arrêt cardiaque même si le voltage est très peu élevé, le contraire ne provoquant que des brûlures). Enfin, il est clairement dit aux participants de l’expérience et cela par un représentant de l’université que leur responsabilité n’est pas engagée : quoiqu’il arrive, ils ne seront pas tenus pour responsables.
Les résultats de l’expérience sont surprenants : 65% obéissent aux ordres de l’expérimentateur et vont jusqu’aux décharges de 450 volts qu’ils administrent trois fois. Aucun ne refuse de commencer l’expérience. Dans ce cas-ci, le sujet ne voyait ni n’entendait l’élève. C’est la situation du pilote qui lâche ses bombes bien qu’il sache qu’il tue. Si le sujet entend l’élève protester, le pourcentage diminue. Il reste cependant encore 40% des sujets qui continuent l’expérience jusqu’au bout. 30% administrent le sommet des décharges même s’ils doivent eux-mêmes rattacher l’électrode à la main de l’élève (après toutefois une hésitation vite jugulée lorsque l’expérimentateur donne l’ordre de continuer). Dans l’un ou l’autre cas, aucun sujet ne s’arrête avant 150 volts.
Il ne faut pas croire que ces « bourreaux » soient des personnes dépourvues de tout sentiment, des êtres froids et sadiques…. Ils manifestaient tous une réelle tension nerveuse ou des bouleversements émotionnels très frappants : transpiration intense, rougeur, pâleur, silence, rire nerveux, mains crispées ou massant l’une ou l’autre partie du visage, corps agité nerveusement… preuve qu’un conflit existait. Mais, tous continuaient cependant l’expérience.
Tous les témoins, observe Milgram, s’accordent à dire qu’il est impossible de restituer par l’écriture le caractère poignant de l’expérience. Pour le sujet, la situation n’est plus du tout une expérience mais est devenue un conflit intense et bien réel : d’un côté, la souffrance manifeste de l’élève l’incite à arrêter ; de l’autre, l’expérimentateur l’oblige à continuer. Chaque fois qu’il hésite à administrer une décharge, il reçoit l’ordre de poursuivre. Pour sortir de cette situation insoutenable, il doit donc désobéir, rompre avec l’autorité, s’opposer pour se poser, se libérer.
« Le but de notre investigation, écrivit Milgram, était de découvrir quand et comment se produirait la rupture à l’obéissance ». Les résultats sont néanmoins inquiétants puisque près des deux tiers des sujets ont administré les chocs les plus élevés. C’est cette propension extrême des adultes à la soumission quasi-inconditionnelle aux ordres de l’autorité qui constitue la découverte majeure de l’étude de Milgram. Il y a là un phénomène qui exige une explication. La plus courante consiste à prendre ceux qui ont administré toute la gamme des décharges pour des monstres constituant la frange sadique de la société. Toutefois, si l’on considère que près des deux tiers des participants n’étaient que des sujets obéissants et qu’ils représentaient des gens de toutes les catégories sociales, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres supérieurs, travailleurs sociaux, …. L’argument devient très fragile.
En vérité, il rappelle singulièrement les réactions déclenchées en 1963 par le livre d’Hannah Arendt, « Eichman à Jérusalem ». L’auteur soutenait que les efforts de l’accusation pour dépeindre le coupable comme un monstre sadique partaient d’un point de vue totalement faux, qu’Eichman était bien davantage un rond-de-cuir sans initiative qui se contentait de s’asseoir derrière un bureau et de s’acquitter de sa tâche… . La plupart des sujets se justifièrent après l’expérience en faisant remarquer qu’ils n’étaient que des exécutants. « En fait, note Milgram, ils étaient tellement soucieux de se montrer dignes de ce que l’autorité attendait d’eux que l’aspect inhumain, odieux, de l’expérience leur échappait.
Le pouvoir des grandes organisations ne serait pas aussi important si elles n’utilisaient pas massivement cette propension de nos contemporains à la soumission aux structures hiérarchiques, alors même que ces structures produisent leur assujettissement. Pourquoi tant d’individus deviennent les instruments dociles de sociétés anonymes et d’appareils répressifs ?
La soumission, ce ne serait pas d’aller contre mais ce serait de suivre la pente naturelle, le courant dans le sens où la société et les organisations nous entraînent. La révolte exige non seulement de résister mais encore d’agir. L’obéissance s’inscrit donc dans le domaine de la passivité, la désobéissance dans le domaine de l’action.
Le seul cobaye de l’expérience de Milgram, c’est finalement la personne assise aux commandes. Ce qui est étudié, en fait, c’est de savoir jusqu’à quel point la personne assise aux commandes obéira et acceptera d’envoyer à son partenaire des décharges électriques. Jusqu’à quel point va-t-elle s’abriter sous l’autorité de la science ? Ira-t-elle, au nom de la science, jusqu’à risquer la vie de son partenaire ? A quel moment la personne va-t-elle s’opposer à l’ordre d’envoyer des décharges électriques et prendre ses propres responsabilités ?
L’expérience de Milgram tend donc à démontrer que n’importe quel humain peut, à tout moment, se transformer en un fonctionnaire obéissant et soumis, en un tortionnaire.
L’obéissance résulte des inégalités dans les relations humaines et les perpétue. Dans ce sens, elle constitue le mécanisme régulateur de tout régime dictatorial. Tout directeur d’un système bureaucratique chargé d’un programme destructeur doit en morceler l’exécution en autant d’étapes que possible. Ceci afin de diversifier les tâches mais aussi les responsabilités en vue de faciliter l’exécution du programme. Ce n’est qu’au niveau de la violence finale qu’il devra disposer les individus les plus cruels. C’est ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale.
On peut schématiser le conflit pour le pouvoir et la soumission à l’autorité sous la forme d’un tableau à double entrée. Pour bien comprendre ce tableau, il faut que X soit différent d’Y et admettre que ce schéma passe d’un extrême à l’autre.

X passif X neutre X actif
Y passif Soumission ***** Soumission d’Y
Y neutre ***** ***** *****
Y actif Soumission de X ***** Révolte, désobéissance

Lorsqu’Y est autoritaire, il en impose et est volontiers une forte tête auquel il faut se soumettre ; mais, face à une résistance quelconque, il se révolte. Dès qu’Y a l’impression qu’on veut le manipuler, il réagit violemment. Plus tard, toute opposition sera perçue comme une agression et rejetée brutalement.
Notre éducation a été dominée par l’apprentissage du contrôle de nos pulsions agressives, notamment grâce aux lois, aux interdits ou au langage au détriment du contrôle sur les actions qui sont prescrites par l’autorité. La violence individuelle et « sauvage » (ex. dans le film Spiderman) est présentée comme le mal alors que rien ne nous conduit à nous interroger sur les conséquences de la violence instituée bien que celle-ci constitue un danger bien plus grave pour la survie de l’espèce humaine (ex. la guerre). Que « vaut » la violence du jeune délinquant, du dissident, de l’autonome contre la violence des ghettos urbains, des goulags, de la course aux armements ? Là où la révolte est écrasée et la critique absente, la réalité sociale est enfermée par le discours officiel. Aussi, la critique du pouvoir partout où il s’exerce, le désinvestissement des dispositifs qui assurent sa reproduction sont-ils les fondements de la liberté. Les chemins de la liberté passent nécessairement par le refus de la soumission, la remise en cause de l’ordre établi et la critique du pouvoir.
Document 3 : Obéir, se soumettre à des lois, pourquoi ?

