SIDA, l’histoire mille fois répétée

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« Fléaux de Dieu, punitions célestes »,… de terribles épidémies ont, de tout temps, décimé les populations. Aux pleurs et aux lamentations des victimes se mêle alors le spectre de la suspicion. Dans ce qu’on appelle « le doigt de Dieu », on retrouve à la fois la haine du péché et la peur de la différence. Cela rassure les « purs », les « innocents », ceux qui n’ont rien à se reprocher. Quant aux « impurs », il faut à tout prix les fuir, éviter tout contact qui pourrait contaminer les corps ou souiller les âmes. Au-delà du progrès et de la civilisation, les grandes peurs ont subsisté. Certaines mesures adoptées aujourd’hui dans la lutte anti-SIDA n’ont rien de surprenant au regard des réactions provoquées, jadis, par les grandes épidémies qui frappèrent l’Occident.
Déjà, dans la plus haute Antiquité, les maladies infectieuses (lèpre, tuberculose, typhus, variole, etc.) faisaient sans aucun doute des ravages. Le manque de sources historiques empêche toutefois d’évaluer avec certitude s’il s’agissait de véritables épidémies. Les textes égyptiens et chinois fournissent les premiers témoignages précis. La Bible décrit longuement la « peste des Philistins » dans laquelle les Hébreux voient la main de Yahvé. L’Antiquité gréco-romaine et les premiers siècles de l’ère chrétienne connaissent eux-aussi de terribles épidémies qui « consument tel un feu de broussaille presque tout le genre humain. » Le terme latin pestis, qui équivaut à fléau, recouvre toutefois indifféremment, jusqu’au XVIIe siècle, toutes les grandes maladies épidémiques. Et, invariablement, l’Homme se tourne vers ses dieux pour trouver son salut.
Dès le VIe siècle, les conciles d’Orléans, d’Arles et de Lyon suggèrent des consignes d’isolement à l’égard des malades. A partir du XIIe siècle, la lèpre suscite les premières mesures d’exclusion systématique des individus « suspects. » Des milliers de léproseries parsèment alors l’Europe. Puis, c’est la terrible peste noire de 1348 qui se propage comme une lame de fond et qui fait périr un tiers de la population européenne. Dans les campagnes désertes défilent inlassablement les longues processions de pénitents. On cherche des coupables et on s’en prend aux Juifs, aux Bohémiens, aux sorciers, etc., qui finissent invariablement sur le bûcher.
Au XVIe siècle, la lèpre disparaît d’Europe mais la peste, la variole, la coqueluche ou le paludisme, causent toujours de terribles ravages. Parallèlement, de nouvelles maladies apparaissent. Ainsi, la syphilis, ramenée des Amériques, contamine l’Europe en quelques années. Ce « mal honteux qui dérive de passions coupables » fait prendre conscience de la notion de contagion. On ne se contente plus d’exclure le malade. On impose aussi des mesures d’hygiène. Les prostituées reçoivent des soins obligatoires et les barbiers prennent certaines précautions. Tandis que l’Eglise préconise la chasteté, certains conseillent déjà l’emploi du préservatif.
Jusque-là, les causes des épidémies ont surtout été attribuées à des forces surnaturelles. Les mesures consistent donc à d’abord apaiser la colère divine par des pénitences, des processions ou des prières. Ce n’est qu’en 1796, avec l’inoculation du premier vaccin contre la variole, que la médecine proprement dite remporte sa première victoire. Mais, les épidémies n’en continuent pas moins à causer d’immenses dégâts. Le XIXe siècle connaît le choléra, la grippe asiatique et la tuberculose. Mais, cette fois, l’affrontement est politique et social : diffusion de germes et idées subversives vont de pair. Les classes miséreuses, frappées plus durement par la maladie s’insurgent contre le pouvoir qui les opprime.
Nous sommes les enfants de Pasteur et depuis la découverte des antibiotiques, les épidémies ne touchent plus guère que les pays pauvres du tiers-monde. Les moyens de lutte contre certaines maladies sont aujourd’hui excellents : la syphilis, la tuberculose, la rougeole, la lèpre ou la polio se soignent aisément même si des millions de gens en meurent encore chaque année. L’apparition du SIDA, dans le début des années 80, a causé une telle surprise que, de l’émotion, on est rapidement passé à la psychose. Après une période de libération sexuelle liée à l’invention de la pilule en 66, le SIDA est apparu comme un retour de flamme, une maladie honteuse dont l’amour péché était responsable. Certaines voix extrémistes se sont fait entendre, réclamant de sévères mesures contre les « coupables » : « les nègres, les pédés et les drogués. » Pour enrayer la propagation du terrible virus, pratiquement tous les gouvernements ont bien sûr pris des dispositions légales, plus ou moins sévères suivant les options politiques des pays. En Europe, c’est en Bavière que les mesures les plus radicales ont été prises. Nos sociétés libérales répugnant à exercer la contrainte, certaines limites n’ont, jusqu’ici, pas été dépassées. Qu’en sera-t-il si la menace se fait plus précise ? Les « sidaïques » sont montrés du doigt, leurs dossiers médicaux sont volés, les compagnies d’assurance refusent de les prendre en charge, les employeurs les licencient, les propriétaires les jettent à la rue, familles et amis les fuient. En viendra-t-on un jour à les enfermer, les exiler, voire les brûler comme les pestiférés de jadis ?

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  4. SIDA ? Bombe à retardement ! (Guy GILBERT, Jusqu’au bout, pp. 28-29)
  5. Il faut que tu saches. (Lettre sans frontière, Journal MSF, janvier-février 2005, p.20)