L’adolescence n’est pas une maladie

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Pour le sociologue Michel Fize, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, l’adolescence n’est pas forcément une crise difficile à vivre. Une réflexion pertinente qui pourrait aider bien des parents à y voir un peu plus clair.
Instables, mal dans leur peau, narcissiques, égoïstes, immatures… Voilà comment on caractérise les ados. Ces idées reçues ne correspondent pas à la réalité globale, on peut effectivement retrouver ces spécificités chez certains ados en souffrance, suivis par des psychothérapeutes, psychanalystes ou psychiatres, mais pas chez la majorité des teenagers. Les jeunes ne sont pas opposants dans un environnement familial et social qui ne produit pas la nécessité de l’opposition. Pour le dire autrement, les ados n’ont pas besoin de s’opposer pour s’affirmer, ils ont seulement besoin de le faire parce qu’ils découvrent en eux des capacités de réflexion jusque-là insoupçonnées. Ils expriment ce qu’ils ressentent, soutiennent qu’ils ne sont plus forcément d’accord avec ce que pensent les adultes ou les parents.
Les ados ne sont pas mal dans leur peau à cause des hormones, comme on nous le répète en permanence. Et s’ils le sont parfois, c’est pour d’autres raisons. D’ailleurs, une nouvelle théorie en vogue aux Etats-Unis met désormais en avant le phénomène neuronal. Faute de « bonnes connexions » dans le cerveau, nos pauvres ados prendraient plus de risques, auraient des conduites addictives vis-à-vis de l’alcool, du tabac ou du cannabis, ils seraient plus maladroits, etc. Tout cela prouve que la thèse hormonale n’est pas si sûre puisqu’on la remplace par une autre, qui elle-même sera un jour déboutée par la suivante, tout aussi fausse… Heureusement, aujourd’hui, 85% des adolescents se disent épanouis, heureux, sérieux et en bonne santé (enquête Ipsos Santé/Fondation Wyeth, 2012). Pourtant, 100% d’entre eux, dans le contexte familial, scolaire et social qui est le nôtre, seront à un moment ou un autre dans un état de souffrance. Il ne faut cependant pas réfuter le mal-être passager mais la cause qu’on lui impute. Toutefois, il est incontestable qu’il y a un afflux d’hormones chez les adolescents à la puberté. Ce qui est contestable, c’est qu’on en tire la conclusion que tous les dérèglements qui s’ensuivent en sont la conséquence. Parler de crise majeure, c’est de la supercherie.
Dans le même ordre d’idée, il faut réfuter le discours étrange qui fait de la crise adolescente quelque chose de normal et de l’absence de crise quelque chose d’anormal. L’adolescence est tout de même la seule période de l’existence où, non seulement, on vous dit que la crise existe mais qu’elle est nécessaire. Une crise sociale, une crise économique, une crise politique, ce n’est pas naturel et ce n’est pas inéluctable. La prétendue crise d’adolescence est juste un désaccord non assumé par les parents qui n’admettent pas la divergence de vue de leur enfant, tout cela ne mérite pas le label de crise. D’ailleurs, les spécialistes eux-mêmes emploient de moins en moins ce vocable. Certains parlent de « processus » traversés de moments de crise. D’autres « d’âge délicat », de « période sensible », « d’âge difficile ».
L’adolescence est une invention moderne qui apparaît avec la naissance de l’enseignement secondaire. C’est une période intermédiaire entre l’enfance et la jeunesse, puis l’âge adulte. Elle est le privilège des sociétés riches qui peuvent se permettre de ne pas envoyer leurs enfants travailler, comme c’était encore le cas dans la France préindustrielle du XIXe siècle. La connotation négative attachée à l’adolescence vient du fait de l’irruption de la sexualité et de la vie amoureuse avec la puberté. Tous ces jeunes ont désormais la mauvaise habitude des pratiques qui ont fait l’objet d’une traque effrénée de la part des médecins et psys aux siècles précédents. Et puis, devenant sexués, les ados peuvent procréer, ils sont donc dangereux, s’affirmant alors comme des concurrents au plan social. D’où la vision apocalyptique véhiculée par les médecins à propos des adolescents et de leurs vices.
Dans les pays en voie de développement cette période de la vie paraît moins visible. Il y existe cependant des rites sociaux qui font passer les enfants au statut d’adulte. Il n’y a pas à forcer la porte comme chez nous. Les jeunes ont leur place. Ils ont une indication claire de la sortie du monde de l’enfance, y compris avec une liberté, et même une initiation sexuelle dans certaines ethnies, suivies d’un sentiment d’existence au plan social et politique. Dès lors, pourquoi les choses se passeraient-elles mal ? Nos sociétés, au contraire, n’ont plus de rites collectifs (le service militaire notamment…). Cette génération déborde d’un trop plein d’énergie, et elle est stoppée dans son élan, d’où parfois, certaines prises de risques. Il y a un problème de passage et de droit. On voit bien que ce type de comportement n’est pas lié à l’adolescence mais à la société qui ne permet pas l’expression de ses talents et de son élan vital. Tous les experts (psy, médecin, historien…) convergent pour affirmer la difficulté d’être ado aujourd’hui. Un psy voit forcément, par exemple, des ados en mal-être, un médecin des males. Ils parlent donc de leur expérience et la globalisent à l’ensemble des ados ordinaires en s’appuyant sur une seule source, la leur.
Parent d’enfant et parent d’adolescent, ce n’est finalement pas le même métier. Cette rupture devrait être officialisée et ritualisée. Par exemple, aux alentours de 10 ans ou de l’entrée au collège, réunis autour d’un bon repas familial, les parents peuvent prendre acte solennellement du passage au nouvel âge de l’adolescence, et dire : « Maintenant, tu es grand, nous allons te traiter autrement, nous mettrons l’accent sur le dialogue, nous argumenterons. » Cela revient à admettre que l’ado pense par lui-même.

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