L’expérience de Milgram nous montre que nous n’échappons jamais à l’emprise des lois, soit écrites, soit transmises par la coutume ou encore l’éducation. Il faut maintenant se demander à juste titre quel est l’intérêt des lois, si elles sont toujours indispensables, quand elles doivent être appliquées, définir les risques qu’elles comportent… en n’oubliant pas que toute loi peut devenir un jour mauvaise ; et, qu’à la base de notre société et de toute société, il y a des interdits qu’il ne faut jamais transgresser. La transgression de ces interdits peut provoquer des dégâts importants voir même la disparition de la société qui a transgressé ces interdits. A ce sujet, il faut, en effet, se demander pourquoi le public est si fasciné par des personnages de cinéma comme Hannibal Lecter ou bien d’autres encore… .
« Le monde est déboussolé ! Il n’y a rien d’autre à dire, lorsque l’on voit une chose pareille. » Pour cette dame qui entre nerveusement dans le cimetière de Vivegnis (Oupeye), la tension est vive. Elle vient d’être prévenue par un voisin que, durant la nuit de jeudi à vendredi, des enfants y avaient profané au moins 107 tombes, dont peut-être celle de sa famille.
En entrant dans le cimetière par la grille principale, l’endroit respire le calme, la sérénité. Pourtant, à force de monter dans les allées, le cimetière se transforme en zone sinistrée. Vases retournées, stèles renversées, tombes fendues, photos brisées…. On ne compte plus les dégradations en tous genres. Economiquement, les dégâts sont très importants. Ils ne sont pourtant rien par rapport à la tristesse humaine que ces gestes irréfléchis vont provoquer au sein des familles concernées.
Louisette fait partie des personnes touchées par ces actes lâches et imbéciles. « Ma maman est décédée le 15 juillet. C’est scandaleux ce qu’ils ont fait. Que leurs parents assument et paient les pots cassés. On ne peut pas tolérer des choses pareilles. Je ne comprends absolument pas ce qui a pu se passer dans leurs têtes. Si j’en avais un devant moi, je crois que je serais très méchante parce qu’en agissant de la sorte, ils ne savaient rien obtenir, ils ne savaient que causer du chagrin. On vit vraiment dans un monde épouvantable. »
Louisette a refusé de donner son nom et de se laisser photographier. « Avec ce qu’ils font aux morts, on peut se demander ce qu’ils sont capables de faire aux vivants qui n’apprécieraient pas ce qu’ils ont fait. Enfin, d’une certaine manière, j’ai encore de la chance. Comme le décès de ma mère est très récent, on n’avait pas encore remis la stèle et elle n’est donc pas endommagée. »
Du côté de la police et de l’administration communale, on est évidemment impuissant devant de tels actes de vandalisme. « Les cimetières sont souvent ouverts le soir pour permettre aux gens de venir se recueillir sur une tombe après leur travail. » Jean-Paul Pâques, l’échevin des Finances, ne peut évidemment que regretter et condamner ce qui s’est passé. « C’est honteux ! Depuis six ans, nous avons investi une quarantaine de millions pour rendre les cimetières de la commune propres et inciter les gens à entretenir les sépultures. Maintenant, voilà ce qui arrive. Nous avons évidemment déposé plainte et nous souhaitons que toutes les familles victimes de ces vandales déposent également plainte. Actuellement, nous avons recensé 107 profanations, mais je crois que ce chiffre n’est que temporaire.
De manière très pratique, nous demandons aux gens de venir déposer plainte au commissariat de police de Haccourt auprès des agents Dirix et Rossius. Nous leur demandons également de prendre une photo des dégâts avant de venir à la police. De telle sorte, nous aurons un état des lieux indiscutables. »
A la différence des animaux, l’homme enterre ceux qui le quittent. La mort est l’objet du respect de tous, quelles que soient les convictions religieuses et philosophiques de chacun. La sépulture est le signe de l’humanité. Alors que dire lorsque des enfants profanent un cimetière. Défaut d’éducation ? Ne leur aurait-on pas appris à vénérer ce lieu ? Il est vrai qu’aujourd’hui, la mort a déserté nos villes et nos villages. Combien d’enfants n’ont jamais vu un mort, jamais assisté à un enterrement ? On meurt dans les hôpitaux, on présente ses condoléances dans un funérarium et les funérailles, dit-on, ce n’est pas pour les enfants… . Or, telle est notre seule certitude : nous mourrons un jour. Cet indésirable, ne faut-il pas l’apprivoiser pour pouvoir petit à petit lui donner un sens ?
Mais, il y a peut-être une autre explication. Braver les interdits est une des joies certaines de l’enfance et de l’adolescence. C’est ainsi que petit à petit, on se mesure à la réalité en s’opposant pour se posant, en se heurtant aux murs de la réalité même si cela fait mal. Qui n’a jamais joué à ce jeu ? Mais, lorsqu’il y a de moins en moins d’interdits et qu’il faut pourtant bien en braver quelques-uns, que faire ? Puisque l’éducation ne met plus des interdits au cœur de la vie quotidienne et que tout est permis, puisque « Dieu n’existe pas » ainsi que le pressentait Dostoïevski ou que « Dieu est mort » comme le pensait Sartre, il faudra aller les chercher plus loin… . Un peu comme un chien qui a besoin de se faire les dents et qui, faute d’os, ronge les pieds de la table du salon. Il est interdit d’interdire ? C’est pas si sûr… Le tout est de bien placer ces interdits et de pouvoirs les justifier. Ni surenchère, ni suppression.

Document 4 : « Nous sommes en marche », manifeste du groupe d’action de Censier en mai – juin 1968 (mai 68 : révolte estudiantine à Paris contre la société de consommation).

Thèse 17 : L’enfant accédera à l’autonomie par l’éducation permanente, comprenant l’éducation sexuelle, qui sera à la charge de la société.
Thèse 18 : Les relations privilégiées que pourra avoir l’enfant avec ses parents ne seront ni exclusives ni aliénantes, ces relations n’étant pas de dépendance.
Thèse 19 : La famille institutionnelle balayée, chacun choisira librement ses relations privilégiées s’il le désire.

