Je me lavais par morceaux

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Depuis quelques années, de plus en plus d’adolescents (surtout les filles) ont des problèmes d’alimentation. Ils ne souffrent pas tous d’anorexie mentale, mais à 12 ans, la peur de grossir peut devenir un vrai problème.
L’anorexie mentale est-elle une nouvelle maladie ? Pas du tout. Le syndrome de la maladie a été décrit pour la première fois en 1689 par le médecin anglais Morton. Ce n’est que deux siècles plus tard qu’un autre médecin lui a donné son nom : « anorexie mentale », ce qui signifie « perte d’appétit pour une raison nerveuse. » L’anorexie mentale survient surtout chez les jeunes filles au moment de la puberté et chez les jeunes adultes. La « boulimie », soit le besoin pathologique de manger, est un autre syndrome dont souffrent aussi de nombreuses jeunes filles.
Par exemple, Annie n’était vraiment pas grosse. Bien au contraire, elle avait pratiquement la taille mannequin. Et pourtant, son poids est devenu pour elle – et pour toutes les anorexiques – un gros problème. « Je me sentais grosse, tout en me rendant compte que ce n’était pas vrai », raconta plus tard Annie. C’est l’une des caractéristiques principales de l’anorexie : une perception déréglée de son corps. Les anorexiques ne voient pas et ne vivent pas leur corps tel qu’il est réellement. Elles sont parfois complètement décharnées, mais se mettent en colère si quelqu’un le leur fait remarquer. Elles ne se trouvent absolument pas trop maigres. Bien au contraire, il y a toujours bien un petit kilo à perdre.
« J’avais de terribles crampes tellement j’avais faim, j’avais horriblement soif et parfois, j’étais complètement épuisée, mais je refusais de l’admettre. » Les jeunes filles qui souffrent d’anorexie n’écoutent pas les signaux de leur corps. Ils font tout pour ne pas remarquer ces avertissements. « J’étais obsédée par l’idée de maigrir, mais les autres devaient manger. Aussi, je préparais toutes sortes de plats pour le reste de la famille. Et tandis qu’ils profitaient de leur repas, j’avais l’impression de remporter une victoire parce que je parvenais à résister à ces bonnes choses. » Les anorexiques ont beaucoup d’imagination pour cacher leurs problèmes alimentaires aux autres. Après chaque repas – sa mère l’obligeait à manger – Annie allait faire un jogging et des exercices physiques fatigants. En chemin, elle vomissait son repas. Pour ne pas ressentir la faim, elle buvait des litres d’eau et de café. Et quand elle était prise de fringales, elle avalait des laxatifs.
« Je m’éloignais de mes amis, et tous les jours, à table, je me disputais avec le reste de ma famille. Je me renfermais de plus en plus. Je ne pensais plus qu’aux tableaux de calories et surtout à ma balance. Pour persuader les autres que j’allais très bien, j’étudiais comme une folle et j’avais de bonnes notes. La manœuvre de diversion a fonctionné et je faisais tout pour tout faire parfaitement. »
Il n’est pas possible de maigrir continuellement. Le corps s’affaiblit et souvent, quand les anorexiques s’en rendent compte, il est trop tard. « Je n’avais plus mes règles. Mon corps se couvrait de duvet. Je perdais mes cheveux et j’étais épuisée. Je savais que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Et pourtant, j’étais incapable de réagir contre cette terrible anorexie. Pendant la journée, je camouflais ma maigreur dans de gros sweats et des chemises larges. Le soir, ça devenait de plus en plus difficile. Le miroir de la salle de bains me renvoyait impitoyablement l’image de mon corps aux côtes et aux saillants. Jusqu’au jour où je n’osais même plus prendre de bain. Ca m’angoissait trop de voir mon corps. Je me lavais par morceaux. C’est alors que j’ai compris que je n’arriverais pas à m’en sortir toute seule. Et, j’ai demandé à ma mère de m’emmener à la clinique. J’y suis restée sept mois en thérapie. »
Des chercheurs ont établi qu’il n’y a pas une seule cause de l’anorexie. Ils citent plusieurs facteurs, tant propres à l’individu qu’externes, qui peuvent influencer le développement du syndrome : peur de l’échec, désir de réussir et d’être mince, comportement surprotecteur de la mère, problèmes relationnels au sein de la famille, pression des autres jeunes, influence de la publicité pour les produits ligth, etc. Pourtant, beaucoup d’anorexiques ne croient pas qu’elles persistent à ne rien manger, uniquement pour ressembler à tel ou tel mannequin et pensent que la raison est généralement beaucoup plus profonde.
« Si tu es toi-même vraiment décidé, c’est possible. Mais, personne ne peut t’obliger à chercher de l’aide, tout comme personne ne peut te forcer à recommencer à manger. » Aujourd’hui, Annie a 21 ans. Elle termine ses études supérieures. Elle est guérie de son anorexie parce qu’elle a compris elle-même qu’elle avait un énorme problème et qu’elle a décidé de réagir. Des professionnels lui sont venus en aide. Cette aide professionnelle est indispensable parce que l’anorexie est une maladie très grave. Dans environ un tiers des cas, les troubles de l’alimentation persistent, et cela se dégradent avec le temps. Beaucoup de patientes développent après leur anorexie une boulimie : elles mangent des quantités excessives, pour ensuite se faire vomir ou absorber des laxatifs. D’autres deviennent dépressives ou s’isolent complètement dans leur petit monde. Entre 5 et 10% des patientes en meurent. Quand une jeune anorexiques reçoit, endéans l’année à partir du début de l’anorexie, une adéquate, elle a alors 100% de chances de guérison. Le problème est que beaucoup de patientes continuent à prétendre qu’elles ne sont pas malades. Elles refusent donc d’aller voir un médecin, ou s’opposent à toute aide. Cela occasionne la perte d’un temps précieux et il ne reste parfois aux parents d’autre choix que de faire entrer leur fille en clinique. Alors que si la jeune fille coopère à temps, une hospitalisation peut être évitée.

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  2. Anorexie, l’intérêt du rapprochement familial
  3. Anorexie, Alice n’est pas au pays des merveilles
  4. Comme une peau de chagrin, Sonia Sarfati, pp. 53 à 55.
  5. L’engrenage de l’anorexie, film