Des adolescents, on en voit partout. La publicité leur réserve ses meilleurs spots. Des « restos » d’un type nouveau se sont ouverts pour eux… Des boutiques, des magasins, une mode pour adolescents : il y a cent ans, c’était impensable. Pourquoi? Réponse : tout simplement parce qu’il n’y avait pas d’adolescents. Cette réponse à l’emporte-pièce semble heurter le « bon sens » et l’évidence. Il y a toujours eu, diriez-vous, des jeunes, des personnes qui avaient 15, 16, 17 ans. Bien sûr. Si on s’en tient strictement à la notion d’âge, oui, il y a toujours eu des jeunes. Par contre, tout un ensemble de caractéristiques liées à cet âge sont d’apparition très récente. Et quand ces caractéristiques n’existaient pas, on ne distinguait pas, socialement, un jeune de 15, 16 ans du reste de la population adulte.
Adolescent, dis-moi qui tu es…
D’ailleurs en voici un bon exemple. En 1884, quand la loi belge a obligé chaque commune à organiser un enseignement primaire pour les « enfants en âge d’école », un parlementaire pose la question : « – Et qu’est-ce qu’on appelle âge d’école? ». A quoi on lui répond : en 1842, c’était de 7 à 14 ans, en 1879 c’est de 6 à 14 ans. Or, cette même loi autorise les communes à organiser également des écoles qui précèdent l’enseignement primaire (écoles gardiennes) et des écoles qui suivent l’enseignement primaire. Celles-ci sont appelées des « écoles d’adultes ». Ainsi, l’enseignement secondaire qui s’adresse à ceux qui ont dépassé « l’âge d’école » est considéré alors comme formants des « adultes ». Pas d’adolescence donc dans cette conception. On passe directement de la catégorie des 6-14 ans à celle des adultes.
Aujourd’hui, par contre, l’adolescence occupe le devant de la scène. Psychologues, sociologues, enquêteurs divers, examinent, regardent, auscultent, interrogent les adolescents. « Qui êtes-vous? Que faites-vous? Quels sont vos goûts et vos idées? Vos projets surtout : allez-vous changer le monde ou au contraire, êtes-vous encore plus conservateurs – consommateurs que les générations passées? » Toutes ces questions intriguées ou même un peu angoissées, montrent qu’il s’est creusé une distance entre les adultes et les jeunes.
Une question de distance.
Et c’est le psychologue hollandais, J.H. Van den Berg qui, le premier, a merveilleusement analysé comment cette distanciation a d’abord contribué à la découverte de la spécificité de l’enfance puis, plus tard, à celle de l’adolescence. Vers la fin des années 50, il évoquait déjà cet étirement de l’adolescence en « post-adolescence », sujet qui est à la « une » aujourd’hui, parce que, à cause de la crise notamment, se produit un retard dans l’accès à la vie adulte.
Les sociétés primitives, elles, décident que l’accès à l’âge adulte doit se réaliser à travers un « rite » de passage, l’initiation. Avant celle-ci les individus font partie du monde des enfants. Après, ils font partie du monde des adultes.
Dans nos sociétés évoluées, il n’en va pas de même. Il y a toute une série d’attributs de l’âge adulte que l’on acquiert lentement, voire de plus en plus lentement, au cours de l’adolescence. Lorsque l’acquisition de ces attributs est terminée, l’individu est assimilé aux adultes.
Ainsi, pour définir l’adolescence, il nous faut repérer tout ce qui aujourd’hui nous paraît spécifique de l’âge adulte et dont le « manque » caractérise précisément cette période de la vie. Pour mener à bien cette analyse, il faut d’abord renoncer à identifier l’adolescence à la puberté. Renoncer donc aux tentations du biologisme. Il est, en effet, très facile de montrer que la société n’assimile pas adultes et pubères et que d’autre part la puberté, elle-même, s’est modifiée au gré de notre conception de l’adolescence. Mais il faut aussi montrer la valeur spécifique de ce « manque ». C’est donc le manque qui stimule, qui engendre le désir, que l’indétermination relative rend plus facile l’exercice de la liberté.
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