Le slogan de mai 68 était : « Il est interdit d’interdire ! ». Mais, quels sont les risques d’une telle politique ? Nous sommes en effet tous confrontés à un moment donné ou à un autre à des lois et ce dans de multiples domaines. Que nous le voulions ou non, il existe des lois qui nous précèdent, qui règlent et organisent notre existence sociale. La loi présente pourtant deux faces. D’un côté, elle empêche et interdit. De l’autre, elle permet et rend possible. Pour comprendre cela, on peut prendre un exemple simple : quand la mère interdit à son enfant de jouer avec des allumettes, c’est pour lui éviter des risques graves. Le rôle de la loi est donc d’empêcher la mort et de dire la vie. Elle nous barre des chemins dangereux pour nous ouvrir d’autres chemins.

La loi présente toujours deux faces. Elle nous rappelle ainsi la présence des autres et a donc de ce fait un rôle social.


Document 5 : Rôle néfaste de la loi.

En faisant violence à notre individualité, en nous rappelant qu’il y a aussi la présence des autres dans l’univers et que nous ne sommes pas seuls finalement, la loi nous invite à nous ouvrir à l’univers de la relation. La loi fonde et permet la vie sociale comme nous l’avons vu précédemment. Elle permet des rapports de fraternité, de justice et de respect entre les hommes. Malheureusement, cela ne nous est pas donné d’emblée. C’est pour raison et afin d’éviter l’anarchie totale où la force et la violence l’emportent, il faut nécessairement des lois. La loi est donc un moyen, une médiation pour apaiser les conflits. Elle permet de dire quels sont les droits et les devoirs de chacun. Le but de la loi, c’est finalement, même si on pense le contraire, le bonheur et l’épanouissement de tous collectivement et de chacun pris individuellement au sein de la société. Mais, il se peut que la loi se pervertisse. Elle dont le but est d’empêcher la mort, il se peut qu’elle arrive à empêcher la vie. Elle devient la loi d’un seul (totalitarisme ou dictature) ou d’une minorité autoritaire (quartel, mafia). Le rôle de la loi n’est plus alors de défendre la vie et le bien de tous, mais de protéger les privilèges et d’assouvir la mégalomanie des « chefs ». Voici, par exemple, la loi du 14 juillet 1933 adoptée par l’Allemagne nazi sous la dictature d’Hitler.

Toute personne atteinte d’une maladie héréditaire peut être rendue inféconde si l’expérience recueillie par la science médicale permet de prévoir selon toute vraisemblance que sa postérité doit hériter de graves anomalies physiques ou morales. Est atteint, au sens de la présente loi, d’une affection héréditaire quiconque présente une des maladies suivantes : 1° débilité intellectuelle ; congénitale ; 2° schizophrénie; 3° paranoïa; 4° épilepsie; 5° danse de Saint Guy; 6° cécité;7° surdité ; 8° malformation physique grave. On peut de plus rendre infécond tout sujet atteint d’alcoolisme grave. La stérilisation peut être demandée par celui qui est atteint d’une maladie héréditaire ou, s’il est mineur, par représentant légal. Elle peut aussi être réclamée par le médecin officiel. La décision du Tribunal Supérieur de la santé est définitive et impérative et doit être exécutée même contre la volonté du sujet.

Document 6 : Rôle social de la loi.

Certaines lois sont à proscrire non pas pour le plaisir et faire ainsi régner la loi de la jungle mais quand elles ne permettent pas le bien commun. Mais, si la loi est bonne, il faut savoir la respecter et lui obéir. La loi peut donc être transgressée si elle ne correspond plus à sa fonction première et qu’elle provoque le mal.
Si de bonnes lois permettent la vie en société, elles ne fournissent néanmoins que les conditions minimales de réciprocité et de relation. Elles garantissent des droits fondamentaux sans fonder pour autant des relations profondes. Pour cela, il faut aller plus loin, au-delà des obligations légales. Et, au-delà des obligations légales, c’est le don gratuit qui seul rend l’amour possible.

Extrait du code civil concernant les droits et es devoirs respectifs époux :

Art. 213 : Les époux ont le devoir d’habiter ensemble, ils se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance.
Art. 214 : La résidence conjugale est fixée de commun accord entre les époux.
Art. 221 : Chacun des époux contribue aux charges du mariage selon ses facultés.

La loi permet finalement la vie en société. Si on veut créer des liens entre les personnes, il faut dépasser le sentiment d’obligation par rapport aux lois pour aboutir à un don gratuit qui seul rend l’amour possible. La loi est donc à excéder par l’ouverture au don gratuit.

Document 7 : Fonctions et enjeux de la loi.

Pour beaucoup, la loi n’est qu’une instance interdictive, punitive et extérieure à l’homme qui se retrouve de ce fait brimé, limité ou amputé de sa liberté et de son autonomie.
La loi est toujours antérieure car elle règle notre existence et nous sommes d’emblée immergés en elle.
La loi est toujours ambivalente car si, d’une part, elle empêche et fait violence, d’autre part, elle permet et rend possible. La loi est donc à la fois permissive et répressive.
La loi est au cœur des conflits et elle met en jeu la liberté.
Conflit :
– Manifestation de la différence entre les êtres.
– Dimension permanente de l’existence.
– Le conflit permet d’entrer dans l’échange.

Echange :
– Il constitue une manière de résoudre le conflit.
– Il oblige à vivre la loi du respect : l’individu doit tenir compte des autres. Il est invité à s’ouvrir à l’univers de la relation. La loi est donc l’expression sociale de la présence des autres. Elle garantit la réciprocité et la réversibilité des échanges. La loi est morale car elle permet de vivre la liberté ensemble. Elle perd alors son caractère de contrainte extérieure.

Il y a des lois qui sont à transgresser afin de provoquer une rupture comme par exemple :
Le totalitarisme : la loi après le droit ou la loi d’un seul. Le bien, le besoin et la volonté d’un seul sont identifiés à ceux de la collectivité.
L’anarchie : la loi avant le droit ou la loi de la jungle. On supprime purement et simplement toute loi pour donner la priorité à l’instinct ( = logique du besoin).
La transgression : l’homme peut lever le joug d’une loi trop répressive pour devenir maître et libre de sa personne, de sa pensée et s’ouvrir un chemin de relation. Il doit rompre avec ce qui, hors de lui, le nie et le contraint à la mort; et, avec ce qui, en lui, fait violence aux autres, les nie, les tue.
Il y a des lois qui sont à excéder afin de provoquer une ouverture. Pour que la réciprocité soit possible, il faut savoir appliquer la loi de défense qui consiste à ne pas faire aux autres ce qu’on ne souhaite pas qu’ils nous fassent. Il s’agit d’une condition nécessaire mais pas suffisante. Il y a aussi la loi du pari ou du risque qui consiste à faire aux autres tout ce que nous voudrions qu’ils nous fassent. Ce risque ouvre sur le règne de l’amour qui, seul, rend libre.

