Dire oui au bien et non au mal

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Document 6 : Découvrir sa part de responsabilité.

Entre le rejet de toute responsabilité et une culpabilité envahissante, il existe une place pour une responsabilité bien comprise, jamais facile à délimiter, jamais dépourvue d’ambiguïté, mais qui est l’écho de nos choix profonds.
Lorsqu’un événement grave se produit, il est toujours beaucoup question de responsabilité et de culpabilité. Mais, peut-on aujourd’hui encore envisager que la culpabilité puisse être une bonne chose ? Ne fait-elle pas partie de cet ensemble de notions d’origine religieuse qui empêchaient de vivre et dont notre époque a eu tant de mal à se libérer ? Pour réfléchir sereinement à cette question, il faut d’emblée signaler qu’il existe en effet des formes pathologiques de culpabilité, parfois si obsédantes qu’elles empêchent de vivre. Ce n’est pas de cette culpabilité névrotique dont il sera question ici.

La culpabilité, à sa juste place.

Paradoxalement, se reconnaître coupable peut être le meilleur moyen de se déclarer libre et responsable de sa vie. Si je me déclare coupable, c’est que je reconnais la responsabilité de mes actes. Je reconnais également ma liberté, puisque je reconnais implicitement que j’aurais pu agir autrement et que mes actes sont le résultat de mes choix.
Cette reconnaissance de notre culpabilité doit trouver un juste équilibre, car elle doit se conjuguer avec la reconnaissance qu’une part de nos actes nous échappe. Nous ne pouvons, à moins d’être dans le délire, affirmer que nous sommes parfaitement maîtres de tout ce qui constitue notre vie.
L’existence est, en effet, marquée par une bonne dose de passivité, d’accueil de réalités indépendantes de notre volonté, à commencer par notre venue au monde. Notre vie est sans cesse mêlée à d’autres vies. Notre histoire s’écrit parmi d’autres histoires et la frontière entre ce qui est de notre initiative et ce qui dépend des autres est souvent bien difficile à déterminer.
« Après un échec, dit l’écrivain Jean Bastaire, il faut reparcourir avec soin, avec gêne, avec effroi, les voies du passé, voies personnelles qui s’entrecroisent avec celle des autres. Un tissu se révèle qui se déchire pour se recomposer. Autant qu’individuelle, la responsabilité apparaît collective. Tout le monde est dans le coup. Mais, le seul sur lequel on puisse vraiment agir est soi-même. » Dans le tissu de nos histoires enchevêtrées, il nous faut donc distinguer ce qui est réellement de notre fait et accepter avec honneur et dignité d’en supporter le poids, tout en reconnaissant que cela ne représente parfois qu’une histoire bien modeste de l’Histoire.
C’est vrai en particulier dans l’éducation. Il ne s’agit pas, bien sûr, de faire porter à un enfant la responsabilité de l’atmosphère familiale ou de la situation économique. Il est cependant important de lui faire sentir qu’une part de la bonne entente et du budget de la famille sont de sa responsabilité.

Une ambiguïté inévitable.

