Vivre, mourir, revivre

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Document 19 : Aux frontières de la mort et de la conscience.

Les expériences de mort imminente ont longtemps fait l’objet de théories ésotériques en tous genres. Depuis plusieurs années cependant, des témoignages surprenants suscitent l’intérêt croissant de neuroscientifiques qui explorent la conscience humaine.

Un jour, ils ont frôlé la mort et, dans cette situation de danger réel ou émotionnel, ils ont vécu une expérience extraordinaire. Ceux qui témoignent de cette « expérience de mort imminente » (EMI) évoquent la vision d’une lumière brillante au bout d’un tunnel, un sentiment de bien-être intense, la sensation d’avoir existé en dehors de leur corps, la rencontre avec des proches décédés et une vision accélérée des épisodes de leur vie. Des récits étonnants, qui font l’objet de recherches neuroscientifiques de plus en plus nombreuses et extrêmement pointues.

Les progrès techniques réalisés ces dernières années en neuro-imagerie pourraient permettre de visualiser d’éventuelles « cicatrices » laissées sur le cerveau des personnes ayant vécu cette expérience. Neuropsychologue et aspirante FNRS au sein du Coma Science Group de l’Université de Liège, Vanessa Charland-Verville explique : « Nous disposons d’un questionnaire – l’échelle de Greyson – qui permet d’identifier avec certitude les cas d’EMI parmi les témoignages que nous recevons. Leur recueil nous permet de constater que les EMI n’ont rien d’un rêve ni d’un événement imaginé. Un processus cérébral localisé et généralisé semble s’enclencher lorsque des individus se retrouvent proches de la mort ou dans une situation de danger psychologique ou émotionnel. Des études ont montré que l’activation d’une partie du cerveau – la jonction temporo-pariétale droite – serait liée aux perceptions extracorporelles rapportées par les « expérienceurs » d’une EMI. Une grande partie de notre travail consiste à recueillir et étudier des liens entre les phénomènes décrits et les traces que nous pouvons déceler sur les images du cerveau. »

Bien souvent, les « expérienceurs » – comme les nomment les chercheurs – gardent le silence pendant des années avant d’oser se confier. « Les EMI ont longtemps été associées à bon nombre d’idées farfelues, explique Vanessa Charland-Verville. Ceux qui l’ont vécu ont parfois peur d’en parler, craignant de passer pour des illuminés. Les témoignages que j’entends me fascinent et me touchent beaucoup. Tous les « expérienceurs » semblent vivre plus ou moins la même chose et pourtant, cela reste encore tabou… En plus de cette crainte d’être jugé ou incompris, il y a aussi la difficulté de mettre des mots sur cette expérience hautement spirituelle et profondément transformatrice pour tous ceux qui l’ont vécue. »

Pim Van Lommel, cardiologue aux Pays-Bas, a interrogé des centaines de témoins, deux puis huit ans après leur EMI. Son étude montre que tous les sujets ayant vécu cette expérience ne craignent plus la mort. Depuis lors, la plupart croient fermement en une « vie après la vie », pour citer le premier ouvrage scientifique publié sur le sujet par le Dr Raymond Moody. A côté de ces changements significatifs sur le plan spirituel et/ou religieux, le Dr. P. Van Lommel remarque également une révision de l’échelle de leurs valeurs : un intérêt plus marqué pour le sens de la vie et l’adoption de comportements davantage altruistes et bienveillants. Cette évolution de pensée se concrétise dans leur vie quotidienne, par exemple par la réorientation de leur carrière professionnelle.

