Le démon du régime

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Maigrir à l’extrême. Anorexie mentale. Qu’est-ce qui pousse les filles à s’affamer ? Nous avons interrogé le professeur Walter Vandereycken. Il travaille dans deux institutions psychiatriques où il aide les patientes qui souffrent de troubles alimentaires.
Qu’est-ce que l’anorexie mentale exactement ? Une envie irrésistible de maigrir. Les patientes anorexiques répriment leur appétit et leur sensation de faim. Au bout d’un temps, la nourriture devient leur ennemi numéro un. En même temps, leur image de soi est complètement déformée : elles continuent à se sentir grosses alors qu’elles deviennent maigres comme un clou.
Est-ce un mal de notre temps ? L’amaigrissement extrême pour des raisons esthétiques est connu depuis plus de cent ans en médecine, mais on ne le connaît auprès du grand public que depuis les années 60. Depuis, le nombre de patientes a augmenté de façon spectaculaire. Aujourd’hui, en Belgique, 1 à 3% des filles de 12 à 18 ans souffrent d’anorexie. C’est Beaucoup.
L’anorexie ne touche que les filles ? Les garçons atteints d’anorexie sont rares. Même si les adolescents ne sont pas toujours satisfaits non plus de leur physique… . Mais, ils préfèrent faire du sport ou de la musculation pour se donner une allure plus athlétique.
Chez certaines filles, l’anorexie commence dès 12 ou 13 ans. Quand la petite fille devient femme, elle doit s’adapter à tout un tas de changements. Et, quand s’y ajoute de la « graisse d’adolescence », certaines se lancent dans des régimes draconiens.
La grande majorité des patientes anorexiques ont entre 14 et 18 ans, avec un pic vers 16-17 ans. Des sports comme la gymnastique et la natation, mais aussi le monde de la danse et de la mode, leur imposent une pression supplémentaire.
Où se situe la frontière entre un régime strict et l’anorexie ? La plupart des adolescentes se mettent un jour au régime. Mais la frontière se situe dans la pensée. Il y a quelque chose qui ne va pas quand une fille ne peut plus dire : « J’arrête mon régime pour un jour parce que ce soir je vais à une soirée. » Une patience anorexique est incapable d’interrompre son régime. Elle doit continuer. C’est une obsession. Ce fanatisme est un signal d’alarme très clair. Et si, en plus, cette jeune fille recherche les performances scolaires et sportives, pour elle, le fait de ne pas manger est comme un nouveau défi. Cela devient : « Regardez de quoi je suis capable ! » C’est un 2ème signal. Mais, le symptôme le plus évident est que la jeune fille devient très pessimiste. Elle a tellement envie d’être mince qu’elle devrait être heureuse du résultat obtenu. Mais, elle ne l’est pas. Au contraire, elle s’isole de plus en plus et ne se passionne que pour ses études et le sport.
Quand est-ce critique ? Quand la personne a perdu 20% du poids normal, le corps subit des changements importants. Le fonctionnement des hormones féminines s’arrête. Il n’y a donc plus de règles. Le biorythme est perturbé. La sensation de faim et de satiété est complètement déréglée. Moins on mange, plus on est envahi de pensées sur la nourriture. C’est une réaction de survie normale du corps. On doit donc fournir encore plus d’efforts pour y résister. Cela provoque énormément de stress. C’est pour cela qu’à peine un tiers des patientes tiennent le coup. Les autres vont manger en cachette (parfois même dévorer), puis elles vont vomir ou prendre des laxatifs. On parle alors de boulimie. Cette forme d’anorexie est moins flagrante, mais beaucoup plus dangereuse.
Comme le corps reçoit moins de substances nutritives de l’extérieur, il fait appel aux réserves de nourriture et de graisse de tous ses organes. Le cœur, le foie, les intestins, mais aussi le cerveau, rétrécissent. Avec des conséquences ! Cela perturbe la façon dont on perçoit son propre corps. Ces jeunes filles ne voient pas ce qui est en train d’arriver à leurs corps. Elles continuent à se sentir trop grosses.