Document 8 : Traversée provisoire de l’Evangile.

Il entra de nouveau dans une synagogue. Il y avait là un homme qui avait la main paralysée. Ils observaient pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat. C’était pour l’accuser. Jésus dit à l’homme qui avait la main paralysée : « Lève-toi ! Viens au milieu. » Et, il leur dit : « Ce qui est permis le jour du sabbat, est-ce de faire le bien ou de faire le mal ? De sauver un être vivant ou de le tuer ? » Mais, eux se taisaient. Promenant sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leur cœur, il dit à cet homme : « Etends la main ! » Il l’étendit et sa main fut guérie. (Mc III, 1-6)

Document 9 : Une conception particulière de la loi : Montesquieu.

Il y a, dans chaque état, trois sortes de pouvoir : la puissance législative qui fait les lois pour un temps ou pour toujours ; la puissance exécutive qui exécute les lois, qui fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassadeurs. Pour la troisième, elle punit les crimes ou juge les différends entres les particuliers. On appellera cette dernière la puissance juridique. (Montesquieu, Esprit des lois.)
On dit qu’il n’est pas dans l’intérêt du prince d’admettre plusieurs religions dans son Etat. Même si toutes les sectes du monde s’y rassemblaient, ce ne serait rien si toutes prescrivent l’obéissance et prêchent la soumission à l’Etat. J’avoue que les histoires sont remplies de guerre de religion mais ce n’est point la multiplication des religions qui a produit ces guerres, c’est l’esprit d’intolérance qui ranimait celle qui se croyait dominante. (Montesquieu, Lettres Persanne, n°86

Document 10 : Révolte d’enfants.

Situation : Louisa, la mère de Jean-Christophe, l’a amené avec elle dans une riche maison où elle travaille. A cette occasion, le jeune garçon a revêtu ses vêtements de dimanche.

Enhardis par son silence, les deux petits riches, qui avaient pris brusquement pour le petit pauvre, une de ces antipathies d’enfant, cruelles et sans raison, cherchèrent quelque moyen amusant de le tourmenter. La fillette était particulièrement acharnée. Elle remarque que Jean-Christophe avait peine à courir à cause de ses vêtements étroits et elle eut l’idée raffinée de lui faire accomplir des sauts d’obstacle. On fit une barrière avec de petits bancs et on mit Christophe en demeure de la franchir. Le malheureux garçon n’osa pas dire ce qui l’empêchait de sauter. Il rassembla ses forces, se lança et… s’allongea par terre. Autour de lui, c’étaient des éclats de rire. Il fallut recommencer. Les larmes aux yeux, il fit un effort désespéré, et, cette fois, réussit à sauter. Cela ne satisfit point ses bourreaux, qui décidèrent que la barrière n’était pas assez haute. Ils y ajoutèrent d’autres constructions jusqu’à ce qu’elle devînt un casse-cou. Christophe essaya de se révolter : il déclara qu’il ne sauterait pas. Alors la petite fille l’appela « lâche » et dit qu’il avait peur. Christophe ne put le supporter et, certain de tomber, sauta, et tomba. Il s’écorcha les mains, faillit se casser la tête et, pour comble de malheur, son vêtement éclata aux genoux. D’ailleurs, il était mort de honte. Il entendit les enfants danser de joie autour de lui. Il souffrait de façon atroce. Il sentait qu’ils le méprisaient, qu’ils le haïssaient.
Pourquoi ? pourquoi ? Il aurait voulu mourir… Il essaya de se relever : le petit bourgeois le poussa et le fit tomber. La fillette lui donna des coups de pied. Il essaya de nouveau. Ils se jetèrent sur lui tous les deux, et s’asseyant sur son dos, ils lui appuyèrent la figure contre terre. Alors une rage le prit : c’était trop de malheurs ! Ses mains qui lui brûlaient, son bel habit déchiré, – une catastrophe pour lui -, la honte, le chagrin, la révolte contre l’injustice, tant de misères à la fois se fondirent en une fureur folle. Il s’arc-bouta sur ses genoux et ses mains, comme un chien, fit rouler ses persécuteurs. Et, comme ils revenaient à la charge, il fonça tête baissée sur eux, gifla la petite fille et jeta, d’un coup de poing, le garçon dans une plate-bande.
Une dame fondit alors sur lui. Il se sentit frappé. Il entendit qu’elle lui parlait d’une voix furieuse, avec un flot de paroles. Mais, il ne distinguait plus rien. Ses deux petits ennemis étaient revenus assister à sa honte et piaillaient à tue-tête, des domestiques étaient là : c’est une confusion de voix. Pour achever de l’accabler, Louisa, qu’on avait appelé, parut. Et, au lieu de le défendre, elle commença par le claquer, elle aussi, avant de rien savoir, et voulut qu’il demandât pardon. Il s’y refusa avec rage. Elle le secoua plus fort et le traîna par la main vers la dame et les enfants, pour qu’il se mît à genoux. Mais, il trépigna, hurla, et mordit la main de sa mère.
(Christophe est rentré chez lui : après l’avoir battu et envoyé dans sa chambre, ses parents se sont disputés à son sujet. Tous les malheurs de la journée l’accablent à la fois.)
C’était un écroulement total. Il était écrasé par la force brutale, sans nul moyen de se défendre, de réchapper jamais. Il crut mourir. Il se raidit de tout son être, dans une révolte désespérée. Il tapa des poings, des pieds, de la tête contre le mur, fut pris de convulsions, et, se meurtrissant aux meubles, tomba par terre.
D’après Romain-Rolland : Jean-Christophe. L’aube. Livre de poche, Tome 1

Document 11 : Révolte d’adultes.

Depuis la naissance de l’humanité, il y a toujours eu des injustices, parfois des révoltes ou des révolutions, trop souvent des guerres. Des hommes se sont alors dressés pour dénoncer les injustices commises à leurs époques. Par après, certains de ces hommes ont été appelés des prophètes.

