Anorexie, Alice n’est pas au pays des merveilles

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La justice a-t-elle le droit de faire interner pour deux ans et de nourrir de force une personne anorexique pour préserver ? C’est la question difficile à laquelle un tribunal bruxellois a dû répondre en mai 2013.
« Je pensais que je n’en parlerais jamais, c’était mon secret. Et je n’avais aucune intention de permettre à quiconque d’avoir accès à mes fragilités. Puis, peu à peu, j’ai eu envie de raconter mon histoire. Parce que l’anorexie n’est pas quelque chose dont il faut avoir honte. » C’est ainsi que Michela Marzano, philosophe, plante le décor dès les premières lignes de son ouvrage autobiographiques « Légère comme un papillon. » Un décor qui est aussi celui d’Alice, 21 ans, anorexique depuis dix ans, et qui a un jour franchi les frontières d’un pays qui n’est certainement pas celui des merveilles. Que s’est-il passé dans sa vie ? Elle seule le sait et les explications relèvent de son intimité. Mais la jeune fille va doublement mal aujourd’hui. Hospitalisée suite à une décision judiciaire, elle conteste ses conditions de privation de liberté et dénonce le manque de soins appropriés à sa maladie. Elle demande à sortir du service de psychiatrie de l’hôpital Brugmann, parce qu’elle ne supporte plus d’être nourrie par sonde et attachée à son lit.
En raison de son histoire personnelle, Alice a glissé dans l’anorexie à l’âge de 11 ans. Elle s’est tout doucement habituée à moins manger, jusqu’à plus rien. Un verre d’eau ou une tasse de thé lui suffisait. Son père et sa mère ont rapidement pris conscience du problème. En dix ans, Alice a fait de nombreux allers-retours en milieu hospitalier, en ce compris à l’hôpital des enfants Reine Fabiola, avant d’entrer volontairement, en tant que personne majeure, à La Ramée, à Uccle, en avril 2012.
D’après le père d’Alice, le corps médical reste très démuni face à cette pathologie. Et plutôt que d’en traiter la cause psychologique, il se borne à en traiter le symptôme, la perte de poids, avec des carottes du style « prends 500 g et tu pourras avoir des visites ». Après avoir repris un peu de poids, Alice a tout reperdu à l’hôpital, tombant des 36 kg qu’elle avait atteints à 32. Elle était en zone rouge, et sans en informer Alice, un lundi matin, le Dr P. a saisi la justice. Le 19 novembre 2012, elle a été emmenée en ambulance à l’hôpital Saint-Pierre, où elle a été enfermée dans une cellule de dégrisement, c’est-à-dire un cachot de 2 m sur 2 sans fenêtre, avec paillasse en béton pour être précis. Alice est alors déshabiller et elle se retrouve nue devant des hommes. On lui a ensuite passé uniquement une chemise médicale et on l’a enfermée à double tour pendant deux heures où elle n’a cessé de crier pour sortir tout cela uniquement pour mettre sur un formulaire « anorexie mentale ». L’avocat d’Alice n’ayant pas accès à cette étape n’a su intervenir que lorsqu’Alice est arrivée en psychiatrie à l’hôpital Brugmann où elle fut transférée par la suite. Mais, si cette scène a été vécue de la sorte, cela pose réellement problème selon l’avocat d’Alice. La loi sur la protection de la personne des malades mentaux doit s’appliquer, mais on doit aussi tenir compte de la particularité de chaque cas, toujours selon l’avocat d’Alice.
Une première audience a lieu ensuite qui confirme la mesure d’internement. Sans entrer dans la complexité de la procédure, les audiences ont lieu à l’hôpital, endéans les dix jours. A la première audience concernant Alice, la mesure d’enfermement est confirmée pour quarante jours, et ensuite, lors d’une audience successive, pour une durée de deux ans, mesure que l’avocat et la famille d’Alice contestent.
Un moment très fort a lieu lors de cette audience quand Alice a tendu un papier au juge où elle avait écrit : « Je n’en peux plus. Je veux mourir. » Surpris, mais connaissant à ce moment-là tout le parcours de sa fille, son père lui a dit : « Chérie, quel que soit le chemin que tu prends, ce sera peut-être le dernier, mais je serai avec toi. » Un des jours les plus difficiles de son existence en tant que père, mais qui, par la suite, a créé un lien à la vie à la mort qui a permis de décoder cette demande et de la positiver. Sur l’instant, la juge a lancé : « On ne va pas laisser (dixit) crever une jeune fille de 20 ans ! », et elle a confirmé la privation de liberté. Mais, entre-temps, Alice est pour la première fois vraiment en chemin dans sa tête et souhaite la révision de cette décision.
En attendant la révision de cette décision, à l’unité 76, les conditions de vie sont particulièrement difficiles pour Alice. Le seul soin que le Dr P. préconise pour Alice, c’est la nourriture. Or, se nourrir pour une anorexique n’est que le bout du chemin. Avant cela, il y a tout un travail à faire que l’hôpital ne met pas en place. Pour pouvoir la nourrir, on met une sonde à Alice et on la gave. Et pour être sûr qu’elle n’arrache pas sa sonde ou qu’elle ne se fasse pas vomir, on lui fixe les pieds et les mains à son lit avec des attaches boulonnées jour et nuit. On la soupçonne aussi de vider ses poches de nourriture dans l’évier et il est donc inenvisageable de la détacher. On lui met une panne sous les fesses. Un jour, Alice a l’audace de sonner constamment tellement ses liens étaient serrés et faisaient excessivement mal. On lui retiré sa sonnette.
Alice savait qu’elle était en danger à 29 kg. Après une discussion avec son père, elle accepte le placement d’une sonde pour sa survie. Mais, à part cela, on continue à ne pas soigner la cause de son trouble alimentaire. Alice ne voit aucun thérapeute. Avec la médiatisation de l’affaire, Alice n’est plus attachée, et pourtant, elle est en train de prendre du poids. Elle est même à 35,5 kg, ce qui démontre que la contrainte n’est pas nécessaire.
Pour qu’Alice puisse rentrer chez elle, son père a mis en place une équipe pluridisciplinaire à domicile qui sera à même de l’aider. Dans le cadre de l’application de la loi sur la protection des malades mentaux, trois critères doivent être remplis pour le placement de la personne dans un établissement psychiatrique. Notamment, il faut prouver qu’il n’y a pas d’autres solutions. Or, ce n’est pas le cas d’Alice, selon son avocat, puisque sa famille la soutient.
Pour la première fois depuis longtemps, Alice a des désirs, des projets, ce qui montre qu’elle se dirige vers quelque chose de positif. Elle souhaite reprendre des études d’infirmière. Avec tout son vécu dans les hôpitaux, elle se rend compte que c’est un boulot dur, mais qui lui tiendrait à cœur. Elle aimerait réapprendre à écrire à la main (ce qu’elle ne peut plus faire à cause de sa maladie), se relooker, soigner son image et ses dents, abîmées par l’anorexie, et aider les jeunes filles dans le même cas que moi.
Le tribunal a prononcé la remise en liberté d’Alice.

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  2. Le démon du régime
  3. Anorexie, l’intérêt du rapprochement familial
  4. Comme une peau de chagrin, Sonia Sarfati, pp. 53 à 55.
  5. L’engrenage de l’anorexie, film