La violence

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Document 11 : Violence, guerre et paix, le point de vue des religions.

Catholicisme.
La paix n’est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à assurer l’équilibre de forces adverses. Elle ne provient pas non plus d’une domination despotique, mais c’est en toute vérité qu’on la définit « œuvre de justice » (Isaïe 35, 17). Elle est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin Fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’aspirer à une justice plus parfaite (…)
(…) La paix dont nous parlons ne peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde du bien des personnes ni sans la libre et confiante communication entre les hommes des richesses de leur esprit et de leurs facultés créatrices. La ferme volonté de respecter les autres hommes et les autres peuples ainsi que leur dignité, la pratique assidue de la fraternité sont absolument indispensables à la construction de la paix. Ainsi la paix est-elle aussi le fruit de l’amour qui va bien au-delà de ce que la justice peut apporter.
La paix terrestre qui naît de l’amour du prochain est elle-même image et effet de la paix du Christ qui vient de Dieu le Père. Car le Fils incarné en personne, prince de la paix, a réconcilié tous les hommes avec Dieu par sa croix, rétablissant l’unité de tous en un seul corps. Il a tué la haine dans sa propre chair et, après le triomphe de sa Résurrection, il a répandu l’Esprit de charité dans le cœur des hommes.
(…) Il est donc clair que nous devons tendre à préparer de toutes nos forces ce moment où, de l’assentiment général des nations, toute guerre pourra être absolument interdite. Ce qui, assurément, requiert l’institution d’une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d’une puissance efficace, susceptible d’assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits. Mais avant que cette autorité souhaitable puisse se constituer, il faut que les instances internationales suprêmes d’aujourd’hui s’appliquent avec énergie à l’étude des moyens les plus capables de procurer la sécurité commune.
Concile Vatican II, Constitution sur l’Eglise dans le monde de ce temps, n°78, 82.

Orthodoxie.
Hélas, dans le monde orthodoxe aussi bien que dans l’Occident chrétien, l’histoire tourmentée des chrétientés historiques, des sociétés dites chrétiennes, est celle d’un contre-témoignage évangélique manifestant l’incapacité des chrétiens à vivre leur vocation à la non-violence pourtant clairement affirmée par le Christ dans l’Evangile. Par contre, si nous méditons les œuvres des Pères spirituels de l’orthodoxie, si nous regardons de près comment ils ont vécu, nous apercevons avec une évidence combien une vie chrétienne divinisée par le Saint-Esprit est une existence totalement étrangère à toute forme de violence. Et le plus beau texte qui puisse être cité sur ce sujet est sans doute le suivant, de Saint Isaac le Syrien (VIIe siècle) : « … Qu’est qu’un cœur compatissant ? … c’est un cœur qui brûle pour toute la création, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour les démons, pour toute créature. Lorsqu’il pense à eux, et lorsqu’il les voit, ses yeux versent des larmes. Si forte et si violente est sa compassion, et si grande est sa constance, que son cœur se serre et qu’il ne peut supporter d’entendre ou de voir le moindre mal ou la moindre tristesse au sein de la création. C’est pourquoi il prie en larmes à toute heure pour les animaux sans raison, pour les ennemis de la vérité et tous ceux qui lui nuisent, afin qu’ils soient gardés, et qu’ils soient pardonnés. Dans l’immense compassion qui se lève en son cœur, sans mesure, à l’image de Dieu, il prie même pour les serpents. »
Selon les canons de l’Eglise orthodoxe, un homme qui a tué, même à la guerre, ne peut être ordonné au ministère sacerdotal. Faire la guerre peut être inévitable – c’était le devoir d’un chrétien de s’opposer au nazisme – mais elle n’en demeure pas moins un mal intrinsèquement dans la mesure où il y a quelque chose de déicide, pourrait-on dire, dans le fait de donner la mort à une personne humaine, c’est-à-dire à un être qui porte en lui l’empreinte divine, l’image de dieu, qui est préconstruit pour être déifié par la communion à Dieu. Nos Pères dans la foi avaient la conscience la plus vive de cette vocation de l’homme. C’est ainsi que le treizième canon de saint Basile de Césarée, dans sa lettre à Amphiloque d’Iconium, affirme : « Les meurtres commis pendant les combats de la guerre, nos pères ne les ont pas considérés comme des meurtres, excusant par là, me semble-t-il, ceux qui ont pris la défense de la justice et de la réflexion. Il serait cependant bien de leur conseiller de s’abstenir de la communion pendant trois ans, parce qu’ils n’ont pas les mains pures. »

Protestantisme.
(Les textes bibliques) nous permettent de définir une ligne de conduite qui peut se résumer ainsi :
L’homme naturel est méchant. Le chrétien n’a pas à fermer les yeux sur ce fait et à être naïf. Seules la conversion et la nouvelle naissance peuvent changer ces dispositions mauvaises et faire ne sorte que le méchant puisse devenir un violent qui s’empare du Royaume de Dieu. C’est pourquoi le combat essentiel du chrétien consiste à appeler les hommes à la repentance pour que la grâce de Dieu puisse changer les dispositions du cœur, même le plus endurci, comme ce fut le cas pour Paul, qui reconnaissait lui-même qu’il avait été un homme violent.
Il faut donc s’attendre à ce qu’il y ait agression et violence. Cela fait partie du monde déchu. Pour tempérer les effets de cette méchanceté, Dieu a institué des autorités pour défendre le droit et les faibles. Quand les autorités accomplissement cette tâche, le chrétien a alors à leur être soumis. Si le chrétien est témoin de l’agression d’un faible, il n’aura aucun scrupule à se porter à son secours pour chercher à neutraliser l’agresseur, le but étant uniquement de le mettre hors d’état de nuire pour protéger l’agressé. Il n’est pas question de se venger ni de venger la victime. Enfin, en ce qui le concerne personnellement, il semble que la Bible ne lui interdise pas de chercher à dissuader un agresseur qui menacerait sa personne physique.
Par contre, le chrétien tentera toujours de résoudre, autant que faire se peut, les conflits par des moyens pacifiques. Il évitera, pour sa part, de se laisser entraîner dans un cycle de violence, il sera miséricordieux envers ses ennemis, laissant à Dieu le soin de juger sans pour autant user de compromis avec les méchants. Il s’agit certes là, d’une ligne de crête difficile à tenir, mais en agissant de cette manière, le chrétien sera vraiment fils du Père, qui est dans les cieux et, au milieu d’un monde corrompu, la manifestation d’une réalité tout autre, celle de la justice insondable de Dieu qui sera pleinement manifestée au dernier jour.
Pasteur Jean-Marc Thobois, Expériences, n° 81, 1er trimestre 1991.