Zola, dans Germinal, nous décrit une grève de mineur au cours du 19ème siècle. Le conflit vient de débuter et c’est la première confrontation entre le patron de la mine et les mineurs.
– Voyons, demanda le patron de la mine, qu’avez-vous à me dire ?
Il s’attendait à entendre Etienne à prendre la parole, et il fut tellement surpris de voir Maheu s’avancer, qu’il ne put s’empêcher d’ajouter encore :
Comment ! C’est vous, un bon ouvrier qui s’est toujours montré si raisonnable, un ancien de Montsou dont la famille travaille au fond depuis le premier coup de pioche !… Ah, ça c’est mal, ça me chagrine que vous soyez à la tête des mécontents !
Maheu écoutait, les yeux baissés. Puis, il commença, la voix hésitante et sourde d’abord.
– Monsieur le directeur, c’est justement parce que je suis un homme tranquille, auquel on n’a rien à reprocher, que les camarades m’ont choisi. Cela doit vous prouver qu’il ne s’agit pas d’une révolte de tapageurs, de mauvaises têtes cherchant à faire du désordre. Nous voulons seulement la justice, nous sommes las de crever de faim, et il nous semble qu’il serait temps de s’arranger, pour que nous ayons au moins du pain tous les jours.
Sa voix se raffermissait. Il leva les yeux, il continua, en regardant le directeur :
– Vous savez bien que nous ne pouvons pas accepter votre système… On nous accuse de mal boiser. C’est vrai, nous ne donnons pas à ce travail le temps nécessaire. Mais, si nous le donnions, notre journée se trouverait réduite encore, et comme elle n’arrive déjà pas à nourrir, ce serait donc la fin de tout, le coup de torchon qui nettoierait vos hommes. Payez-nous davantage, nous boiserons mieux, nous mettrons aux bois les heures voulues, au lieu de nous acharner à l’abattage, la seule besogne productive. Il n’y a pas d’autre arrangement possible, il faut que le travail soit payé pour être fait… Et qu’est-ce que vous avez-vous inventé à la place ? Une chose qui ne peut nous entre dans la tête, voyez-vous ! Vous baissez le prix de la berline, puis vous prétendez compenser cette baisse en payant le boisage à part. Si cela était vrai, nous n’en serions pas moins volés, car le boisage nous prendrait toujours plus de temps. Mais, ce qui nous enrage, c’est que cela n’est même pas vrai : la Compagnie ne compense rien du tout, elle met tout simplement deux centimes par berline dans sa poche, voilà !
– Oui, oui, c’est la vérité, murmurèrent les autres délégués, en voyant Monsieur Hennebeau faire un geste violent, comme pour interrompre.
Du reste, Maheu coupa la parole au directeur. Maintenant, il était lancé, les mots venaient tous seuls. Par moments, il s’écoutait avec surprise, comme si un étranger avait parlé en lui. C’étaient des choses amassées au fond de sa poitrine, des choses qu’il ne savait même pas là, et qui sortaient, dans un gonflement de son cœur. Il disait leur misère à tous, le travail dur, la vie de brute, la femme et les petits criant la faim à la maison. Il cita les dernières paies désastreuses, les mois dérisoires, mangés par les amendes, les taxes et les factures, rapportés aux familles en larmes. Est-ce qu’on avait résolu de les détruire ?
– Alors, Monsieur le directeur, finit-il par conclure, nous sommes donc venus vous dire que, crever pour crever, nous préférons crever à ne rien faire. Ce sera de la fatigue de moins… Nous avons quitté les fosses, nous ne redescendrons que si la Compagnie accepte nos conditions. Elle veut baisser le prix de la berline, payer le boisage à part. Nous autres, nous voulons que les choses restent comme elles étaient, et nous voulons encore qu’on nous donne cinq centimes de plus par berline… Maintenant, c’est à vous de voir si vous êtes pour la justice et pour le travail.
Zola, Germinal, Folio Classique, Paris, 1978, pages 271-272.

Document 12 : Caractéristique du prophète biblique.

1. Le prophète est le porte-parole de Dieu, le messager de Dieu face à Israël et ses chefs.
« C’est quelqu’un qui rend visible Dieu. Son rôle est dès lors beaucoup plus profond que de prédire l’avenir (rapport avec le sens du terme « prophète » tel qu’il est trop souvent compris !). »
Il parle au nom de Dieu pour éveiller les personnes au projet de Dieu pour l’homme.
2. Le prophète dénonce les fausses valeurs, le non-respect des droits de l’homme. Il propose des options différentes pour un monde plus humain. Cependant, il ne se contente pas de parler : il agit lui-même pour être un exemple.
3. L’action du prophète lui fait courir des risques. Il est souvent rejeté, parfois même tué. Ce sont des gêneurs qu’on voudrait éliminer.
REMARQUE : SEUL UN TRAVAIL AVEC D’AUTRES, EN COMMUNAUTE, PEUT LIMITER LE PRIX A PAYER.
4. Pour le prophète, l’avenir n’est pas bouché mais n’est pas magique non plus ou automatique. Chacun doit prendre ses responsabilités et faire des choix. Donc, c’est un message d’espérance qui s’appuie sur la force de l’amour et qui implique d’agir dès maintenant. C’est parce qu’il espère et croit au projet de Dieu pour l’homme que le prophète agit comme il le fait.
5. Y a-t-il encore des prophètes aujourd’hui ? L’aventure des prophètes ne s’est pas arrêtée : elle continue aujourd’hui encore à travers tous les pays du monde. Parmi ces prophètes, on peut citer GANDHI, MARTIN LUTHER KING, … .

Document 13 : Le cri des prophètes.

Au lieu de parler des prophètes en général, penchons-nous sur la vie d’un prophète de l’Ancien Testament en particulier, à savoir Amos. Cela se passait à Béthel, en 750 avant Jésus-Christ, dans le royaume du Nord, en Samarie. C’était un grand lieu de pèlerinage : tellement important que son sanctuaire était qualifié de royal. Le prêtre desservant ce temple était bien en cour et le roi un généreux protecteur.
Amos s’était présenté là, venant du Sud, comme prédicateur de la Parole de Dieu. Mais, sa présence ne plaisait pas à tout le monde. Il fut vite considéré comme un trouble-fête, accusé d’agir sans mandat officiel et même soupçonné d’agitation politique.
On devine aisément la suite : le prêtre du sanctuaire dénonce le prophète au roi et l’expulse sous prétexte que « le pays ne peut plus tolérer des paroles aussi insensées. »
Amos fait partie de la grande lignée des prophètes de l’Ancien Testament avec Isaïe, Jérémie, Osée, Ezéchiel, Elie, Jean-Baptiste, … .
Amos, Chapitre 2, du verset 6 au verset 16.
Oracle de Yahvé : Pour trois crimes d’Israël et pour quatre, je ne reviendrai pas sur mon arrêt. Parce qu’ils vendent le pauvre à prix d’argent ou pour une paire de sandales. Parce qu’ils écrasent la tête des petites gens, et qu’ils font dévier la route des humbles. Parce qu’ils s’étendent auprès de chaque autels sur des vêtements reçus en gage et qu’ils boivent ainsi, dans le temple de leur dieu, le vin qui a été donné en guise d’amende. Pourtant, c’est moi qui avais exterminé devant eux leurs ennemis, les Amorites , dont la taille égalait celle des cèdres et la force celle des chênes en détruisant leurs fruits en haut et leurs racines en bas. C’est moi qui vous avais fait sortir d’Egypte et conduit 40 ans au désert pour vous donner la possession du pays des Amorites. J’ai suscité parmi vous des prophètes n’est-il pas vrai, Israélites ? Mais, vous avez fait boire du vin au Naziréens et vous avez défendu aux prophètes de prophétiser. Hé bien, je vais vous clouer sol, comme est cloué au sol un chariot engorgé de paille. La fuite manquera à l’homme rapide. L’archer ne tiendra pas et le coureur rapide ne tiendra pas. Le cavalier ne sauvera pas sa vie, et le plus brave d’entre les vaillants s’enfuira ce jour-là.
Amos, Chapitre 8, du verset 4 au verset 7.
Ecoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix, fausser les balances. Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d’argent, le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets de froment ! » Le seigneur le jure par la Fierté d’Israël : « Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits ! »

Document 14 : La loi juive à l’époque du Christ.

