Autrefois, les enfants.

posted in: Parcours C | 0

Beaucoup de personnes rêvent… rêvent qu’autrefois, la vie était plus belle, les gens meilleurs, le travail plus humain… Elles rêvent aussi de leur enfance, de ce qu’étaient les relations parents-enfants. Or, autrefois , les parents n’étaient pas meilleurs, les enfants n’étaient pas plus heureux, ni mieux élevés, etc. Cette nostalgie d’un passé qui n’a jamais existé nous empêche de construire le présent réellement à partir de conditions objectives de notre vie actuelle. Renonçons donc à l’idée que le paradis terrestre est derrière nous. Un examen objectif du passé nous en convaincra facilement.

Avoir envie d’un enfant est un phénomène récent.

Autrefois lorsque les gens ne disposaient d’aucune méthode contraceptive, les enfants étaient toujours très nombreux. Les couples désiraient avoir des enfants, mais dès la naissance du premier enfant qui écartait la menace de stérilité, le couple savait qu’il aurait trop d’enfants, plus que prévu en tout cas. Ainsi, la venue d’un enfant était le plus souvent mal accueillie.
Pendant des siècles jusqu’à la connaissance de la contraception, l’infanticide, l’abandon d’enfants, la mise en nourrice, l’avortement étaient couramment pratiqués par les parents qui voulaient éviter d’avoir trop d’enfants.

L’infanticide.

Avant la civilisation chrétienne, l’infanticide était courant. Le père avait le droit, à la naissance d’un enfant, de décider si oui ou non, il le gardait. S’il décidait de ne pas le garder, il faisait exposer l’enfant sur la place publique, ce qui entraînait le plus souvent la mort de celui-ci (à moins qu’un couple stérile ne le ramasse pour l’adopter). L’Eglise a lutté contre cette coutume de l’infanticide mais comme les conditions matérielles des gens n’étaient pas modifiées, dans la pratique, l’infanticide a subsisté longtemps de manière plus ou moins cachée.
On disait que les mères faisaient exprès de mettre les enfants trop près du feu (où ils étaient souvent ébouillantés) ou de les faire dormir dans le lit des parents (où ils mouraient très souvent étouffés). A tel point qu’à certaines époques, dans certaines régions, l’excommunication a été prononcée contre les parents dont les enfants étaient morts de ces accidents.
En général, on peut dire que jusqu’au 20ème siècle, la mortalité infantile était trop élevée. Trop : parce qu’elle ne s’explique pas uniquement par les conditions d’hygiène et de la santé de l’époque. Il faut donc bien reconnaître que des parents qui ont « trop d’enfants » ont eu, à l’égard de la vie de leurs enfants, une indifférence trop grande. Cela s’explique par le fait que plus ils étaient nombreux, moins ils étaient importants aux yeux des parents (l’inverse étant vrai).

L’abandon des enfants.

Nos contes et légendes (ex. : Le Petit Poucet) contiennent des récits d’enfants abandonnés au milieu de la forêt par leurs parents trop pauvres. Autrefois, c’était souvent la réalité. Pendant des siècles, dans les villes et les campagnes, les enfants ont été abandonnés en masse. La nuit, les parents déposaient leur enfant dans un endroit public : porche d’une église ou entrée d’auberge, devant la porte de la sage-femme ou du chirurgien accoucheur (cfr Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, ou en Allemagne où des boîtes aux lettres sont prévues à cet effet le long des murs des hôpitaux).
L’enfant qui était trouvé là, était porté dans l’hôpital le plus proche. Dès le 15ème siècle, des hôpitaux se spécialisent dans l’accueil des enfants abandonnés ou trouvés. A la fin du 18ème siècle, en France, on abandonnait encore 120.000 enfants par an (et ce n’est pas le chiffre le plus élevé).
Les enfants abandonnés trouvaient rarement une famille d’adoption. Parfois, des familles pauvres prenaient un de ces enfants pour lui faire rapporter quelqu’argent. Elles l’envoyaient mendier en attendant de pouvoir le remettre au travail, de le louer comme porcher, valet de charrue, etc. (ex. : Sans Famille).

La mise en nourrice.

Autrefois encore, il arrivait très souvent que les mères refusaient d’allaiter elles-mêmes leurs enfants. Elles cherchaient alors à les placer en nourrice (cfr. Victor Hugo, Les Misérables). A certaines époques, cette coutume atteint toutes les classes de la population ou presque. Ainsi, au 18ème siècle, l’immense majorité des enfants nés à Paris sont placés en nourrice : sur 21.000 enfants qui naissent en moyenne chaque année, moins de mille sont nourris par leur mère, un millier est nourri par une nourrice au domicile des parents et les 19.000 autres sont envoyés en banlieue ou à la campagne. La pauvreté dans les campagnes est tellement grande que les femmes mettent au monde des enfants qu’elles abandonnent pour pouvoir prendre en nourrice les enfants des autres. Cette pauvreté se manifeste aussi dans la manière dont les nourrices traitent les nourrissons, qui sont sous-nourris (au point de mourir de faim parfois) ou sont nourris avec des aliments qui ne leur conviennent pas : bouillie de farine et d’eau, petits bouts de pain trempés dans du beurre fondu… Ils sont laissés dans une crasse repoussante : literie imprégnée de sueur, d’urine et de matières fécales… ou même sur de la paille sale. Ils ne sont pas changés et croupissent dans leurs vêtements souillés. Le plus souvent, il n’y a pas de chauffage, certains ont les pieds gelés (au sens strict). De plus, les animaux pénètrent librement dans la maison et il n’est pas rare que des porcs mordent ou mangent un nourrisson. Enfin, pour faire taire les pleurs, certaines nourrices font boire de l’alcool aux nourrissons tandis que d’autres donnent du sirop au laudanum ou des tranquillisants opiacés.

