La soumission à l’autorité

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Document 2 : Eloge de la désobéissance.

Nous vivons sous l’emprise des organisations. Celles-ci, notamment les entreprises multinationales, ont mis au point de nouvelles méthodes de domination sur les individus en particulier en s’assurant l’adhésion de ses membres. La soumission du plus grand nombre aux exigences des grands appareils, l’expansion considérable des grandes organisations, l’impuissance des individus isolés à lutter contre ces nouvelles formes de pouvoirs sont des phénomènes inquiétants et dangereux pour l’avenir de notre monde. Après la seconde guerre mondiale, Stanley Milgram s’est demandé comment tout un peuple s’est soumis à l’autorité d’un dictateur et pourquoi les Allemands, par soucis de conformité, ont accepté de participer, de près ou de loin, au processus de l’Holocauste. Pour mettre en évidence sa théorie de soumission à l’autorité, Stanley Milgram a mis au point en particulier une expérience de psychologie sociale.

L’expérience a lieu dans un laboratoire universitaire de psychologie aux Etats-Unis. Un individu recruté par des petites annonces dans la presse locale est prié contre une petite somme d’argent et dans le cadre de prétendues recherches sur la mémoire d’infliger à un « élève » des punitions de plus en plus sévères, en l’occurrence des décharges électriques allant de 15 à 450 volts. Un acteur professionnel tient le rôle de l’élève. Il gémit à 75 volts, à 110 volts. Il supplie qu’on le libère. A 250 volts, sa seule réaction est un véritable cri d’agonie. Au-delà, il reste silencieux. Il est en outre précisé aux participants que les décharges ne sont pas mortelles à cause du faible ampérage (un ampérage trop important pouvant provoquer un arrêt cardiaque même si le voltage est très peu élevé, le contraire ne provoquant que des brûlures). Enfin, il est clairement dit aux participants de l’expérience et cela par un représentant de l’université que leur responsabilité n’est pas engagée : quoiqu’il arrive, ils ne seront pas tenus pour responsables.

Les résultats de l’expérience sont surprenants : 65% obéissent aux ordres de l’expérimentateur et vont jusqu’aux décharges de 450 volts qu’ils administrent trois fois. Aucun ne refuse de commencer l’expérience. Dans ce cas-ci, le sujet ne voyait ni n’entendait l’élève. C’est la situation du pilote qui lâche ses bombes bien qu’il sache qu’il tue. Si le sujet entend l’élève protester, le pourcentage diminue. Il reste cependant encore 40% des sujets qui continuent l’expérience jusqu’au bout. 30% administrent le sommet des décharges même s’ils doivent eux-mêmes rattacher l’électrode à la main de l’élève (après toutefois une hésitation vite jugulée lorsque l’expérimentateur donne l’ordre de continuer). Dans l’un ou l’autre cas, aucun sujet ne s’arrête avant 150 volts.

Il ne faut pas croire que ces « bourreaux » soient des personnes dépourvues de tout sentiment, des êtres froids et sadiques…. Ils manifestaient tous une réelle tension nerveuse ou des bouleversements émotionnels très frappants : transpiration intense, rougeur, pâleur, silence, rire nerveux, mains crispées ou massant l’une ou l’autre partie du visage, corps agité nerveusement… preuve qu’un conflit existait. Mais, tous continuaient cependant l’expérience.

Tous les témoins, observe Milgram, s’accordent à dire qu’il est impossible de restituer par l’écriture le caractère poignant de l’expérience. Pour le sujet, la situation n’est plus du tout une expérience mais est devenue un conflit intense et bien réel : d’un côté, la souffrance manifeste de l’élève l’incite à arrêter ; de l’autre, l’expérimentateur l’oblige à continuer. Chaque fois qu’il hésite à administrer une décharge, il reçoit l’ordre de poursuivre. Pour sortir de cette situation insoutenable, il doit donc désobéir, rompre avec l’autorité, s’opposer pour se poser, se libérer.

« Le but de notre investigation, écrivit Milgram, était de découvrir quand et comment se produirait la rupture à l’obéissance ». Les résultats sont néanmoins inquiétants puisque près des deux tiers des sujets ont administré les chocs les plus élevés. C’est cette propension extrême des adultes à la soumission quasi-inconditionnelle aux ordres de l’autorité qui constitue la découverte majeure de l’étude de Milgram. Il y a là un phénomène qui exige une explication. La plus courante consiste à prendre ceux qui ont administré toute la gamme des décharges pour des monstres constituant la frange sadique de la société. Toutefois, si l’on considère que près des deux tiers des participants n’étaient que des sujets obéissants et qu’ils représentaient des gens de toutes les catégories sociales, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres supérieurs, travailleurs sociaux, …. L’argument devient très fragile.

