Dire oui au bien et non au mal

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Document 14 : L’expérience de l’Eglise.

L’homme créé par Dieu est un être libre, social, apte à dominer le monde, et capable d’en répondre devant Dieu. Au cours des siècles, l’Eglise a approfondi le message de la Bible. Il en découle des affirmations fortes, toujours neuves à entendre. C’est parce que l’homme assume sa responsabilité qu’il est libre.
Dès la première Alliance, l’homme est placé par Dieu dans un statut d’être responsable, dont les actes marquent la détermination à honorer Dieu. La nouvelle Alliance proposée par le Christ accentue encore cette idée. Tout être humain qui donne sa foi au Christ devient son frère et est ainsi cohéritier de la promesse. « L’Esprit atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Enfants et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ… » (Rm 8, 17). Les termes d’enfant et d’héritiers expriment bien le type de relation qui nous unit désormais au Père par le Fils : la dignité, la gravité de toute vie humaine sont désormais fondées sur cette solidarité que le Fils a manifestée avec nous, au point de nous entrer dans la relation qui l’unit au Père.
Par le baptême, nous sommes rendus participants du sacerdoce du Christ, prêtre prophète et roi. C’est ce que rappelle le prêtre lorsqu’il pratique l’onction du saint-chrême sur le nouveau baptisé. Cette onction d’huile, qui rappelle l’intronisation des rois, révèle la dignité immense de tout baptisé. Il est, avec le Christ, dans le Christ, en ce monde, prêtre, prophète et roi. Prêtre, car il participe à la prière du Christ pour le monde et à son ministère de sanctification du monde. Prophète, il prend part à la mission de prédication du Christ, il a, avec lui, la charge de l’annonce de la Parole de salut dans le monde. Roi, avec le Christ, il participe à la mission confiée à l’origine à Adam, mission de gouvernement, d’organisation de la société et du monde, mission de justice à l’égard de la communauté humaine.
Dans la vie chrétienne, le sacrement de confirmation pourrait être présenté comme celui de la responsabilité. Ce sacrement de la présence en nous de l’Esprit Saint rend perceptible la manière dont Dieu nous propose de vivre en ce monde. Il nous rappelle que nous ne sommes pas seuls dans la vie, que notre manière d’agir doit être marquée avant tout par l’écoute : écoute des autres, écoute de Dieu dont l’Esprit nous guide, nous accompagne. La confirmation nous rappelle aussi que la présence de Dieu en nous est discrète et impalpable, ne se substituant jamais à notre conscience. L’Esprit du Seigneur éclaire et fortifie notre capacité à prendre des responsabilités, sans les prendre à notre place.
Lors de la célébration de la confirmation, l’évêque prie ainsi, en imposant les mains sur les confirmands : « Donne-leur en plénitude l’Esprit qui reposait sur ton Fils Jésus : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et d’affection filiale ; remplis-les de l’esprit d’adoration. » Conseil, intelligence, sagesse, relation confiante à Dieu : les dons de l’Esprit Saint sont offerts pour soutenir une vie chrétienne adulte, pour donner à la conscience les moyens de discerner ce qui est bon.
La confirmation est le sacrement de la fermeté, de la force que donne l’Esprit pour oser assumer les exigences de la vie chrétienne, de la vie morale comme du témoignage apostolique.

Un équilibre entre deux extrêmes.

La question de la responsabilité permet de réfléchir à l’équilibre à atteindre dans la vie morale, spirituelle et même psychologique. Quand je cherche à mesurer la part de responsabilité que j’exerce sur ce qui m’arrive, je suis tenté par deux extrêmes : « Je suis tout-puissant, absolument maître de tout ce qui je vis » ou : « Je ne maîtrise rien, je suis le jouet des événements, je suis une perpétuelle victime. » Devant les mises en question contemporaines de la responsabilité éthique, la foi chrétienne n’incite pas à les nier en écartant le danger d’un revers de main. Parallèlement, elle n’invite pas non plus à trouver des excuses en ôtant à chacun toute responsabilité. Reconnaître des facteurs extérieurs ou qui échappent à ma volonté, ce n’est pas déclarer que je n’ai aucun moyen d’agir par moi-même. Il ne s’agit pas de gommer la réalité des influences mais bien plutôt de repérer les limites qu’elles posent à ma liberté. Ainsi, si ma liberté est réelle, elle n’est pas moins contingente. Reconnaître que ma responsabilité est limitée, ce n’est pas la réduire, c’est la délimiter pour mieux la percevoir et l’exercer de manière juste.
Il y a là un enjeu majeur de la vie spirituelle : découvrir le bonheur d’être une créature, ni Dieu, ni rien, entre la toute-puissance et l’inexistence. C’était bien le problème d’Adam et Eve. Ils n’ont pas pu admettre que le bonheur résidait dans ce statut de créature ou d’intendant de Dieu. Et ils ont été séduits par l’idée qu’en ne respectant pas l’interdit placé par Dieu, ils deviendraient comme lui. Dans un raccourci saisissant, au moment où Adam et Eve s’attendent, en mangeant le fruit interdit, à devenir comme des dieux, le texte nous dit : « Ils virent qu’ils étaient nus. » Ayant voulu être comme Dieu, ils ne découvrent que leur fragilité.
Il faut à l’homme une réelle conversion du cœur pour admettre que sa liberté n’est pas à conquérir contre Dieu. A différentes époques, mais tout particulièrement chez les philosophes du XVIIIe siècle, on a pensé que la liberté de l’homme était menacée par la volonté toute-puissance de Dieu, ce qui entraînait forcément le désir de se révolter contre lui, de conquérir sa liberté humaine aux dépens de la volonté divine. Ne sommes-nous pas comme les Hébreux en Egypte, toujours disposés à considérer Dieu comme un garde sévère dont il faut chercher à tout prix à se libérer ? Notre conception toujours un peu possessive de l’amour nous incite à croire spontanément que Dieu ne peut prendre plaisir à voir l’homme libre. Et, pourtant, le propre de l’homme – créé à l’image de Dieu – est de pouvoir se déterminer librement à l’égard de ce qu’il doit accomplir. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », disait saint Irénée, c’est l’homme debout.