Traduire le mot hébreu Torah par « Loi » appauvrit singulièrement son sens qui est révélation, instruction. Pour les juifs fidèles, la Torah contient les secrets de la vie que Dieu a donnés à son peuple. A travers les prescriptions morales, sociales, rituelles, elle communique la volonté bienveillante de Dieu qui guide et oriente.
L’ensemble des cinq premiers livres de la Bible est appelé la Torah : bien au-delà d’un code juridique, ils proposent de vivre « l’alliance » avec Dieu. Tous les aspects de la vie collective et individuelle sont justifiés par la Loi : selon l’Exode et le Deutéronome – deux des Livres de la Torah -, Moïse l’a recueillie de Dieu lui-même. Depuis, prophètes, sages et savants en ont sans cesse rappelé les exigences.
Mais, ici commencent les désaccords. Face à des problèmes nouveaux, comment vivre selon la Loi ? Quel est le premier des commandements ? Où se trouve l’essentiel ? Y a-t-il des limites à la Loi ? Peut-on la transgresser ? Que se passe-t-il lorsque quelqu’un commence à la transgresser ?
La mémoire chrétienne ne présente de l’attitude de Jésus vis-à-vis de la Loi ni une vision simpliste ni même une vision simple. Il ne peut être rangé du côté des conservateurs ni du côté de ceux qui veulent adapter la Loi. Il ne rejette pas la Loi et il n’est pas obsédé par elle. Il a, semble-t-il, un point de vue de surplomb, au-delà de la pure observance du commandement.
Six années durant tu ensemenceras ta terre et tu récolteras son produit, mais à la septième tu lui donneras relâche et la laisseras en jachère : les indigents de ton peuple et les animaux des champs mangeront leurs restes. Ainsi feras-tu pour ta vigne, pour ton olivier.
Exode XXII, 10-11.
Si un étranger vient à séjourner avec toi, dans votre pays, ne le molestez point. Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte.
Lévitique XIX, 33-34.
Tout homme des fils d’Israël et des hôtes qui séjournent au milieu d’eux qui aura chassé du gibier, bête ou oiseau, qui se mange, il répandra son sang et le couvrira de poussière. Car l’âme de toute chair est son sang dans son âme et j’ai dit aux fils d’Israël : vous ne mangerez du sang d’aucune chair, car l’âme de toute chair est son sang ; chacun de ceux qui en mangeront sera retranché.
Lévitique XVII, 13-14.
Tu ne livreras pas à son maître un esclave qui se sauve auprès de toi de chez son maître. Il demeurera avec toi, dans ton intérieur, au lieu qu’il aura choisi en l’une de tes portes, où bon lui semblera ; tu ne le molesteras pas.
Deutéronome XV, 12-17.
Yahvé dit à Moïse : « Mets par écrit ces paroles, car elles sont les clauses de l’Alliance que je conclu avec toi et les fils d’Israël (…) Moïse demeura là avec Yahvé 40 jours et 40 nuits et il écrivit sur les tables de pierre les paroles de l’Alliance, les Dix paroles.
Exode, XIX.
Le code de Moïse comprend donc une multitude de lois réglant la vie religieuse, sociale et économique d’Israël. Les tables de pierre gravées par Moïse seront conservées pieusement dans l’Arche d’Alliance qui sous le règne du roi Salomon sera posée au fond du Temple de Jérusalem. Chaque année, les fils d’Israël célèbrent le souvenir des Tables de la Loi, remises à Moïse lors de la fête des Semaines.

Document 15 : Le discours à Nazareth.

Il vint à Nazareth où il avait été élevé. Et il entra, comme d’habitude le jour du Sabbat, dans la synagogue. Il se leva pour faire la lecture. On lui remit un livre du prophète Isaïe. Il déroula le livre et trouva le message où il est écrit : « L’esprit du Seigneur est sur moi : il m’a consacré par l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, annoncer aux opprimés la liberté, proclamer une année de grâce du Seigneur. Il roula le livre, le rendant au servant et s’assit. Les yeux de tous, dans la synagogue, étaient fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Et tous lui rendaient témoignage.
Luc chapitre 4, du verset 16 au verset 22
Les nombreux auditeurs étaient frappés d’étonnement. Ils disaient : « D’où lui vient tout cela ? Quelle sagesse lui a été donnée ? Et ces miracles qui se font par ses mains ? N’est-il pas, lui, le charpentier, le fils de Marie ? Le frère de Jacques, de José, de Judas et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ? » Et ils étaient choqués à son sujet.
Marc chapitre 6, du verset 2 au verset 3.

Document 16 : De l’amour de la loi à la loi de l’amour.

Pharisiens, sadducéens, esséniens… Tous les « partis religieux », à l’époque du Christ, ont leur manière d’envisager la Loi Mosaïque. Elle imprègne l’existence d’Israël. Impossible de ne pas la rencontrer. On épie Jésus. Mais, il ne se place dans aucun clan : ni conservateur ni libéral. Il dénonce avec vigueur la souveraineté de la Loi de Moïse qui obscurcit l’esprit. Et donne comme seul principe d’interprétation : l’amour sans limites qui inclut – nouveauté absolue – jusqu’aux ennemis. Le Christ propose un nouveau regard. Avec lui, par exemple, les prescriptions rituelles ne sont pas abandonnées, mais « si tu présentes ton offrande à l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande » (Matthieu chapitre 5, du verset 23 au verset 24). La démarche vers le frère n’évacue pas le rite, mais elle est le préalable indispensable à la bonne santé de la démarche rituelle.

Document 17 : La question du sabbat.