Ces expériences prouvent que des patients déclarés cliniquement morts continuent à vivre dans un état de conscience dit « altéré ou modifié » (ndlr : cet état mental diffère de l’éveil normal en termes de perception de soi et de l’environnement [hypnose, méditation, rêve…]). Si le cœur et la respiration sont effectivement à l’arrêt de façon transitoire chez ces patients, ceux-ci ne sont pas en état de « mort cérébrale » pour autant, comme l’explique Vanessa Charland-Verville : « La question d’une vie éventuelle après la mort implique d’abord de bien s’entendre sur la définition du concept de « mort ». Il faut distinguer l’état de « mort clinique » (arrêt des fonctions cardiaques et respiratoires) et l’état de « mort cérébrale » (arrêt des fonctions neurologiques). Selon les critères de l’Académie américaine de neurologie, les patients dont les fonctions neurologiques se sont arrêtées et qui reçoivent un diagnostic de mort cérébrale ne reviennent jamais à la vie. Chez les personnes ayant vécu une EMI, les fonctions neurologiques ont été altérées et réduites mais elles n’ont pas cessé de fonctionner. Par conséquent, ces expériences ne permettent aucune affirmation, positive ou négative, concernant l’éventualité d’une vie après la mort. Le phénomène d’EMI ne doit pas être considéré comme une preuve absolue et irréfutable de ce qu’il se passe « après ». On ne saura jamais ce qu’il se passe après la mort tant que nous ne franchiront pas nous-mêmes cette ultime étape. Chaque témoin apporte une signification à son expérience qui lui est personnelle. La question d’une vie après la mort n’est pas celle qui nous intéresse dans nos recherches. Nous étudions les EMI afin de mieux cerner les fonctions cognitives et neurologiques à l’approche de la mort, pour enrichir nos connaissances de la conscience humaine. »

Dans un article intitulé « Expériences de mort imminente : phénomènes paranormaux ? », Steven Laureys, professeur de neurologie et directeur de recherches FNRS au Coma Science Group, résume les trois grandes théories avancées aujourd’hui pour expliquer l’origine des EMI. D’abord, les théories spirituelles ou transcendantales. D’après elles, l’esprit (ou l’âme) serait immatériel et pourrait dès lors être séparé du coprs physique. Les EMI seraient dans ce cas une sorte d’avant-goût du monde spirituel qui nous attend dans l’au-delà. Ensuite, l’approche psychologique. La théorie la plus courante attribue l’apparition de ces phénomènes à un mécanisme de défense inconscient. L’individu se sentant menacé de mort vivrait une forme de dépersonnalisation (sentiment de perte du sens de la réalité) engendrant une propension à focaliser son attention sur des expériences sensorielles sélectives ou imaginaires (sensation de quitter son corps). Cette explication psychologique est contestée par plusieurs auteurs qui ne voient aucune forme de dépersonnalisation dans le récit des témoins dans la mesure où ceux-ci ne perdent pas la notion de leur identité mais associent difficilement leurs sensations corporelles à leur identité. Enfin, les théories neurologiques. Certains auteurs supposent un rôle important de l’anoxie (diminution importante de la quantité d’oxygène distribuée par le sang aux tissus). Les recherches les plus récentes mettent en avant un dysfonctionnement du cortex temporo-pariétal. Mais, les hypothèses proposées n’expliquent pas l’entièreté des symptômes d’une EMI.

Parmi les phénomènes inexpliqués à ce jour, il y a le fait que certains « expérienceurs » ont rapporté des détails très surprenants de leur réanimation puisqu’ils étaient inconscients. Des éléments qu’ils n’ont pas pu voir ni entendre, et dont ils font mention avec suffisamment de justesse pour susciter l’intérêt de plusieurs chercheurs. Pour la première fois en France, une étude pilote est menée actuellement en Dordogne à l’Hôpital de Sarlat. Une enveloppe opaque contenant un objet choisi et mise sous scellé par huissier a été collée dans différents services accueillant des patients susceptibles de vivre une EMI (anesthésie – réanimation, soins intensifs). L’objectif est de vérifier si un patient vivant une EMI parvient à percevoir le contenu de l’enveloppe pendant cette expériecne. En deux ans, cinq EMI ont été recensées dans cet hôpital sans qu’aucun « expérienceur » n’ait été capable de détailler le contenu de l’enveloppe. L’expérience se poursuit… .

Depuis plus de 30 ans, les EMI font l’objet de recherches pluridisciplinaires dans le monde entier, qui soulèvent des questions essentielles. Nos connaissances actuelles du fonctionnement du cerveau sont-elles réductrices comparé à ses facultés réelles ? Le corps et l’esprit fonctionnent-ils indépendamment l’un de l’autre ? L’âme existe-t-elle, et si oui, survit-elle à la mort du corps physique ? Nul ne le sait, actuellement, mais des chercheurs s’y attèlent avec rigueur et ouverture.