Les campings de la honte

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A l’heure où les estivants envahissent les caravanes, d’autres ont transformé ces « secondes résidences » en toit pour la vie. Chômeurs, minimexés, marginaux sont de plus en plus nombreux à aboutir dans les campings. Victimes, notamment, de la crise du logement, ils vivent dans des conditions frôlant parfois l’indécence. Un phénomène qui prend de l’ampleur.
Il est neuf heures. Le calme règne au camping du lac de Bambois, à Mettet. Au fond d’une allée, derrière la haie mal entretenue, une vieille caravane aux couleurs ternies. Bosses et griffes attestent de son âge. Les vitres ne tiennent plus que grâce à des larges bandes de plastique jaunes, visiblement apposées à la hâte. Une vulgaire cloison fait office de porte d’entrée. C’est sur cette triste petite parcelle de vacances que vivent Luc et Odette, un couple d’une quarantaine d’années. A l’intérieur, une odeur de renfermé. Le mobilier est sommaire, ancien, guère entretenu. Le chauffage au gaz peine en cette matinée pluvieuse. Ici, la vie a un goût amer. Celui de l’exclusion, du chômage, de la pauvreté.
Ils sont pourtant des centaines, comme Luc et Odette, à avoir atterri dans un camping. Comme ça. Un jour. Au détour d’un divorce, d’une brouille familiale ou d’un licenciement. Pour eux, la caravane a été la dernière planche de salut. Elle leur permet d’éviter la rue.
On connaissait déjà les sans-abri, les SDF (sans-domicile fixe), les squatters et les mal-logés. Aujourd’hui, voilà les résidents à l’année en caravanes. Encore fort méconnu jusqu’ici, ce phénomène a pris une ampleur inédite au cours des quatre ou cinq dernières années.
Le recours à la caravane est révélateur de la crise du logement, mais aussi du désarroi de certains. Car, dans la plupart des cas, ces « campeurs » d’un genre nouveau n’ont pas vraiment chois leur situation. Certes, il a toujours existé des marginaux, ceux qui n’ont jamais pu se faire à une vie jugée trop sédentaire ou trop conformiste. A côté d’eux, des pensionnés optent pour une retraite en camping par facilité, tranquillité ou goût du dépaysement. Mais, ces deux catégories ne sont pas les plus importantes. Plus nombreux sont ceux, en effet, qui arrivent dans des campings par « obligation ».
D’autres ont abouti dans un camping parce qu’ils se sont retrouvés sans logement. Comme Luc et Odette. Voici cinq ans, ils habitaient encore une maison. A la suite d’une dispute familiale, c’est la sœur d’Odette qui hérite de l’habitation. Le coupe se retrouve sans toit, presque du jour au lendemain. Pris de vitesse et relativement démunis, ils choisissent de se réfugier dans un camping. Mais, ce qui ne devait être qu’une étape provisoire s’est peu à peu transformé en « solution définitive ».
Le fait d’habiter en caravane n’est guère commode. L’illusion d’un logement facile et pas cher révèle bien vite ses nombreuses limites. Premier problème : l’inconfort. Certaines caravanes sont en très mauvais état. Quand il s’agit de familles, le manque de place se fait cruellement sentir. Et puis, il y a l’hiver. Le froid est un ennemi redoutable pour ces frêles baraques. Pour le combattre, certains sont obligés de multiplier les postes de chauffage : gaz, pétrole, charbon. Les dépenses augmentent en conséquence.
Ensuite, il y a l’isolement. Dans la plupart des cas, les campings sont très éloignés du centre des villages et des zones commerciales. Il faut donc un moyen de déplacement pour faire ses provisions. Si on ne dispose d’aucun véhicule, il faut compter sur les voisins. Dans certains cas, l’amitié joue. Dans d’autres, c’est l’argent. Dans ce milieu, il n’y a pas de petit profit : le moindre service se paie. A Mettet, les tarifs sont connus : 150 euros pour se rendre au centre-ville, 0.25 centimes le kilomètre pour rejoindre la ville de Namur.
Dans certains endroits, il existe bien l’un ou l’autre petit magasin de quartier. Mais, ici aussi, surgissent les mauvaises surprises. « Tout est plus cher qu’ailleurs, témoigne une ménagère. La bouteille d’eau passe, par exemple, de 0.50 centimes à 1 euros. Normal, poursuit-elle, les commerçants savent que nous n’avons pas toujours le choix : l’eau courante à l’intérieur du camp n’est pas potable, alors… ».
Parfois, on découvre aussi une véritable exploitation de la misère qui va jusqu’aux brimades. Les caravaniers sont, en effet, extrêmement dépendants de la gérance des camps dans lesquels ils se trouvent : pour le courrier, le téléphone, l’électricité ou la caravane elle-même, lorsqu’il s’agit d’une location. Dans certains campings, les abus sont fréquents. Jusqu’il y a peu, c’était le cas au « Camping du Lac », à Bambois. Régulièrement, tous les locataires étaient confrontés à des surfacturations. « Des notes incroyables nous tombaient dessus, se souvient ce pensionnaire. Il n’était pas rare de se voir réclamer 1250 euros d’électricité pour une petite caravane. Et, lorsque l’on lisait les factures d’un peu plus près, on s’apercevait que le gérant revendait le courant à 0.25 centimes au lieu des 0.12 euros légaux ! » Idem pour certains frais d’entretien, visiblement abusifs. « On nous demandait 400 euros par an pour la gestion des routes et des pelouses. En réalité, aucun travail n’était jamais effectué sur les voiries. Au bout du compte, on était toujours en train de payer. Mais, si on refusait, on avait droit à une majoration de 10%. Sans compter les menaces d’expulsion et les chantages. Le gérant était devenu un véritable maître des lieux, un roi. »
On le voit, le choix d’une caravane est loin d’aplanir les problèmes financiers des personnes qui y ont recours. Au contraire, pour certains, ils se sont aggravés. Tandis que d’autres complications sont venues s’ajouter : inconfort, solitude, inactivité, etc. « Finalement, habiter dans un camping, c’est entrer dans un circuit d’exclusion », conclut Martine Villé, assistante du CPAS de Fosses-la-Ville. Loin des regards et de la vie des villages, ces vacanciers de la mauvaise fortune s’enferment ainsi dans un grand isolement. Bientôt des mini-ghettos en Wallonie ?

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