Judaïsme.
Dieu n’est pas l’inspirateur de la violence. Au premier chapitre de la Genèse, dans le récit de la création, au terme de chaque « jour », Dieu voit ce qu’il a fait et « c’était bon », dit le texte. C’est ainsi du 1er au 5ème jour. Mais le 6ème jour, après la création de l’homme, le texte dit : « C’était très bon. » Dans le Talmud, un disciple s’étonne de ce superlatif : « Comment peut-on dire c’était très bon, avec tous ces massacres, toutes ces guerres… ? » Le maître lui répond : « C’est ce que Dieu a fait qui est très bon. Ce sont les hommes qui font les guerres. Dieu ne les pousse pas à faire la guerre. »
Le mot Shalom, Paix, revient des centaines de fois dans la Bible. La paix est le plus grand bien et c’est ce que Dieu veut pour l’homme, ce vers quoi il le dirige. Nous n’attendons pas le Messie, nous attendons les temps messianiques où les hommes s’accepteront mutuellement et ne se feront plus la guerre… lorsque le loup habitera avec l’agneau.
La Torah demande d’aimer son prochain comme soi-même. Si l’on considère l’autre comme soi-même, on ne le jugera pas ou on lui trouvera des circonstances atténuantes. Le Talmud dit : « Tu seras jugé comme tu as jugé le prochain. » Et Hillel a dit : « Ne juge ton prochain que lorsque tu seras à sa place. » « Lorsque l’étranger viendra résider chez toi, tu ne le molesteras pas. Tu le considéreras comme étant quelqu’un de chez toi. » Le précepte « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » concerne le prochain quel qu’il soit, jaune, blanc ou noir… pauvre ou faible, croyant ou incroyant.

Islam.
En ce qui les stéréotypes de l’expansionnisme musulman ou de la guerre sainte, il convient de distinguer le message coranique de ses interprétations historique. La seule référence coranique concernant la guerre est la sourate 25, 52 : « Lutte contre eux avec force au moyen du Coran. » Le mot « force » peut évoquer la force armée, mais il s’agit d’abord d’un apostolat résolu, énergique, non du bout des lèvres. Ce texte incite à un apostolat de conviction. L’expansion de l’islam a été une expansion religieuse, non une expansion coloniale. Nulle part il n’est écrit d’exterminer ceux qui ne croient pas. Le Coran dit uniquement : « Combattez jusqu’à ce que la Parole de Dieu ait le dessus et que la parole du polythéisme ait le dessous. »
On peut interpréter cette parole de deux façons : soit « combattez » avec les armes, soit « combattez » dans la discussion philosophique. Une exégèse plus fidèle à l’esprit du Coran consisterait à l’interpréter dans le sens de l’apostolat de la parole et de la conviction : « Faites en sorte que la parole de dieu soit la plus forte, la plus convaincante, que son illustration soit la mieux perçue, la plus vivante. »
En islam, il n’existe pas de théologie de la violence ni de la guerre. Selon le Coran, la lutte armée n’est légitime que pour se défendre des agressions. Elle ne doit jamais se porter contre les femmes, les enfants, les vieillards, les impotents, les religieux. Tout ceci est spécifié dans les traités de droit public (cf. Mawardi, Les statuts gouvernementaux, Le Sycomore). En ce domaine, la notion de Fasâd est très importante. La création de Dieu est à respecter. Tout acte qui lui porte atteinte est objet de Fasâd. Il importe de ne pas perturber ni corrompre la nature.

Le bouddhisme.
La violence est l’attitude foncière de l’ego qui se traduit dans ses passions de base que sont l’attraction, la répulsion et l’indifférence auxquelles correspondent les trois poisons de l’esprit : le désir, la colère et l’ignorance.
La violence s’enracine dans la colère. Elle est le résultat de conflits intérieurs irrésolus, d’un profond aveuglement mental qui, en aval, ne peut amener que des activités négatives et destructrices. La guerre est l’expression finale des passions égoïstes qui, dans leur ultime développement, ne visent qu’à détruire l’autre. L’attitude juste ne vise pas à nier ou à fuir les conflits, mais elle évite en toute circonstances la guerre qui est source de souffrances tant pour autrui que pour soi-même.
Le dharma n’a jamais prôné la guerre et ne la justifie en aucun cas. La non-violence fondamentale est aussi véritable compassion. L’authentique guerrier « sacré » est celui qui a le courage de s’ouvrir aux autres en quête de la dissolution de ses attitudes passionnelles. Toutefois, il ne s’agit certainement pas de refuser l’ego ou de partir en guerre contre lui, mais plutôt de se réconcilier avec soi-même et avec les autres dans une attitude d’ouverture non-violente respectueuse de la vie et soucieuse du bien de tous les êtres.