Briser la spirale de la violence

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Document 3 : Paix sur la Terre.

La fête de Noël, religieuse, laïque, synonyme de joies familiales, de trêves de confisseurs est universelle et plus forte parfois que la haine entre soldats et nations. Le monde entier se souvient de cette fin d’année 1944 où, dans un ultime effort, les nazis tentèrent de couper les armées alliées de leur base de ravitaillement, Anvers. Dans un village ardennais, des soldats ennemis ont conclu une trêve de Noël.

Décembre 1944. Le sauvage Schnee-Eifel [1] dort sous la neige. Le fracas de la bataille s’est éloigné. Encerclée par des forces supérieures, la 106ème division d’infanterie s’est rendue. Seuls, quelques petits groupes de fantassins errent encore dans la nature, tentant désespérément de rejoindre les lignes alliées.

A la ferme, la guerre n’a pas modifié la routine ancestrale. Isolés, loin des tumultes et des passions, ils évitent les citadins, fuient les militaires, ignorent le matérialisme. Ils vivent au rythme de la terre, avec Dieu.

En cette veille de Noël, une famille s’apprête à célébrer la Nativité. Il n’y aura pas de messe de minuit cette année. La nuit n’appartient plus aux fidèles mais aux forces du Mal. Les hommes ignorent l’appel des cloches. A l’heure où, jadis, s’élevaient les chants d’action de grâces, c’est aujourd’hui une mélodie de mort qui hante les âmes et le grondement du canon a remplacé celui des orgues.

Les G.I.’s marchent depuis l’aube. Les hasards du combat les ont lancés en plein inconnu. Coupés des lignes américaines par la violence de l’assaut, ils ont perdu tout espoir. Mais, ils marchent… pour survivre !

Là ! Une ferme ! s’exclame Jack, l’aîné du groupe, nous sommes sauvés !

– Et si les boches l’occupent ?

– Tu préfères mourir dans la neige ?

Prudemment, les cinq hommes s’avancent. La nuit tombe. Un chien aboie. La porte du logis s’ouvre. Une silhouette masculine apparaît.

Que faites-vous ici ? grogne l’homme. Les Allemands sont dans les environs.

Nous nous sommes perdus. Nous avons froid. Laissez-nous entrer.

Joignant le geste à la parole, les Américains repoussent le fermier et pénètrent dans la salle commune. Assise à côté de l’âtre, une femme les regarde, effrayée.

Nous vivons en paix, continue le maître des lieux. Je ne veux pas de bataille ici. Partez ! Rejoignez vos lignes ! Ou alors, rendez-vous. Je négocierai votre reddition.

Père, intervient une voix douce, cette soirée appartient au Seigneur. Ces soldats ont froid. Ils sont fatigués. Asseyez-vous, Messieurs. Débarrassez-vous ! Vous partagerez notre repas.


La nuit s’est installée. Les hommes ont donné leurs rations. La fermière s’est rassurée. Son mari s’est incliné. Les Américains peuvent se reposer à la ferme. Demain, ils reprendront la route. Soudain, des voix gutturales se font entendre. On frappe à la porte. Déjà, les G.I.’s ont saisi leurs armes. Le fermier ouvre. Une patrouille allemande entre dans la pièce. Les deux groupes ennemis sont face à face, hostiles, méfiants. La fille du fermier s’est jetée sur eux.

Non ! s’écrie-t-elle, pas de bagarre ici. Déposez vos armes, c’est Noël ! Asseyez-vous tous ! Nous réveillonnerons ensemble.

Matés, subjugués par la tranquille assurance de la paysanne, Allemands et Américains se sont assis. Ils se dévisagent. Un silence pesant règne, troublé par le tic-tac monotone du coucou.

– Cigarette ? propose le plus jeune des Américains en tendant un paquet de « Camel ».

Sans répondre, les Allemands se servent, ne quittant pas leurs adversaires des yeux.

Gut! dit enfin l’Unteroffizier. Gut!

La nuit avance. Les verres succèdent aux verres. En chœur, les participants à cette étrange veillée de Noël ont chanté « Stille Nacht » et « Jingle Bell ». Ensemble, ils ont salué la naissance du Sauveur. Déjà, les premières lueurs de l’aube pointent à l’Est.

Il est temps, dit l’Allemand. Il faut rentrer. En s’adressant aux Américains, il continue : « Vous êtes en danger ici. Beaucoup d’Allemands ne sont pas gentils. Alors, vous allez venir avec nous. »

Inquiets, les Américains reprennent leurs équipements. Sur leurs gardes, prêts à ouvrir le feu, ils suivent leur interlocuteur. Celui-ci les conduit jusqu’à la route, puis leur indique un sentier s’enfonçant dans les bois.

Vos amis sont par là, dit l’Allemand. Mais, dépêchez-vous car nous allons bientôt attaquer. Auf Wiedersehen !

Il a rejoint ses hommes. Ils s’éloignent vers l’Est. Les Américains contemplent, incrédules encore, les silhouettes grises qui s’estompent dans la brume matinale. Puis, sans mot, ils s’enfoncent à leur tour dans les bois. Dans la journée encore, ils rejoignent les lignes amies.


Cette banale histoire s’est déroulée une nuit de Noël, dans un pays ravagé par la guerre, à quelques kilomètres de Baugnez, de Ligneuville, de Stavelot et de Bande [2]


[1] Schnee-Eifel : tête de pont de la région de Saint Vith, coin enfoncé dans la ligne Siegfried.
[2] Allusion aux massacres de civils ou de militaires américains par les nazis dans les 4 localités.