En vérité, il rappelle singulièrement les réactions déclenchées en 1963 par le livre d’Hannah Arendt, « Eichman à Jérusalem ». L’auteur soutenait que les efforts de l’accusation pour dépeindre le coupable comme un monstre sadique partaient d’un point de vue totalement faux, qu’Eichman était bien davantage un rond-de-cuir sans initiative qui se contentait de s’asseoir derrière un bureau et de s’acquitter de sa tâche… . La plupart des sujets se justifièrent après l’expérience en faisant remarquer qu’ils n’étaient que des exécutants. « En fait, note Milgram, ils étaient tellement soucieux de se montrer dignes de ce que l’autorité attendait d’eux que l’aspect inhumain, odieux, de l’expérience leur échappait.

Le pouvoir des grandes organisations ne serait pas aussi important si elles n’utilisaient pas massivement cette propension de nos contemporains à la soumission aux structures hiérarchiques, alors même que ces structures produisent leur assujettissement. Pourquoi tant d’individus deviennent les instruments dociles de sociétés anonymes et d’appareils répressifs ?

La soumission, ce ne serait pas d’aller contre mais ce serait de suivre la pente naturelle, le courant dans le sens où la société et les organisations nous entraînent. La révolte exige non seulement de résister mais encore d’agir. L’obéissance s’inscrit donc dans le domaine de la passivité, la désobéissance dans le domaine de l’action.

Le seul cobaye de l’expérience de Milgram, c’est finalement la personne assise aux commandes. Ce qui est étudié, en fait, c’est de savoir jusqu’à quel point la personne assise aux commandes obéira et acceptera d’envoyer à son partenaire des décharges électriques. Jusqu’à quel point va-t-elle s’abriter sous l’autorité de la science ? Ira-t-elle, au nom de la science, jusqu’à risquer la vie de son partenaire ? A quel moment la personne va-t-elle s’opposer à l’ordre d’envoyer des décharges électriques et prendre ses propres responsabilités ?

L’expérience de Milgram tend donc à démontrer que n’importe quel humain peut, à tout moment, se transformer en un fonctionnaire obéissant et soumis, en un tortionnaire.

L’obéissance résulte des inégalités dans les relations humaines et les perpétue. Dans ce sens, elle constitue le mécanisme régulateur de tout régime dictatorial. Tout directeur d’un système bureaucratique chargé d’un programme destructeur doit en morceler l’exécution en autant d’étapes que possible. Ceci afin de diversifier les tâches mais aussi les responsabilités en vue de faciliter l’exécution du programme. Ce n’est qu’au niveau de la violence finale qu’il devra disposer les individus les plus cruels. C’est ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale.

On peut schématiser le conflit pour le pouvoir et la soumission à l’autorité sous la forme d’un tableau à double entrée. Pour bien comprendre ce tableau, il faut que X soit différent d’Y et admettre que ce schéma passe d’un extrême à l’autre.

  X passif X neutre X actif
Y passif Soumission ***** Soumission d’Y
Y neutre ***** ***** *****
Y actif Soumission de X ***** Révolte, désobéissance

Lorsqu’Y est autoritaire, il en impose et est volontiers une forte tête auquel il faut se soumettre ; mais, face à une résistance quelconque, il se révolte. Dès qu’Y a l’impression qu’on veut le manipuler, il réagit violemment. Plus tard, toute opposition sera perçue comme une agression et rejetée brutalement.

Notre éducation a été dominée par l’apprentissage du contrôle de nos pulsions agressives, notamment grâce aux lois, aux interdits ou au langage au détriment du contrôle sur les actions qui sont prescrites par l’autorité. La violence individuelle et « sauvage » (ex. dans le film Spiderman) est présentée comme le mal alors que rien ne nous conduit à nous interroger sur les conséquences de la violence instituée bien que celle-ci constitue un danger bien plus grave pour la survie de l’espèce humaine (ex. la guerre). Que « vaut » la violence du jeune délinquant, du dissident, de l’autonome contre la violence des ghettos urbains, des goulags, de la course aux armements ? Là où la révolte est écrasée et la critique absente, la réalité sociale est enfermée par le discours officiel. Aussi, la critique du pouvoir partout où il s’exerce, le désinvestissement des dispositifs qui assurent sa reproduction sont-ils les fondements de la liberté. Les chemins de la liberté passent nécessairement par le refus de la soumission, la remise en cause de l’ordre établi et la critique du pouvoir.