La mort : vivre et mourir

posted in: Chapitre 3, Religion 4ème | 0

Compétences : Elargir à la culture / Pratiquer le questionnement philosophique.

Document 11 : Réflexions philosophiques.

Vivre, c’est se projeter vers le monde et vers les autres mais aussi se savoir voué à la mort.

La vie est une aventure.

L’être humain éprouve des besoins, satisfaits provisoirement par la consommation. Il est aussi un être désirant. Infini, son désir est de l’ordre de l’être plus, alors que le besoin appartient au registre de l’avoir. Le désir se porte dans trois directions : la relation au monde, la relation à autrui, la relation à la transcendance (y y a-t-il quelque chose ou quelqu’un qui dépasse l’existence humaine ?).

Joies et épreuves balisent cette aventure. Les souffrances y sont de petites morts : l’être humain y perd son souffle, il doute de l’avenir, le goût de la conquête l’abandonne. Provisoirement ? Les maladies, les accidents, la mort d’êtres chers lui rappellent, s’il l’avait oublié dans ses moments d’euphorie, que l’existence humaine est précaire. Son désir d’être plus se heurte à ce que les philosophes appellent la finitude, dont la mort est la constituante majeure.

Parcours philosophiques succinct.

Platon ( 5ème siècle av. J.C. – lire en particulier la mort de Socrate dans le Phédon, 114 E-118) pense qu’il faut traverser l’expérience quotidienne, les réalités offertes aux sens. Cette démarche exige, de la part de l’être humain, une conversion et une ascension vers la réalité idéale : le monde des idées éternelles, dont le monde sensible n’est qu’une pâle copie. L’âme humaine a connu ce monde avant de chuter dans le corps (cf. l’allégorie de l’attelage dans le Phèdre). Toute l’odyssée humaine consiste à s’en ressouvenir au cœur de trois expériences centrales : la rencontre de la beauté, de l’amour et de la mort. Pour Platon, la mort est donc un événement heureux, libérant.

Epicure (341-270 av. J.C.) montre, dans sa Lettre à Ménécée, que la mort est un fait à constater. Après elle, aucun arrière-monde consolant ou inquiétant. Le sens de la vie s’épuise à chercher le bonheur au jour le jour et à se montrer serein aux approches des derniers moments de l’existence.

La loi morale inconditionnelle : « Tu prendras autrui comme fin et jamais comme moyen », qui devrait rendre possible un monde rationnel et fraternel où chacun s’accorderait avec autrui d’une manière minimale dans le respect et la promotion de la liberté de tous et de chacun, conduit Emmanuel Kant (1724-1804) à croire en un au-delà de la mort. Dans la Critique de la raison pratique, il postule l’existence d’un Dieu Juge et l’immortalité de l’être humain. Pourquoi ? En raison de sa claire conscience que la réalisation du bien n’est jamais parfaite sur terre. C’est donc l’expérience douloureuse et mortifiante des limites de l’action humaine, même de bonne volonté, qui le pousse à croire en une transcendance.

Schopenhauer, philosophe allemand (1788-1860), quant à lui, méprise les biens matériels. Son pessimisme lui octroie un regard sans complaisance sur le monde. Selon lui, le monde n’est qu’une illusion douloureuse ou plutôt, il n’existe qu’en fonction de la représentation que nous nous en forgeons. Dans « Le monde comme volonté et comme représentation », il explique que la mort est proprement le génie inspirateur de la philosophie et que sans la mort, il n’y aurait sans doute pas de philosophie. Pour lui, la certitude effarante de la mort est apparue chez l’homme avec la raison. La mort est tout simplement la grande leçon infligée par le cours des choses à la volonté de vivre, et plus intimement encore à l’égoïsme qui en est un élément essentiel : on peut la concevoir comme un châtiment de notre existence.

Au 19e siècle, Karl Marx (1818-1883) publie les Manuscrits de 1844. On y trouve quelques réflexions et propositions concernant la mort. Pour lui, celle-ci n’est un malheur radical que pour ceux qui se considèrent comme le centre du monde. D’autre part, il estime que le désir personnel d’immortalité est le fruit de l’individualisme issu du capitalisme. Enfin, l’élimination, par la révolution, des morts injustes dues aux mauvaises conditions d’existence et de travail du prolétariat est pour lui une urgence.

M. Heidegger (1889-1976) souligne que l’être humain aurait très bien pu ne pas exister et que le retour au néant le menace continuellement. La conscience de sa transitivité sur terre, quand il accepte de la laisser affleurer au lieu de se « divertir » et de se perdre en bavardages, génère, chez lui, l’angoisse : sentiment de l’exposition fragile du soi, de son insécurité permanente. C’est à un retournement que le philosophe allemand invite ses contemporains. Ceux qui en acceptant la gageure se tiennent ouverts à l’Etre, réceptifs au sens caché des choses. La sérénité est leur récompense. Si vraiment l’être humain est un être-pour-la-mort, sa condition est tragique. N’est-elle pas paralysante ? Non ! L’homme doit l’assumer et c’est là qu’il se montre authentique, en rupture avec le « on » de la banalité quotidienne qui se voile la mort et qualifie l’angoisse de lâcheté.

Dans le droit fil de l’existentialisme heideggérien, Jean-Paul Sartre (1905-1980) dit que si l’être humain est en perpétuel dépassement de lui-même et, à ce titre, libre, il est précipité dans l’existence, parmi les choses, sans l’avoir voulu. La conscience de cette déréliction est admirablement décrite dans la Nausée. Le philosophe ne cède pas au sentiment d’absurdité. Ses Cahiers pour une morale explicitent des thèmes qui lui sont chers : l’angoisse de la précarité de l’existence et de l’imminence de la mort est mère de l’engagement à créer un monde habitable pour soi et pour les autres ; de même qu’elle engendre la prise de responsabilités, toujours risquée, en faveur de la promotion de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme.

Alors éclot la joie : l’être humain s’assume, se considère comme une chance ; un monde plus juste peut se construire à cause de lui : « L’homme se trouve héritier de la mission du Dieu mort : tirer l’Etre de son effondrement perpétuel dans l’absolu » (extrait de Cahiers pour la morale).