Même si une loi a pour but d’assurer le bonheur de l’homme, la Loi n’était déjà pas vraiment respectée à l’époque du Christ. Mais, que se passe-t-il lorsqu’elle n’assure plus le bien-être de l’homme ? Que doit-on faire si on s’aperçoit qu’elle est corrompue et mal utilisée, provoquant ainsi le malheur des hommes ? Doit-on toujours obéir à une loi si on sait qu’elle est mauvaise.
« Un jour de sabbat, Jésus était allé prendre son repas chez un pharisien notable, et on l’observait. Justement, il y avait devant lui un homme à la main desséchée. Jésus s’adressa aux légistes et aux pharisiens : « Est-il, oui ou non, permis de faire une guérison le jour du sabbat ? » Ils gardèrent le silence. Jésus prit alors cet homme par la main, le guérit et le congédia. Puis, il se tourna vers eux : « qui de vous, dit-il, si son fils ou son bœuf tombe dans le puits, ne l’en retire aussitôt, même le jour du sabbat ? » A cela aussi, ils n’eurent que répondre. »
Luc chapitre 14, du verset 1 au verset 5.
Jésus ne veut pas supprimer le sabbat. Il montre que le sabbat n‘est pas un absolu car il y a une finalité supérieure qui l’englobe : servir la vie, sauver l’homme. Il n’abolit pas la loi, il la situe dans une lumière nouvelle : celle de l’amour, de la miséricorde, de la justice. « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ; le fils de l’homme est maître du sabbat. » (Marc IX, 27-28), célèbre phrase que l’on peut traduire par : la loi est faite pour l’homme et non le contraire car l’homme est le maître de la loi. Ainsi, quand un scribe lui pose la question classique sur le « premier » des commandements, Jésus en énonce deux : l’amour de Dieu et l’amour du prochain qui lui est semblable. Il les soude. Mais son originalité consiste à ajouter : « A ces deux commandements, toute la loi est suspendue, et les prophètes » (Mt XXII, 36-40). La loi n’est donc plus un absolu du seul fait qu’elle est la loi.
De l’accomplissement extérieur, socialement vérifiable, des rites et des prescriptions, on passe donc, avec le Christ, au primat de l’amour, à l’attention aux autres, au regard vers l’intérieur de l’homme et les intentions du cœur. La loi n’est finalement pas un absolu du seul fait qu’elle est la loi. L’affinement de la conscience personnelle doit être stimulé d’une manière vertigineuse. Pour le Christ, aucune casuistique, aucun examen détaillé des conditions d’une quelconque dispense. Pour le Christ, l’amour est le seul absolu par rapport auquel les hommes auront à se déterminer librement, sans qu’on vienne baliser sans cesse leur conduite.

Document 18 : Quelques conclusions avant de poursuivre.

1. La distinction entre obéissance et désobéissance n’est pas si claire que ça. Quand on obéit à un ordre donné, on désobéi parfois à son propre désir.
2. Les conséquences de l’obéissance comme de la désobéissance peuvent être positives ou négatives. Par exemple, elles peuvent nous nuire ou nuire aux autres, provoquer un malaise, un sentiment de culpabilité ou une joie et un plaisir de vivre.
3. Depuis notre enfance, on nous inculque l’obéissance et la soumission. Bien que ce soit nécessaire d’être soumis pour vivre en société, de ne pas dépendre tout le temps de ses envies, l’obéissance, poussée à l’excès, peut faire de nous des personnes irresponsables, ayant peur de toute forme d’autonomie, d’initiative, et ayant toujours besoin de s’appuyer sur une autorité supérieure pouvant nous conduire jusqu’à provoquer la mort d’autrui ou même la nôtre lorsque le stresse engendré par l’obéissance se retourne contre nous. Dans ce sens, l’obéissance n’est pas une vertu.
4. Notre manière de penser Dieu dépend de notre vécu personnel. Cette image de Dieu qui voit tout, qui sait tout, qui nous juge, nous récompense et nous punit vient de notre enfance. Elle est très liée à la manière dont on percevait nos parents. De plus, souvent, nos parents nous parlaient de ce Dieu pour renforcer leur autorité en nous faisant peur (ex. le petit Jésus te punira). Aujourd’hui, nous voyons plutôt Dieu comme un confident qui nous comprend et nous écoute. Cette image ne viendrait-elle pas de ce que nous vivons aujourd’hui, c’est-à-dire de notre désir d’être compris et de notre difficulté à trouver cette compréhension chez nos parents ?
5. Ces conclusions sont à problématiser. Elles doivent être formulées sous forme d’interpellation.

Document 19 : La liberté selon Albert Jacquard.

Le scientifique que vous êtes voit dans la science l’avènement d’une représentation lucide, exacte, des phénomènes naturels. Or le déterminisme est au prince au service de la science. S’ensuit-il que vous niez la liberté ?
L’appétit de la liberté est directement lié à la capacité, que seule possède l’espèce humaine, de penser à demain. Pour les animaux, seuls existent le passé et le présent. Leurs actes, même lorsqu’ils semblent tendre vers un objectif d’avenir, ne sont que la conséquence des événements passés et présents. La découverte de l’avenir a été faite par notre espèce. Et, cette découverte entraîne l’interrogation sur ce que sera cet avenir, d’où l’angoisse et l’espoir. D’où surtout le désir de rendre cet avenir conforme à nos vœux.
Mais, est-ce possible ? Le cours des événements peut-il être modifié par notre action ? La réponse ne peut être invérifiable, à la façon dont l’existence d’une réalité extérieure à nous est indémontrable. Mais l’attitude qui en découle reviendrait à nier la possibilité de vraiment vivre. Il paraît préférable d’admettre que le monde réel n’est pas seulement une illusion de nos sens, que la réalité n’est pas le fruit de notre imagination et uniquement ce que nous acceptons de bien vouloir croire. De la même façon, il paraît préférable d’admettre que dans le passage d’aujourd’hui à demain, des bifurcations sont possibles et que, le sachant, nous pouvons intervenir autrement qu’en consultant notre horoscope.
Vous avez le droit de vous sentir libre. Mais, ce sentiment d’être libre n’est pas une illusion ? On croit être libre alors qu’on est contrôlé, sur le plan social, par exemple (déterminismes socioculturels, inégalités, préjugés, etc.), mais aussi sur le plan psychologique, avec les motivations inconscientes. Nous ignorons simplement les causes réelles qui nous font agir.
Il est clair que la personne que je suis devenu a été construite par l’ensemble des informations apportées par mon patrimoine génétique et par l’ensemble des règles, des comportements, des opinions apportées par les hommes qui m’ont entouré. Je suis le produit de la rencontre de mécanismes concrets et d’influences psychiques. Mais, ce produit trouve être d’une telle complexité qu’il est capable de participer à sa propre construction. Cette auto-structuration nous permet d’apporter notre contribution à ce que nous sommes, et surtout à ce que nous devenons.
Si j’étais le produit des seules influences externes, je ne serais qu’un objet fabriqué, aboutissement passif de chaînes causales sur lesquelles je n’aurais eu aucune prise. Ma capacité d’auto-structuration m’a permis de passer du statut d’objet à celui de sujet.
Le fait que je sois capable de penser « moi, je », c’est-à-dire, paradoxalement, de parler de moi à la troisième personne, est le signe de ce pouvoir étrange qui ne semble être partagé par aucune autre espèce. Du coup, les influences qui ont agi sur moi, les contraintes imposées par ma dotation génétique et par mon milieu, deviennent, ou peuvent devenir, les matériaux d’un édifice conforme à mon propre choix. Ces éléments extérieurs ne sont plus les causes qui me font agir, mais des incitations qui me poussent à choisir. Par exemple, notre système éducatif étant basé sur la punition et la répression, lorsque nous sommes convoqués quelque part, nous avons peur de cette rencontre et nous sommes prêts à tout pour éviter cette confrontation.
Quant aux motivations inconscientes, elles ne sont que des pulsions, et non des obligations. Nos hormones sont source de comportements, mais nous pouvons les utiliser et ne pas nous contenter de les subir. Nos hormones sexuelles nous incitent à copuler, mais de la copulation nous sommes passés à la tendresse et à l’amour.
La liberté est indémontrable, disiez-vous. Mais, vous raisonnez comme si elle était un fait. Plus encore : une valeur.
La liberté est une invention humaine, tout comme la dignité, les droits ou l’amour. Elle n’en fait pas moins partie de la réalité que nous construisons depuis que nous avons eu conscience d’être. A nous de hiérarchiser nos valeurs. Une société démocratique fait un choix collectif définissant cette hiérarchie : liberté, égalité, fraternité, ou bien travail, famille, patrie.
La liberté n’est pas un donné. Son exercice est facilité par un minimum de ressources. Il est possible mais difficile d’être libre le ventre creux. Les lois sont là pour nous protéger les libertés, mais elles ont souvent été obtenues par ceux qui ont osé transgresser les lois antérieures.
Seriez-vous en mesure maintenant de définir la liberté ? Le plein usage de nos facultés physiques et mentales ? La capacité de décider et d’accomplir des actes dont nous avons l’initiative, à l’intérieur des lois ?
La liberté ne peut être définie que par référence à la construction de chacun par lui-même avec l’aide des autres. Elle est donc sans rapport avec la possibilité de faire n’importe quoi pour la seule raison que l’on a envie de le faire.
La liberté, c’est la possibilité de tisser des liens avec ceux qui nous entourent. Elle n’est donc pas un exercice solitaire. La célèbre formule : « Ta liberté s’arrête là où commence celle de l’autre », nous trompe. Il faut être au moins deux pour être libre. Plus exactement pour mettre en place, jour après jour, des règles de vie en commun satisfaisantes pour chacun. La liberté commence par le respect des lois et des autres.