Le Christ invite à la liberté.

Dans les rencontres faites par Jésus et qui nous sont rapportées par les évangélistes, une place importante est laissée à la liberté. Avant de guérir un malade, Jésus le laisse parler, lui demande d’exprimer sa demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Et lorsqu’il appelle quelqu’un à le suivre, il le fait en respectant sa liberté, sous le mode de l’invitation. « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui et lui avec moi. » (Ap 3, 20.) Le don de Dieu ne s’impose pas comme une force irrépressible, il est proposé et chacun est libre de l’accepter ou de le refuser. L’évangile nous présente des exemples d’hommes qui, comme le jeune homme riche, ne répondent pas à l’invitation, exercent leur responsabilité en refusant de suivre ce que le Christ propose.
D’autres situations sont à cet égard éclairantes, à l’image de ces épisodes où les évangélistes nous montrent Jésus renvoyant les gens à leur propre responsabilité. Le charisme de Jésus, la puissance qu’il semble exercer sur le mal incitent nombre de personnes à se tourner vers lui. Celles-ci lui font part de leurs problèmes et de leurs besoins avec l’espoir que Jésus les sorte de leurs situations difficiles. Mais pour le Christ, ces demandes ressemblent trop à une démission. Elles se présentent comme une requête qui vise à demander au Fils de l’Homme de régler les problèmes des hommes à leur place. En conséquence, Jésus refuse de répondre et d’assumer une responsabilité… par procuration. L’attitude du Christ devrait nous mettre en garde contre toute tentation de demander à Dieu d’être responsable à notre place. » Seigneur, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage… Qui m’a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? » (Lc 12, 13-14). « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » (Lc 9, 13)
Enfin, il faut souligner que cette liberté et cette responsabilité humaines ne sont pas, pour Jésus, acquises une fois pour toutes : elles sont en devenir, elles ont à croître en l’homme. « Si vous gardez ma parole, vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » (Jn 8, 32). La Parole de Dieu faisant en nous son chemin nous rend libres. Elle nous permet de devenir libres. Elle nous permet de devenir de plus en plus aptes à devenir libres et responsables. Laisser Dieu éclairer nos vies, laisser sa Parole façonner nos jugements, ce n’est pas abdiquer pas à pas sa responsabilité à son profit. Ce n’est pas disparaître de son existence en cherchant à être transparent. Bien au contraire, c’est être rendu capable par Dieu de faire le bien, être rendu libre pour faire ce qui est beau et bon. Le don de Dieu n’écrase pas l’être humain, il le met debout le rend capable d’agir.

Homme « à l’image de Dieu », donc responsable.

Lorsqu’il médite sur le mystère de Dieu et sur le mystère de l’homme, saint Thomas d’aquin (+ 1274) souligne qu’il faut comprendre l’expression de la Genèse : « l’homme a été créé à l’image de Dieu » par le fait qu’il est « doué d’intelligence, de libre-arbitre et d’un pouvoir d’action qui lui appartient en propre. » Si Dieu est libre et maître de ses actes, alors l’homme, créé à son image, est lui aussi libre et maître de ses actes. Beaucoup d’auteurs chrétiens ont donné des interprétations diverses de la création de l’homme à l’image de Dieu, mais celle-ci, placée par saint Thomas en prologue de son grand traité de théologie morale, souligne bien le lien essentiel qui existe, pour les chrétiens, entre leur foi en un Dieu créateur et leur morale, entre leur foi en Dieu et leur confiance en l’homme et ses capacités. D’autre part, cela souligne que la liberté et la responsabilité humaines ne sont pas à revendiquer contre Dieu, comme s’il fallait lutter contre l’emprise de Dieu pour être libre. Elles sont au contraire la gloire et la dignité de l’homme, puisqu’elles manifestent qu’il ressemble à son créateur.