Nombre d’adolescents à l’histoire fracassée par les mauvais traitements, humiliations et injustices subis dans leur enfance finissent par « péter un plomb ». Ils n’arrivent pas à exprimer en mots toutes leurs souffrances qui éclatent alors à travers des comportements destructeurs et délinquants. Comment les aider ?
Fatima, 17 ans, s’est retrouvée avec un dossier « jeune délinquante » chez le juge de la jeunesse. Elle piquait des colères terribles et pouvait se montrer très violente à l’égard des filles de son école. Elle donnait également beaucoup de fil à retordre à sa mère chez qui elle vivait. Un an plus tôt, elle avait été littéralement tabassée par son père au point qu’elle ne s’était pas reconnue tout de suite dans le miroir. Son hospitalisation avait duré quatre jours. Son père s’opposait à toute forme d’émancipation de sa fille.
Martine, 16 ans, n’arrête pas de fuguer. Ses parents ne peuvent s’empêcher de voir dans les fugues de leur fille comblée une remise en question de leurs compétences. Ils s’inquiètent pour elle mais quand ils se laissent aller au découragement, ils réclament son placement. Un placement qui perpétuerait une histoire familiale faite de ruptures et d’abandon.
Ces deux histoires parmi d’autres, Claude Seron, pédopsychiatre, les raconte brièvement dans son ouvrage « Au secours, on veut m’aider » pour expliquer comment, dans un processus thérapeutique familial, amener les adolescents à renoncer à leurs comportements auto ou hétéro-destructeurs et soutenir les parents dans ce cheminement.
« Il est important de restituer du sens aux comportements violents de certains adolescents. Ainsi, dans le cas de Fatima, il est évident que la jeune fille met en scène toute la violence qu’elle a subie de la part de son père et de la non-protection de sa mère. A travers ses symptômes, elle extériorise sa souffrance mais en même temps, elle éprouve le besoin de la nier quand on l’évoque avec elle », explique Claude Seron. Quant à Martine, il est clair à nos yeux que ses fugues font partie d’un script mimétique où l’adolescente exprime une forme d’abandon du domicile familial tout comme celui qu’elle a vécu alors qu’elle n’avait que quelques mois, lorsque sa mère est partie et que son père l’a confiée à une pouponnière…, ajoute le thérapeute familial.
Claude Seron est fréquemment amené, comme intervenant familial, à accompagner des adolescents qui n’ont pas sollicité son aide, la demande émanant d’une autorité judiciaire ou administrative. Il témoigne de la difficulté d’entreprendre une thérapie familiale dans ces situations. « Les adolescents se montrent très souvent réfractaires aux entretiens avec nous et éprouvent de grosses difficultés à nous parler. Face à cette opposition, nous misons sur la motivation minimale de leurs parents. »
L’objectif du travail thérapeutique est que l’adolescent puisse arriver à questionner ses parents, voire même à verbaliser des critiques ciblées et circonscrites à leur égard afin qu’il n’arrête de se détruire et de tout fracasser autour de lui, en hypothéquant son avenir. Ce n’est pas ainsi en effet qu’il obtiendra reconnaissance et réparation de ses souffrances.
« Lorsque nous tentons d’établir des liens entre la souffrance de l’adolescent et quelque chose qui n’a pas marché dans sa famille, qu’il s’agisse d’un comportement inadéquat chez les parents, de choix préjudiciables au bon développement de l’enfant ou encore de souffrances vécues par les parents et dont l’enfant n’a pu être épargné, il arrive fréquemment que l’adolescent prenne la défense de ses parents », observe Claude Seron.
D’un côté, l’ado met en cause ses parents à travers l’expression de ses symptômes en leur causant bien du souci (fugues, actes de vandalisme, vols, agressions,…), en jetant le discrédit sur leur honorabilité ou en leur rendant la vie insupportable à la maison. D’un autre côté, il veut leur épargner toute une forme de blâme en prenant toute la responsabilité de ses actes sur lui.
Il est nécessaire de dépasser cette étape pour les choses se disent réellement, sans transformer pour autant les entretiens en tribunal. « Il importe d’offrir aux parents une autre lecture de ce qui leur arrive, pour les aider à accepter de se questionner sur leur propre contribution, même involontaire, au mal de vivre et aux dérapages de leur ado. Beaucoup de parents déploient des efforts pour prouver que la souffrance de leur enfant n’a rien à voir avec leur propre souffrance ou inadéquation, rejetant la faute sur des mauvaises fréquentations, l’école, le juge, les grands-parents.
Claude Seron témoigne de la difficulté, pour l’intervenant familial, de trouver un juste milieu entre le fait de blâmer les parents et celui de les absoudre, de les délester de toute responsabilité. « Ce n’est pas simple. Nous souhaitons en tout cas que les changements, les remises en question auxquelles les parents accèdent, la reconnaissance du vécu de l’enfant, soient profitables à la bonne évolution de l’ado. »
Dans les situations où les parents ont imposé d’importants traumatismes à leurs enfants, la question de leur responsabilisation dans les problèmes que ceux-ci peuvent se poser par la suite semble aller de soi. Mais, lorsque les parents font preuve d’un mode de vie on ne peut plus normal – et c’est ce que disent la majorité d’entre eux, même si cela n’est pas toujours confirmé par les faits – , la question du lien entre leurs comportements, leurs choix, leur vécu, la manière dont ils ont investi leurs enfants et les cicatrices encore ouvertes que donnent à voir ces ados est loin d’être évidente. Ils peuvent alors se sentir injustement traités par des psys qui « psychologisent » tout et surévaluent la dimension familiale dans les problèmes manifestés par leur enfant. Cette réalité est interpellante. « Il est vrai que les responsabilités institutionnelles et sociétales ne sont guère questionnées », reconnaît Claude Seron.
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