Peine de mort, vers l’abolition ?

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Il ne peut y avoir de justice qui tue sans se renier elle-même (Robert Badinter).

Juin 2001 : premier Congrès Mondial contre la peine de mort à Strasbourg. Au nom de la justice, a-t-on le droit de tuer celui qui se rend coupable d’un crime ? grave question, qui divise les partisans et opposants de la peine de mort. Pour sortir du débat passionnel, si on s’informait ?

« Professionnalisme, intégrité, excellence », ce n’est pas la devise de n’importe quelle entreprise, mais celle de la prison de Terell Unit, au Texas, où sont emprisonnés les condamnés à mort. Parmi les prisonniers, des mineurs d’âge et des handicapés mentaux dont la condamnation à mort, aux States, est autorisée. A quelques dizaines de kilomètres de là, Huntsville, la ville-prison : on y compte huit prisons, et un musée où l’on peut voir la reconstitution d’une cellule de condamné à mort, ou encore une chaise électrique qui servit à exécuter 350 condamnés. Dans le cimetière d’Huntsville, ce sont des prisonniers qui creusent les tombes des condamnés exécutés, lorsque les familles ne réclament pas les corps. Scènes ordinaires dans le plus grand Etat démocratique du monde.

La peine de mort n’est pas dissuasive.

La peine de mort ne diminue pas la criminalité ; considérer qu’elle protège la société des criminels est un leurre. Sur les nombreuses études réalisées à ce sujet, aucune n’a démontré une baisse de la criminalité là où elle d’application. Dans un Etat comme le Texas où l’on exécute à tour de bras, le taux de criminalité reste élevé (par contre, la loi y est très libérale quant à la détention d’armes à feu, encourageant implicitement la violence). Condamnée et tuer pour l’exemple ? Difficile de croire à un impact pédagogiques sur les jeunes générations, d’un exemple qui consiste à pratiquer ce que l’on interdit à l’autre.

La peine de mort est radicale. Son alternative, la prison à vie, ne l’est pas.

Un criminel mort ne tuera plus. Un criminel emprisonné « à perpétuité » et finalement libéré, comme cela arrive parfois, peut toujours recommencer. Cet argument sert la cause des partisans de la peine capitale. En cas d’adoucissement de la peine, le risque de relâcher un dangereux criminel dans la nature est réel. Pour beaucoup, l’abolition de la peine de mort serait plus acceptable si les condamnations à perpétuité signifiaient une vraie perpétuité. Ce qu’il faut savoir : sur les 66% d’Américains favorables à la peine de mort, ils ne sont plus que 43% si celle-ci était remplacée par un emprisonnement à vie garanti.

La peine de mort coûte plus cher qu’un emprisonnement à vie.

« Pas question de payer pour entretenir des criminels à vie », disent les partisans de la peine de mort. Ce qu’il faut savoir : hormis dans les pays où la justice est expéditive (pas d’avocats, jugement sommaire) et n’en mérite donc pas le nom, la procédure judiciaire menant à la peine capitale et l’exécution elle-même coûtent beaucoup plus cher à la société que l’emprisonnement à vie, de nombreuses études le prouvent. Exemple au Texas, toujours, où le coût moyen d’une condamnation à mort est estimé à 2.3 millions de dollars, soit à peu près trois fois plus que l’emprisonnement dans une cellule de haute sécurité pendant 40 ans. Chiffres et proportions variables dans les autres Etats, mais constat identique : exécuter coûte plus cher qu’emprisonner. Ajoutons qu’avec ou sans télé, les prisons « trois étoiles » sont un mythe et que la privation de liberté n’a rien d’une peine légère.

La peine de mort est arbitraire.

Ce qui détermine qui aura la vie sauve et qui sera exécuté n’est pas seulement la gravité et la nature du crime, mais aussi les circonstances politiques (l’approche des élections par exemple), la pression de l’opinion publique, l’appartenance ethnique, le statut social et les moyens financiers de la personne concernée.

Aux Etats-Unis, vous avez plus de chances d’échapper à la peine de mort si vous êtes un criminel riche… et blanc. La majorité des condamnés sont noirs, latinos, ou blancs et pauvres. Peu de blancs riches. Parce qu’il n’y a pas de criminels parmi eux ? La majorité des condamnés sont démunis. Et plus de 90% des personnes passibles de peine de mort ne peuvent s’offrir un avocat compétent. Elles se voient donc attribuer un avocat commis d’office, souvent inexpérimenté, sous-payé et ne disposant pas des fonds pour mener sa contre-enquête, ce qui accroît le risque d’erreur judiciaire.

Il n’y a pas d’exécution propre.

Après le recours aux pendaisons, puis à l’électrocution, certains états exécutent aujourd’hui par injection létale (sept piqûres), une méthode jugée « plus humaine ».

Ce qu’il faut savoir concernant la chaise électrique : infliger une décharge de 100 volts aux parties les plus sensibles du corps est considéré comme une torture. Infliger, dans le cadre d’une condamnation à mort, une décharge de 2000 volts à quelqu’un en vue de le tuer est donc une torture légale. La mort n’est pas instantanée, ce qui est aussi le cas pour l’injection létale. Ces deux méthodes d’exécution ont régulièrement des « ratés » et peuvent s’avérer d’une barbarie inouïe. Pour s’en convaincre, une visite sur le site Death Penalty Information Center (www.deathpenaltyinfo.org) est édifiante. Une série de cas d’exécutions y sont relatés en termes cliniques, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne furent ni brèves, ni propres (défaillances techniques, agonie de plus d’une heure, condamné qui prend feu…). Quelle que soit l’atrocité du crime commis, la justice ne peut en aucun cas faire sienne son inhumanité.

La peine de mort tue des coupables et des innocents.

Depuis, 1977, année où la peine de mort a été restaurée aux Etats-Unis, 86 condamnés à mort ont été acquittés ou innocentés, après avoir passé des années dans le couloir de la mort. Erreur judiciaire ou preuves insuffisantes ont été mises en exergue à la réouverture de leur dossier. Faux témoignages, défense déficiente, dissimulation de preuves en faveur de l’accusé, un constat relevé à plusieurs reprises… . Pour ces 86 acquittés, combien d’innocents exécutés ? Aux Etats-Unis toujours, plus de 5000 dossiers de condamnations à mort échelonnés sur une période de 20 ans ont été examinés par des chercheurs de l’Université de Columbia. Dans près de 7 cas sur 10, de graves erreurs de procédure ont été constatées, qui justifieraient la réouverture du dossier.

« On ne s’occupe pas assez des victimes ».

Pour ceux qui ont perdu un proche, victime d’un criminel passible de la peine de mort, la lutte contre la peine capitale peut paraître injuste et l’intérêt porté aux condamnés, déplacé. Beaucoup de familles se sentent délaissées et ne reçoivent aucune aide pour faire face à cette perte douloureuse et aux nombreux problèmes qu’elle entraîne. Le combat contre la peine de mort, au nom du respect des droits de l’homme, n’a de sens que si tous les droits sont respectés… à commencer par celui des victimes et de leur famille. En la matière, dans les pays où la peine de mort est de mise mais aussi chez nous, il reste des progrès à accomplir. La peine de mort n’est pas pour autant une manière de rendre justice aux victimes. Elle ne restitue pas aux proches l’être cher, ne leur rapporte pas la paix de l’esprit, les familles des victimes en témoignent elles-mêmes. Elle peut assouvir un désir de vengeance bien compréhensible, mais là n’est pas le rôle de la justice.

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