Comment s’en sortir ? Celle qui recherche de l’aide dans le courant de l’année a de grandes chances de guérir totalement. La 1ère étape est de parler avec son médecin de famille, un psychologue ou un psychiatre. On peut alors démarrer un traitement.
Le plus important est évidemment de recommencer à manger pour retrouver un poids normal. Il est essentiel que toute la famille coopère. Pas par des punitions, des critiques ou des remarques acerbes, mais en apportant aide et soutien, parce que c’est extrêmement difficile. Si la patiente n’arrive pas à manger, il est nécessaire de l’hospitaliser. Ensuite, au cours d’entretiens confidentiels, on cherche les causes profondes du problème. Le psychologue ou le psychiatre promettent de ne pas tout raconter aux parents. Il est très important que la jeune fille se sente comprise.
Que faire si une proche est touchée par le démon du régime ? En parler avec elle. Mais, certainement pas sur un ton de reproche. Dites-lui simplement : « Je m’inquiète pour toi. » Il faut que vous gardiez sa confiance et qu’elle sache qu’elle peut toujours compter sur vous. Vous serez peut-être la première personne avec qui elle osera parler de son problème.
Petite fille, Anne était boulotte. On avait l’impression qu’elle avait de petits seins et ça la gênait. On se moquait souvent d’elle. A douze ans, elle a ses premières règles. Elle se met à grandir plus vite et elle trouve ça chouette parce que ses rondeurs et sa « fausse poitrine » fondent. Elle mange de moins en moins pour rester mince. Ces règles disparaissent, mais ça ne la dérange pas. Lors de la visite scolaire, le médecin constate qu’elle a beaucoup grandi, mais sans prendre de poids. Il le signale aux parents. Le médecin de famille ne s’alarme pas. An continue à avoir de bons résultats scolaires et elle fait beaucoup de sport….
Anne décide maintenant de se mettre au régime végétarien : beaucoup de salades, de fruits et d’aliments maigres. Elle ne mange plus avec le reste de la famille. Ses parents sont furieux, mais Anne s’entête. Chaque repas devient une épreuve de force.
Au bout de six mois – Anne a déjà perdu 15 kg – sa mère commence à s’inquiéter. Le médecin de famille aussi. Il pense à l’anorexie mentale et dirige Anne vers un psychiatre. Anne, elle, trouve que tout va bien. Elle refuse d’abord de collaborer. Le psychiatre parle en tête à tête avec Anne. Il la rassure et lui promet que tout ce qu’elle lui dire restera entre eux. Aux parents, il demande d’arrêter ces disputes sur la nourriture. Ils acceptent. Anne se montre plus conciliante.
Le psychiatre fixe un premier objectif avec Anne : tant qu’elle restera en dessous d’une certaine limite de poids, elle ne pourra plus faire de sport. Une vraie sportive soigne son corps, elle ne le détruit pas. Elle reçoit un plan alimentaire spécial pour se remettre progressivement à manger normalement. Anne fait de son mieux, car elle a envie de refaire du sport. Mais, c’est terriblement difficile. Elle a l’impression de devenir monstrueusement grosse. A ses yeux, chaque kilo repris est un échec.
Anne va régulièrement consulter le psychiatre. Elle lui fait confiance et a l’impression qu’il la comprend. Il apparaît peu à peu qu’Anne a une image très négative d’elle-même. Elle détestait ce physique rondouillard et ces petits seins. Elle refusait de devenir une femme. En maigrissant autant, elle gardait un corps d’enfant et évitait les moqueries. Le psychiatre lui explique qu’elle risque exactement la même chose en étant excessivement maigre. On va de nouveau se moquer d’elle et l’embêter. Anne a besoin d’un peu de temps pour le comprendre et l’admettre, mais elle finit par réussir. Son poids redevient peu à peu normal, elle reprend confiance en elle et retrouve une image d’elle-même plus positive. Après six mois de traitement, elle est guérie.

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  4. Comme une peau de chagrin, Sonia Sarfati, pp. 53 à 55.
  5. L’engrenage de l’anorexie, film