Il est difficile de distinguer nettement ce qui dépend de notre volonté et ce qui semble lui échapper. C’est particulièrement vrai à propos du mal et du péché. Saint Paul déjà l’avait compris, lui qui souhaitait tant vivre selon la loi de Dieu : « Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. (…) Moi qui veux faire le bien, je constate en moi cette loi : C’est le mal qui est à ma portée. Car je prends plaisir à la loi de Dieu en tant qu’homme intérieur, mais dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence ; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? » (Rm 7, 15-24).
L’ambiguïté que nous venons de souligner – nous sommes responsables d’une part de notre vie, mais nous ne pouvons nier les multiples influences dont nous sommes le jouet – peut sembler bien difficile à gérer dans nos vies. N’est-il pas possible d’en sortir et d’affirmer, à certains moments : « Cet acte ne dépend que de moi, il n’engage que ma propre responsabilité, et je ne dois rien à personne pour cette décision. » C’est le rêve de l’adolescent. La dette dont il prend conscience à l’égard de ses parents lui semble si lourde qu’il n’imagine pas pouvoir continuer à vivre sans la rejeter massivement. « Désormais, je mène ma vie, j’ai mes opinions. » Bien vite, les réalités économiques, les mouvements de sa psychologie se chargent de lui rappeler qu’il est impossible de faire aussi facilement table rase. A la faveur de rencontres, d’expériences de travail en équipe, l’adolescent découvre que les situations où l’on ne doit rien à personne sont bien rares. Il faut aussi parfois l’expérience amère de remplacer imprudemment l’emprise de ses parents par celle d’un gourou, d’un leader quelconque auquel il sacrifie son autonomie, au nom de sa liberté.
Ainsi l’entrée dans la vie adulte se réalise lorsque l’homme reconnaît que tout ne dépend pas de lui, tout en acceptant d’assumer ce qui dépend de lui. Autrement dit, c’est reconnaître et assumer notre liberté, sans rêver qu’elle soit infinie. « L’homme, écrit le philosophe Paul Ricoeur, c’est la joie du Oui dans la tristesse du fini. »

Trouver la part qui est liée à nos choix.

Notre vie est limitée, notre liberté aussi. Mais, si notre liberté et donc notre responsabilité sont partielles et limitées, elles n’en sont pas pour autant inexistantes.
Notre vie morale est sous le jeu d’influences multiples qui façonnent et souvent diminuent notre responsabilité. Réalités socio-économiques, jeux de l’inconscient, traces de l’éducation et séquelles de la maladie transforment et déforment nos décisions. C’est vrai. Cependant, il reste une part minime de nos actes qui relève toujours de notre choix. On pourrait dire que l’affirmation de la responsabilité ou de la culpabilité, pour être juste, devrait toujours s’exprimer sous la forme : « La part de responsabilité que je crois pouvoir assumer… ; dont je suis conscient…, c’est… »
La reconnaissance de sa propre responsabilité est significative d’un enjeu majeur de la vie morale et de la vie morale et spirituelle : la difficulté que nous avons à nous situer de manière juste devant et dans le monde. En ne cédant pas à la tentation d’Adam qui était de chercher à devenir comme Dieu, nous nous reconnaissons vraiment humains, marqués par toutes sortes de limites. Mais, en affirmant contre vents et marées que l’homme est responsable de ses actes, nous ne cédons pas à la tentation inverse qui consiste à dire que nous ne sommes rien, que nous traversons la vie comme une feuille agitée par le vent. La parole de Dieu, en particulier chez les prophètes, nous invite à reconnaître que nous ne sommes pas tout-puissants, mais que nous avons du prix aux yeux de Tout-Puissant.

La difficile responsabilité de l’échec.

Il est particulièrement difficile de se dire responsable de ses actes lorsqu’on est confronté à l’échec. On avait investi beaucoup d’énergie dans un projet auquel on croyait, on avait consacré beaucoup de temps à la préparation d’un examen, et on découvre que rien ne se passe comme prévu et qu’il nous faut renoncer à ce qu’on espérait. La tentation est alors forte d’éviter une responsabilité trop lourde à supporter et préférer reporter le poids de l’échec sur les autres. On se tourne vers ses partenaires et on les accuse de n’avoir pas fait ce qu’il devait faire. On raconte son examen en insistant sur le sadisme de l’examinateur. Il faut parfois beaucoup de courage, après un écher, pour oser dire : je suis responsable. C’est pourtant la seule manière de se lancer dans un nouveau projet. Cependant, ici encore, il faut éviter de tomber dans le fantasme de la toute-puissance : je peux me reconnaître responsable d’un échec, mais sans pour autant imaginer que je suis absolument seul, que je ne suis soumis à aucune influence extérieure, ou que je maîtrise totalement tout ce qui dépend de moi.