Il faut que tu saches. (Lettre sans frontière, Journal MSF, janvier-février 2005, p.20)

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« Je suis plombé. » J’ai le virus, le SIDA ou presque, puisque je n’ai encore aucun signe… En rentrant, je me suis fait faire le test. Comme ça, par pure routine. Je n’avais peur de rien puisque j’étais safe en partant. Non, rien que quelques aventures sans lendemain – mais avec des capotes et avec des filles que je croyais et que je crois encore clean.
Et, ensuite, j’ai connu B. Au début, capote comme pour les autres, les conseils d’un raseur de MSF étaient encore dans ma mémoire. Mais, cette aventure, différente des autres, devenait quelque chose de durable. Cette fille me plaisait de plus en plus. Les nuits étaient de plus en plus amoureuses et la capote, devenant un carcan insupportable, perdait ses privilèges dans nos jeux amoureux. J’étais certain de sa fidélité. Son grand sourire désarmait mes questions sur son passé. A 19 ans, elle ne devait pas avoir eu un nombre de partenaires suffisant pour la rendre venimeuse. Notre district isolé était réputé pour son taux peu élevé de séropositifs. Alors, toutes ces bonnes raisons mises bout-à-bout, plus cet amour qui grandissait entre nous, m’ont fait baisser la garde.
Une nuit, je n’ai pas mis de capote. C’était quand même plus agréable, peau à peau ! Mais, j’ai complètement flippé, pendant les jours qui ont suivi… Le SIDA, le SIDA, quelle connerie avais-je faite ?
Pourtant, à partir de cette nuit-là, j’ai complètement « oublié » la capote. Ma peur du virus avait disparu… Les copains de la mission en avaient également ras-le-bol de ce caoutchouc débandant. B. est restée avec moi pendant sept mois et nous n’avons plus jamais utilisé de capote.
A la fin de la mission, je lui ai offert un peu d’argent pour lui permettre de s’en sortir… J’aimais bien cette fille. Ces douze mois avaient été les plus heureux de ma vie et cette deuxième mission avec MSF était un succès total.
Quand le toubib m’a annoncé le résultat, je n’y croyais pas. Mais, un deuxième test dans un autre labo n’a fait que d’enfoncer encore plus le clou : maintenant, je devais vivre avec cette bombe à retardement en moi.
Deux ans déjà que j’essaie de vivre normalement. « Mes globules vont bien. Les T4 sont encore en nombre » m’a dit le toubib que je vois régulièrement. J’ai pu partir pour une mission courte l’hiver dernier. Deux mois dans l’urgence, ça permet d’oublier. J’ai dû quitter ma copine de France, car j’étais incapable de le lui dire. Elle n’aurait pas compris.
J’ai eu des nouvelles de B. Apparemment, elle va bien car j’ai appris qu’elle sortait avec un autre Sans Frontières. Je ne sais comment prévenir les copains que cette pourriture de virus ne s’est pas dissoute dans l’amour que je portais à B. Elle mourra avant moi après en avoir infecté d’autres après moi.
Voilà. J’ai beaucoup hésité avant d’écrire. Je me débrouille très bien tout seul. Je souhaite seulement que ma connerie serve de leçon.
A bientôt, Inch Allah, Tombouctou, Mali, le 15 mars 2005.

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