Document 20 : A mon époque, on disait… .

Qu’est-ce qui a changé depuis les années 80 ? Peu et beaucoup de choses. Nous sommes au troisième millénaire. Le drame du Heysel fut le premier d’une longue liste être diffusé en direct. Le voyeurisme est encouragé grâce à la télé-réalité. La télévision peut fonctionner 24 heures sur 24. C’est le culte de l’individualisme, du paraître et de la solitude sociale. Nos enfants, nos filles surtout, sont hyper-sexualisés et en perte de repères pour la plupart. La guerre terroriste est devenue d’actualité. Les religions n’ont pas arrêté de tuer. La population est passée de 4,5 milliards à 5 milliards d’habitants. Le mur de Berlin s’est effondré, l’URSS s’est dissoute, la Yougoslavie a éclaté, des navettes américaines ont explosé et les marchands d’armes continuent à prospérer tandis que les grandes puissances jouent à la mondialisation. Le réchauffement climatique a été confirmé et mesuré. Fidel Castro et Johnny Hallyday sont toujours derrière le micro. Standard était champion pour la dernière fois du millénaire.
Bien sûr, aujourd’hui, il est d’usage courant de payer sa note de restaurant à l’aide d’une carte magnétique que le garçon glisse dans un lecteur portable. Les progrès de la domotique vous permettent de rentrer chez vous à l’aide de cette même carte magnétique, pour autant qu’on ne vous l’ait pas désactivée. Quant à votre unique numéro enregistré dans le grand fichier central (pudiquement appelé registre national), il permet de vous chiffrer, de vous biffer, de vous compter, de vous classer, que cela vous plaise ou non. Sans cette inscription au registre, vous êtes d’ailleurs inexistant. Si vous ne le croyez pas, demandez donc aux sans-papiers ce qu’ils en pensent, ainsi qu’à ceux qui ont été déclaré morts par hasard.
La question de la limitation des naissances n’a jamais été d’actualité chez nous, bien au contraire puisque l’on parle de dénatalité. Mais, qui va payer nos pensions ? Elle est cependant devenue un problème crucial en Asie. En Inde, les autorités organisent des campagnes (parfois « insistantes ») de stérilisation. Au Japon, à partir d’un troisième enfant, les heureux parents paient un impôt supplémentaire. En Chine, plus radicalement, il est interdit, sous peine de sévères sanctions, d’avoir plus d’un enfant si on habite en ville et plus de deux pour les paysans des campagnes. A partir d’une certaine longitude, les illégaux sont plus nombreux qu’on ne croit.
Toujours au Japon, ce sont les employés le plus méritants qui, par charters et cars entiers, partent en vacances culturelles aux frais de l’entreprise et qui n’arrêtent pas de prendre des photos d’eux.
La profession d’écrivain agréé était une réalité dans les pays du bloc de l’est. Ce l’est encore, quoique le vocable ne soit pas officiel, dans les trop nombreuses dictatures existant de par le monde. Et pas si loin de chez nous, à l’époque du maccarthysme aux Etats-Unis (1950), seuls les scénaristes officiellement « blanchis » avaient le droit d’écrire pour Hollywood.
Ah, liberté, liberté chérie, combien de révolution ne se sont-elles pas faites en ton nom ? Sans parler, plus prosaïquement, de la révolte de l’adolescent contre l’autorité de papa-maman-prof et du « système » en général. Mais, que devient-elle, une fois chèrement acquise, cette liberté tant revendiquée ? Les plus chanceux auront le privilège de choisir leurs entraves, les autres les subiront. Sans aller jusqu’à l’extrémisme simpliste de Lénine (« Tant que règnera la liberté, il n’y aura pas d’état »), revisitons ce bon vieux génie de La Fontaine : « Attaché, dit le loup, vous ne courez donc pas où vous voulez ? Pas toujours, admit le chien, mais qu’importe ? Il m’importe que de tous vos repas, je ne veux en aucune sorte, et ne voudrais même pas à ce prix un trésor. » Le message est clair : si vous voulez être vraiment libre, vivez seul sur une île déserte, sans famille, sans amis, sans Etat et, bien entendu, sans portable ni internet.
Sinon, il vous faudra bien accepter les règles et les lois qui régissent une société composée de millions d’individus. A nous, à vous de veiller à ce que les règles respectent au mieux la dignité de chacun. Et de se trouver, dans les limites qui nous sont imparties, le plus grand bonheur possible.