Au début, Denis était un enfant facile. Il était joyeux et créatif. A l’école maternelle, pourtant, il n’en faisait qu’à sa tête. Les institutrices se plaignaient : il voulait toujours se faire remarquer. Mais, il était assez doué et j’en étais fière. A l’école primaire, la situation n’a pas changé. A plusieurs reprises, j’ai dû me rendre à l’école parce qu’il y avait des problèmes. J’étais persuadée que c’était la faute de l’institutrice. Après l’avoir changé deux fois d’école, il n’y a plus eu de problèmes. Ma belle-mère l’aidait à faire ses devoirs et lui faisait revoir ses leçons. Il m’était impossible de m’en charger moi-même, faute de temps. Je travaillais et je devais encore m’occuper de mes deux autres enfants. Mon mari n’était pas très disponible et ne pouvait guère se consacrer à leur éducation. Il occupait un poste important et devait souvent partir à l’étranger. Quand il rentrait, il était fatigué et voulait se reposer. Ma belle-mère s’est vraiment dévouée avec amour et Denis avait de très beaux résultats à l’école.
Avant qu’il n’entre en secondaire, ma belle-mère est décédée. Personne ne s’y attendait. Nous étions tous très affectés, surtout Denis qui allait devoir s’en tirer seul maintenant. Il était très attaché à ma belle-mère et n’aimait pas beaucoup sa nouvelle école. Le niveau était trop élevé et ses compagnons de classe l’ennuyaient. Peu après ma séparation avec mon mari, nous avons déménagé de l’autre côté de la ville. Il n’avait plus d’amis dans le quartier. Ses résultats scolaires étaient de plus en plus mauvais, malgré les cours particuliers. Je l’ai changé d’établissement scolaire. La situation devint alors catastrophique. Je ne savais plus quoi faire. J’étais seule, confrontée à l’éducation de mes enfants. Personne ne me critiquait, ne me conseillait. Alors, j’ai opté pour la solution de facilité : mes limites se sont progressivement déplacées, j’ai toujours accepté plus. Je me sentais coupable de travailler, coupable des difficultés de mon fils. Quand je me fâchais ou interdisais quelque chose, Denis trouvait toujours le moyen d’obtenir ce qu’il voulait. Je cédais de plus en plus facilement dans l’espoir de le rendre heureux et c’est ainsi qu’il a commencé à m’échapper.
Il rentrait ou sortait comme il voulait et ne respectait aucun engagement. Il ne prenait jamais de responsabilités. Il me demandait de l’argent, toujours plus d’argent, pour s’acheter l’amitié de ses camarades. Il leur payait à boire et leur offrait des cadeaux. Je lui parlais, mais sans résultat durable. Ses besoins d’argent sont allés croissant et il me volait de l’argent, des chèques, tout était bon. J’étais indignée, en colère. Mais, Denis n’était plus un gamin à qui j’aurais pu donner la fessée. A présent, c’était lui qui me frappait. Il essayait même de m’enfermer.
Voilà où nous en sommes depuis quatre ans. Denis est grand et fort et quand il s’abat sur moi, je suis morte de peur. Il se déchaîne comme une bête, sans aucun respect; et, pourtant, je suis persuadée qu’il m’aime. Le motif est toujours le même : l’argent, l’argent et encore l’argent. Il ne se contente pas de me frapper, il me terrorise aussi. Dès qu’il rentre, je dois lui servir à manger. Tant qu’il n’a pas à manger, il me casse les pieds, peu lui importe ma fatigue. Il se contente de prendre sans jamais rendre. Les autres enfants ne posent aucun problème. Mais, bien sûr, l’attitude de Denis se répercute sur la famille tout entière.
Pour tout arranger, il est renvoyé de l’école, une fois de plus. On ne veut plus de lui nulle part. Alors, il traîne, il s’ennuie. Il n’a pas de projets d’avenir et ne termine jamais rien, persuadé de n’être bon à rien. « Tout ce que je fais est toujours mauvais », dit-il. Et, je crains qu’il en soit bien ainsi pour le moment. Hélas ! En désespoir de cause, je me suis adressée à mon patron. Il n’en croyait pas ses oreilles. Ne pouvant m’aider lui-même en tant que médecin généraliste, il m’a recommandé un psychiatre. Denis n’y va pas de gaieté de cœur, mais c’est un début. Je continue à y croire et à lui faire confiance. Pour moi, cette situation durera tout au plus quelques années. Mais, Denis a la vie devant lui ; et il est et restera toujours mon fils. L’enjeu est de taille.
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