La soumission à l’autorité

posted in: Religion 4ème | 0

Document 10 : Révolte d’enfants.

Situation : Louisa, la mère de Jean-Christophe, l’a amené avec elle dans une riche maison où elle travaille. A cette occasion, le jeune garçon a revêtu ses vêtements de dimanche.

Enhardis par son silence, les deux petits riches, qui avaient pris brusquement pour le petit pauvre, une de ces antipathies d’enfant, cruelles et sans raison, cherchèrent quelque moyen amusant de le tourmenter. La fillette était particulièrement acharnée. Elle remarque que Jean-Christophe avait peine à courir à cause de ses vêtements étroits et elle eut l’idée raffinée de lui faire accomplir des sauts d’obstacle. On fit une barrière avec de petits bancs et on mit Christophe en demeure de la franchir. Le malheureux garçon n’osa pas dire ce qui l’empêchait de sauter. Il rassembla ses forces, se lança et… s’allongea par terre. Autour de lui, c’étaient des éclats de rire. Il fallut recommencer. Les larmes aux yeux, il fit un effort désespéré, et, cette fois, réussit à sauter. Cela ne satisfit point ses bourreaux, qui décidèrent que la barrière n’était pas assez haute. Ils y ajoutèrent d’autres constructions jusqu’à ce qu’elle devînt un casse-cou. Christophe essaya de se révolter : il déclara qu’il ne sauterait pas. Alors la petite fille l’appela « lâche » et dit qu’il avait peur. Christophe ne put le supporter et, certain de tomber, sauta, et tomba. Il s’écorcha les mains, faillit se casser la tête et, pour comble de malheur, son vêtement éclata aux genoux. D’ailleurs, il était mort de honte. Il entendit les enfants danser de joie autour de lui. Il souffrait de façon atroce. Il sentait qu’ils le méprisaient, qu’ils le haïssaient.

Pourquoi ? pourquoi ? Il aurait voulu mourir… Il essaya de se relever : le petit bourgeois le poussa et le fit tomber. La fillette lui donna des coups de pied. Il essaya de nouveau. Ils se jetèrent sur lui tous les deux, et s’asseyant sur son dos, ils lui appuyèrent la figure contre terre. Alors une rage le prit : c’était trop de malheurs ! Ses mains qui lui brûlaient, son bel habit déchiré, – une catastrophe pour lui -, la honte, le chagrin, la révolte contre l’injustice, tant de misères à la fois se fondirent en une fureur folle. Il s’arc-bouta sur ses genoux et ses mains, comme un chien, fit rouler ses persécuteurs. Et, comme ils revenaient à la charge, il fonça tête baissée sur eux, gifla la petite fille et jeta, d’un coup de poing, le garçon dans une plate-bande.

Une dame fondit alors sur lui. Il se sentit frappé. Il entendit qu’elle lui parlait d’une voix furieuse, avec un flot de paroles. Mais, il ne distinguait plus rien. Ses deux petits ennemis étaient revenus assister à sa honte et piaillaient à tue-tête, des domestiques étaient là : c’est une confusion de voix. Pour achever de l’accabler, Louisa, qu’on avait appelé, parut. Et, au lieu de le défendre, elle commença par le claquer, elle aussi, avant de rien savoir, et voulut qu’il demandât pardon. Il s’y refusa avec rage. Elle le secoua plus fort et le traîna par la main vers la dame et les enfants, pour qu’il se mît à genoux. Mais, il trépigna, hurla, et mordit la main de sa mère.

(Christophe est rentré chez lui : après l’avoir battu et envoyé dans sa chambre, ses parents se sont disputés à son sujet. Tous les malheurs de la journée l’accablent à la fois.)

C’était un écroulement total. Il était écrasé par la force brutale, sans nul moyen de se défendre, de réchapper jamais. Il crut mourir. Il se raidit de tout son être, dans une révolte désespérée. Il tapa des poings, des pieds, de la tête contre le mur, fut pris de convulsions, et, se meurtrissant aux meubles, tomba par terre.

D’après  Romain-Rolland : Jean-Christophe. L’aube. Livre de poche, Tome 1