Contraception et avortement.

On aurait tort de croire que le fait de ne pas vouloir d’enfant ou de n’en vouloir qu’un seul est un phénomène récent, bien que le discours ambiant tend vers la valorisation des familles nombreuses. Dès la fin du siècle passé, un vétérinaire français racontait que, dans sa région, les parents ne voulaient qu’un enfant et que la naissance du second provoquait des jérémiades et les reproches des grands-parents. Les gens utilisaient tous les moyens pour éviter une nouvelle maternité, courant chez les devins, les sages-femmes, les faiseuses d’anges, prenant toutes sortes de poudres et de tisanes, se livrant à des activités de nature à provoquer l’avortement (crf. Manon des sources) ou s’introduisant des objets (pierres, bois, etc.) pour provoquer le rejet du fœtus.
Lorsque les parents acceptaient la venue d’un enfant, le sort de cet enfant pendant ses plus jeunes années n’était guère enviable. Il n’y a pas de crèches et, pour les classes populaires, il n’y a pas d’écoles, du moins jusqu’au 19ème siècle. L’immense majorité des femmes travaillaient. C’était seulement dans la bourgeoisie et la petite bourgeoisie, classe alors très peu nombreuse, que des femmes ne travaillaient pas. La durée de la vie active était beaucoup plus longue qu’aujourd’hui (on mourrait réellement au travail !). On commençait à travailler bien avant l’adolescence et il n’y avait pas d’âge de la pension (ni de pension bien entendu). La durée journalière du travail était aussi beaucoup plus longue. Il n’y avait que deux parts dans cette journée : le travail et le sommeil. Douze, quatorze, seize heures de travail par jour ne permettaient pas, en rentrant, de s’occuper de la maison et des enfants. Beaucoup aussi ne voyaient presque jamais le soleil et ne s’arrêtaient de travailler que pour aller à la messe.

Beaucoup d’enfants laissés seuls.

Dans les familles paysannes, le plus souvent, l’agricultrice est aux champs pendant la journée, loin de la ferme, avec les autres. Parfois, elle ne rentre pas à midi pour les repas. « A la campagne, dit un auteur du 18ème siècle, les mères passent la plus grande partie de la journée éloignées de leur chaumières. Pendant de longs espaces de temps, le malheureux enfant est noyé dans ses excréments, collé dans un berceau, garrotté comme un criminel. Il n’a que la langue de libre, aussi ne témoigne-t-il ses douleurs que par des cris, dévoré par les insectes de toute espèce, abandonné absolument ou confié à d’autres enfants. »
Quant aux enfants des familles ouvrières, leur sort n’est généralement pas plus enviable. Les uns sont apportés à l’atelier où ils souffrent d’une atmosphère particulièrement malsaine. Les enfants qui ne sont pas à l’atelier ne sont pas mieux traités : « Nous voyons des nourrissons qui manquent de lait et des soins de leur mère. Celles-ci sont dans l’impossibilité de les leur prodiguer chaque jour pendant les quatorze, seize, dix-sept heures qu’elles sont absentes de chez elles et qui d’ailleurs, exténuées de fatigue et incomplètement alimentées, ne peuvent offrir q’un sein presque tari. »

Beaucoup d’enfants exploités.

Les patrons n’ont pas mis longtemps à comprendre le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de la misère des parents et de l’angoisse au sujet de la garde des enfants en bas-âge. Alors, les enfants se retrouvent souvent au travail dès l’âge de huit an ou même cinq ou six, selon les métiers et les régions. Ils sont dans les mines, les filatures ou bien encore ils travaillent comme ramoneurs, saltimbanques, montreurs d’animaux, et ceux qui ne rapportent rien sont obligés d’aller mendier. A partir de l’instant où l’enfant peut rapporter un peu d’argent, le père découvre qu’il ne peut plus se passer de cette rentrée, de ce « salaire d’appoint ».
L’enfant est « apprécié » en valeur monétaire et jugé par rapport à l’argent qu’il peut rapporter à la maison. Il s’en suit que, dans les manufactures, les pères sont souvent plus durs avec leurs enfants qu’avec les autres ouvriers.
Plus tard, quand on proposera d’interdire le travail des enfants et de rendre obligatoire l’enseignement primaire, beaucoup de pères de famille de la classe ouvrière se sont opposés à ces progrès sociaux parce qu’ils allaient être privés de ces revenus complémentaires. L’Etat mis alors en place le système des allocations familiales pour empêcher les pères d’envoyer néanmoins leurs enfants au travail plutôt qu’à l’école.

Aujourd’hui et demain.

Nous pensons donc que le vingtième siècle est une époque, qui pour la première fois, permet à la majorité des parents, à ceux des classes les plus populaires surtout :
– de désirer ses enfants et de n’avoir que ceux-là ;
– de garder en vie et en bonne santé la majorité des enfants mis au monde ;
– de pourvoir à l’éducation des enfants dès leur plus jeune âge, que les mères travaillent ou non ;
– de s’occuper de ses enfants au retour du travail, aux jours de congé et aux vacances ;
– de les aimer pour eux-mêmes sans être amené à vouloir leur faire « rapporter de l’argent ».

Lire également

  1. Bref historique concernant la famille
  2. Les nouveaux modèles familiaux
  3. « A peine sortie de l’enfance, j’étais maman. »
  4. Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?